Petit rappel historique afin de mieux appréhender la bête que je m’apprête à chroniquer : selon la mythologie grecque Achlys, fille de Nyx (déesse de la nuit et excellent album de Mansfield Tya), serait une déesse personnifiant le malheur ainsi que le brouillard, voilant l’esprit au moment de mourir. En créant Akhlys, Naas Alcameth s’est clairement tourné vers la seconde option avec un projet Ambient dans lequel il est seul maître à bord. En 2009 sort en édition très limitée (100 exemplaires, très vite épuisés), pour le label Starlight Temple Society, Supplication. Soit 37 minutes d’une Ambient malsaine, dérangée, suffocante, à la limite de l’indus, traversée de vocaux gutturaux et spectraux. Une Ambient puisant ses racines dans le métal (plus que flagrant vers la 21ème minute) et conciliant avec un certain savoir-faire apocalypse, incantations et oppression dans une ambiance poisseuse et prenante.
Vous me direz, pour les connaisseurs des travaux de Naas Alcameth, Akhlys n’est pas son premier projet Ambient. Certes vous répondrais-je, mais probablement le plus extrême, le plus empreint de mysticisme contrairement à Temple Of Not, plus versé dans le Dark Ambient et presque plus « classique » (Towards The Radiant Dark, dernier morceau de Μέλαινα Τάξις τοῦ Θανάτου, n’est pas si éloigné que ça d’un Troum ou d’un Times Machine de Coil) .
Toujours est-il qu’en 2010 Alcameth, pensant avoir fait le tour du genre avec Supplication et Μέλαινα Τάξις τοῦ Θανάτου, finit par mettre de côté ses velléités Ambient pour se consacrer pleinement à ses projets Black Metal avec Nightbringer et Bestia Arcana. Il n’empêche : au bout de quatre ans, des envies d’Ambient reviennent le titiller et remet en route Akhlys.
Projet axé sur la thématique du sommeil, des rêves et tout ce qui a trait à l’inconscient, Akhlys semble vouloir en développer toutes les phases sur sa discographie. Si Supplication faisait clairement référence au sommeil profond, The Dreaming I explore quant à lui toutes celles du sommeil paradoxal, période pendant laquelle l’inconscient prend le contrôle, où l’activité cérébrale s’intensifie sans commune mesure. Et afin de pouvoir mettre en musique au plus près son inconscient torturé, Alcameth recrute Ain aux percussions.
Allez, petite lapalissade avant d’entrer dans le vif du sujet : si Alcameth s’est adjoint les services d’un batteur, il y a fort à parier qu’Akhlys sera bien plus ambitieux que par le passé en délaissant probablement l’aspect Ambient de sa musique. De fait, et sans le délaisser complètement, The Dreaming I se révèle être une parfaite synthèse des multiples talents d’Alcameth : à la fois disque d’Ambient versant dans l’ésotérique (le premier Akhlys donc), de Dark Ambient (Temple Of Not) et de Black Metal, il n’en est pas moins une retentissante baffe assénée à la face de l’auditeur.
Pour qui jettera un œil au dos du disque, The Dreaming I est composé de 5 morceaux. A l’écoute, l’album se scinderait plutôt en trois parties distinctes et relativement équitables. Trois pièces oscillant entre quatorze et dix-sept minutes (Consummation, partie centrale de l’édifice), trois ambiances différentes et complémentaires. La première, brutale et intense, commence par deux minutes d’Ambient, histoire de solder une bonne fois pour toutes Supplication et préparer l’auditeur à entrer « en douceur » dans The dreaming I.
Ici, la douceur, c’est l’aspect Breathing du premier morceau Breathing & Levitation. Pour Levitation en revanche, c’est quasiment sept minutes d’un Black Metal brutal et dépressif voire cauchemardesque. Sept minutes intenses, progressives, évoluant de façon subtile entre fausses accalmies et accélérations, cycles de tension dramatique et semblant d’apaisement. Sorte de grand huit Post-Black Metal impressionnant de maîtrise avec volte-face au deuxième tiers du morceau et enchaînement sur un final (Tides Of Oneiric Darkness) d’une rare violence. Tides… c’est un véritable mur du son, Spectorien et apocalyptique, au rythme infernal, tendu à l’extrême, parcouru de giclées de violences impressionnantes qui vous prend à la gorge, serre son étreinte, bouscule, terrasse l’auditeur, le laisse exsangue, avant de le faire se relever en relâchant la pression à la toute fin pour mieux introduire une seconde phase plus atmosphérique et ésotérique.
Morceau-fleuve de 17 minutes, Consummation débute sur une Ambient embrasée, émaillée d’incantations glaciales, de cris, contenant aussi les germes du final. Il se poursuit sur une partie Black reprenant les mêmes codes, les même schémas que Breath & Levitation mais dans une veine plus atmosphérique. L’intensité, la ferveur de son Black Metal restent identiques au morceau précédent, Alcameth sait tenir en haleine en variant les effets, mais on évolue dans un morceau presque plus posé, plus abordable mais également plus insidieux. Plus insidieux car plus imprévisible encore que le précédent, bénéficiant d’accélérations, allant jusqu’au bout de son propos, de sa logique, et doté d’une conclusion pour le moins surprenante, apaisée, d’une beauté formelle à couper le souffle.
Mais ne vous inquiétez pas, le répit est de courte durée, la dernière phase reprend les hostilités mais de façon bien plus oppressante et intense que les précédentes. The Dreaming Eye débute sur un mur du son Black/Doom digne du Black One de Sunn O))) et continue de façon plus tendue encore que Tides Of Oneiric Darkness. Puis, au bout de trois minutes, surprise, débarque une mélancolie à laquelle personne ne s’attendait jusque là. Le morceau continue, imperturbable, ente chaos et mélancolie, tel un bulldozer désespéré et finit, après une courte accalmie, par creuser son sillon à l’infini jusqu’à se terminer par 4 minutes d’Ambient tendue évoquant le Mort de Blut Aus Nord et renvoyant à Supplication, bouclant ainsi un cycle de sommeil plus que perturbé mais d’une beauté surprenante.
Vous l’aurez compris, avec The Dreaming I, Naas Alcameth prend le contre-pied de Supplication, à savoir mettre des éléments d’Ambient dans son Black Metal et non plus l’inverse. Pourtant, au-delà de cette démarche, ce qui surprend chez cet album d’Akhlys, outre un Black Metal de très haute volée, c’est la capacité qu’a Alcameth à marier la brutalité et la finesse mélodique. Les morceaux effraient, impressionnent dans un premier temps mais il y a suffisamment de richesses mélodiques en eux pour qu’ils s’ancrent dans votre oreille interne et n’en délogent plus. Chaque mouvement vous scotche à votre fauteuil, Alcameth déroule un savoir-faire remarquable, capable de bouleverser, effrayer, vous remuer les tripes comme peu de disque de Black Metal savent le faire jusque là.
Au final, The Dreaming I apparaît comme un album gigantesque, cohérent sans être complètement uniforme, sachant diversifier les atmosphères avec bonheur, capable d’un équilibre remarquable et non forcé entre un Black Metal brutal et mélodique et une Ambient expérimentale et par moment émouvante (le dernier quart de Consummation est pour le moins déchirant). Un album qui, une fois terminé, donne envie d’appuyer immédiatement sur la touche play pour en explorer de nouveau tous les recoins, voir ce qui a pu nous échapper. Vu la complexité et la richesse de l’œuvre, il faudra d’innombrables écoutes pour en faire le tour.
Vous voilà prévenus.
(Au passage, on remerciera Debemur Morti pour la qualité constante des albums sortis jusque là. Autant le dire, j’attends avec une impatience non feinte le prochain album de Terra Tenebrosa, une des dernières signatures du label, ainsi que les mythiques …In The Woods).
Sorti depuis le 20 avril dernier chez Debemur Morti et dispo chez tous les disquaires dépressifs et psychopathes de France.
Je suis un grand fan de Nightbringer et force est de constater qu’en dehors de Nightbringer, Naas fait du Nightbringer… En mieux !
Ce disque m’a laissé sur le cul, jetez-vous dessus !