Soused : n,m, to get soused : être bourré, ivre, défoncé.
Soused : collaboration arty entre Scott Walker et Sunn O))), sortie ces jours-ci, qui a, selon de très mauvaises langues, les mêmes propriétés que celles évoquées dans la définition précédente, à savoir un fort pouvoir enivrant. Reste à définir si l’ivresse provoquée à l’écoute de cette collaboration est positive, exaltante ou si elle saoule au point de coller une migraine carabinée.
Pour apprécier le breuvage, tout dépendra de votre seuil de tolérance à l’ingrédient principal : le Scott Walker. Pour résumer : si vous êtes nostalgique de la grande époque (Scott 1,2,3 et 4 entre autre) et qu’à partir de climate of the hunter vous trouvez que ça commence à devenir n’importe quoi, passez votre chemin, soused ne fera que conforter vos certitudes. Si tilt, the drift et bish bosch vous plongent dans des états de transe incommensurables, n’hésitez pas, soused ne fera que conforter vos certitudes. Parce que ça a beau être une collaboration entre Sunn O))) et Walker, il faut savoir que dans soused, le taux de Walkerémie est supérieur à 80 %. Au moins.
Conclusion : si vous êtes inconditionnels du duo drone/doom/dark ambient Sunn O))) et que Walker vous gonfle, la déception risque d’être à la hauteur des espoirs placés en ce disque.
Passé cette mise au point, qu’on soit fan de l’un, de l’autre ou des deux, il faut avouer que la collaboration fonctionne plutôt pas mal.
Maintenant, petite digression et grande lapalissade: pour ceux qui connaissent la carrière de Sunn O))), cette rencontre était inévitable. Le duo a toujours collaboré avec nombre de musiciens venant d’horizons différents ( Dawn Smithson de Jessamine, Attila Csihar de Mayhem, Oren Ambarchi, Julian Cope, la liste est loin d’être exhaustive) et s’est toujours efforcé de ne jamais rentrer complètement dans le moule du drone/doom en l’élargissant à l’ambient, au black metal ou même au jazz. Alors, après avoir fait chanter/slammer le plus grand fan du monde de Scott Walker sur White 1, après avoir fait le travail inverse de Scott Walker (rendre une musique hermétique accessible au plus grand nombre), il était logique que O’Malley et Anderson finissent par s’adresser à Dieu plutôt qu’à ses saints. Sauf que Dieu, pendant une bonne dizaine d’années, il avait un agenda de malade et ne pouvait se rendre disponible pour deux pécores pratiquant une musique pour sonotones défaillants.
Fin de la digression et retour à ce qui nous intéresse : qu’en est-il de soused ?
On y retrouve toujours les travers de Scott Walker, depuis climate of hunter: cette façon de penser la musique, l’intellectualiser, cette volonté de la déconstruire, la rendre inaccessible, ce désir de faire une sorte de pop concrète atonale ayant pour seul repère quelque peu humain la voix, impériale et unique, de Walker. Bref, une certaine routine depuis tilt.
Certes.
Mais qu’apporte dans ce cas Sunn O))) vous demanderez-vous ?
Curieusement la contribution de Sunn O))) permet au breuvage d’être beaucoup moins âpre qu’il n’y paraît. Le duo agit comme une sorte de régulateur sur les humeurs de Walker, de garde fou et lui permet de se poser, d’être presque plus abordable et surtout de mettre un frein à ses débordements arty en recentrant les propos.
Depuis tilt, on pourrait presque qualifier la musique de Walker de psychotique dans le sens où elle est le reflet d’une vision de la musique propre à son auteur, morcelée, étrange, inaccessible aux autres et ne suivant aucun schéma si ce n’est le sien. La présence de Sunn O))), avec son drone plombant, permet à Walker de réintroduire de l’humanité, des sentiments, pas très confortables certes ( tension et angoisse) mais au final de revenir parmi nous, d’être à nouveau accessible. Évidemment il faut prendre accessibilité dans un sens Walkerien du terme : ne vous leurrez pas,soused n’est pas un retour vers la pop orchestrale d’antan. Il reste toujours dans le champ du rock expérimental, du drone voire du dark ambient. Ses morceaux, réduits à cinq sur ce disque, font au minimum 9 mns, mais en présence de Sunn O))), ils semblent mieux construits et deviennent plus abordables (ce n’est pas un hasard si fetish et bull, morceaux où le duo est présent à bas bruit, sont les moins intéressants de l’album) voire, parfois passionnants ( herod 2014, le flippant lullaby).
Bref, si soused est annoncé comme une collaboration, l’intelligence de Sunn O))) est justement de s’être mis au service de Walker sans imposer sa personnalité (ce qui aurait été chose vaine de toutes façons, le sieur ayant un ego bien trop imposant) et en dosant justement ses interventions. Ce n’est pas un hasard si le disque sort chez 4AD et non Southern Lord : avec soused, c’est bien à un disque de Scott Walker auquel vous avez à faire.
Quelque part, soused, s’il ne changera pas la face de la musique, ni l’opinion que vous avez de Scott Walker, se veut un constat plutôt rassurant quant à la santé mentale de ce dernier : nous ne serons donc plus obligés d’attendre dix ans ou presque pour avoir de ses nouvelles (tilt, the drift et bish bosch : 3 disques répartis sur trois décennies) et, à sa façon, avec l’aide d‘O’ Malley et Anderson la thérapie de retour parmi nous semble fonctionner.
Mais Scott Walker en-est-il vraiment conscient ? Ça, c’est un autre débat que soused ne résoudra pas.
Dispo chez tous les bons disquaires le 20 octobre prochain.