[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]I[/mks_dropcap]l y a quelques jours, nous évoquions en ces lieux le retour un peu en demi-teintes de Dälek après un hiatus de sept années. Aujourd’hui, rebelote : on ne prend pas les mêmes, on ne recommence pas mais on garde la même temporalité entre deux albums. Sept ans. Sept ans, comme vous le savez, c’est long. Ça laisse le temps de s’en prendre plein la gueule, d’encaisser les coups durs, les rancœurs, ravaler sa fierté, réfléchir, se reconstruire. Ça laisse aussi le temps à certains de mûrir, ne plus être dans la viscéralité, prendre du recul et faire preuve de résilience.
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]R[/mks_dropcap]obin Proper Shepard va mal. Ce n’est pas un scoop, c’est même ce qui alimente ses plus beaux albums sous le nom de Sophia. En ce jovial 23 mai il a décidé de vous pourrir votre année en sortant son tout nouvel exposé sur la séparation, la mort, la dépression et autres joyeusetés qui font le sel d’une vie formidable. Chouette, on va pouvoir ressortir la corde du placard serez-vous tenté de dire. Pourtant, contrairement à ce vous pourriez croire, As We Make Our Way va embellir votre journée. Ce ne sera pas le grand soleil, non, il sera blafard, noyé sous une grisaille particulièrement tenace, mais ses rayons viendront vous réchauffer et mettront en valeur bon nombre de pépites à peine dissimulées un peu partout sur un disque à la luminosité presque aveuglante. Parce que le scoop, sur As We Make Our Way, c’est que Robin Proper Shepard n’est plus désespéré. Enfin, plus tant que ça. Le fond reste encore un tantinet dépressif, ça ne suinte toujours pas la joie de vivre mais il y a dans ce nouvel album une majesté, une ironie mordante qu’on ne lui connaissait pas. Shepard a repris du poil de la bête et ça s’entend ; et ce dès les premières notes, frappées et inquiètes, de Unknown Harbours, la mélancolie habituelle est présente mais il y a, tapie en elle, les germes d’une tension qui ne demandera qu’à exploser sur le morceau suivant Resisting (dont la guitare sur la fin du morceau se calque sur le piano d’Unknown Harbours). A partir de là l’auditeur rentre dans le vif du sujet : monumental morceau combinant rage froide et mélodie entêtantes, mélancolie et colère, God Machine et Celice de A-ha, dans un crescendo tensionnel digne d’un Slint, d’un GodSpeed ! de la grande époque, Resisting vous colle un K.O direct, broie les tripes, vous permet de relocaliser votre échine et même de vous faire chialer avec son piano délicat apportant un semblant d’apaisement à un mur du son dantesque. Ensuite, Shepard retourne vers ce qu’il sait faire de mieux : du Sophia. The Drifter voit donc le retour de la mélancolie à laquelle s’ajoute l’élégance des Apartments, celui de Twenty-One, pour un morceau qui se loge dans le creux de vos pavillons, s’y love et n’en déloge pas, se permettant même de migrer direct au coeur, le brisant au passage, avec ces touches de piano légères, mélancoliques et pour tout dire, essentielles. Idem avec un Don’t Ask, émouvant, renvoyant à la grande époque de Fixed Water (notamment So Slow) ou au Slowcore de Barzin (avec qui il partage cette voix tremblante, peu sûre, humaine au possible) avec, toutefois, une nuance de taille : la présence d’un humour vachard (Don’t ask what you don’t want to know), qui donnera un peu le ton des morceaux suivants.
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]hepard va alors se détendre, laisser entrer un peu plus franchement la lumière dans sa musique, l’humour dans ses paroles, tout d’abord avec un Blame en recherche d’apaisement puis avec un California quasi pop et mordant et enfin il se permettra même sur un St Tropez/The Hustle frondeur aux réminiscences God Machinienne, un second degré tout à fait réjouissant (The Hustle et son « it’s all about the hustle/asshole » ambigu et drôle). Mais, comme souvent chez les dépressifs chroniques, l’accalmie sera de courte durée, l’humour, le mordant laissent place à une angoisse envahissante avec un You Say It’s Alright anxiogène au possible, en boucle, évoluant dans une réalité différente, à la limite de la parano. Évidemment, après un telle montée d’anxiété, la réaction ne se fait pas attendre, c’est direct la plongée dans les abîmes dépressifs avec Baby Hold On, Slowcore tout en retenue, tremblant d’émotions, avec ses arrangements délicats, simples, sa lente progression vers la lumière jusqu’à un final presque apaisé. Pour faire simple, on tient là probablement un des morceaux les plus émouvants de la carrière de Shepard, pas spécialement avare en la matière. L’aventure se termine sur un It’s Easy To Be Lonely dans lequel on retrouve le Shepard combatif de Resisting avec cette envie d’en découdre, sur un morceau d’une belle intensité dramatique, toute en crescendo, proche dans sa construction du final intense du Twenty-One des Apartments, concluant ainsi un album d’une richesse émotionnelle rare.
[mks_dropcap style= »letter » size= »83″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]arce qu’avec As We Make Our Way, Shepard, plus que jamais jusque là, livre un disque intense et tout en nuances, imparfait (Unknown Harbours est un peu trop appuyé, The Hustle, à la limite de la caricature mais je suppose que c’est voulu) mais si humain qu’on lui pardonne ses légers défauts. Plus que musicien, Shepard se fait, sur ce nouvel album, le peintre de ses états d’âme en augmentant considérablement sa palette d’émotions. Adieu l’auto-apitoiement (bien qu’il n’y ait jamais eu de condescendance ou de voyeurisme dans son apitoiement), cette dépression qui lui collait aux basques comme un vieux chewing-gum usagé, Shepard semble désormais regarder devant lui, assimiler tous les coups de pute, les relativiser, pour en faire un matériau noble. En fait il livre avec As We Make Our Way une de ses plus belles toiles, où domine toujours le gris, où on reconnaît aussitôt sa patte, sa signature, mais dans laquelle ressort une atmosphère moins tourmentée, plus paisible, aux couleurs presque chatoyantes. Une coloration quasi inédite pour Shepard, ainsi que pour nous, mais dont le résultat flirte avec le grandiose. Comme quoi la résilience, quand elle s’accompagne d’une certaine lucidité et d’un certain recul, permet de se dépasser et offrir le meilleur de soi-même. Après, il faut juste espérer que le temps de latence soit un peu moins long entre deux albums. Là par contre, c’est pas gagné.
Sortie officiellement aujourd’hui-même, 23 Mai 2016, chez tous les disquaires équipés de gouache, peinture à l’huile, acrylique, etc … de France et de Navarre.
Site Internet – Facebook – Bandcamp