[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]a guerre. Laquelle ?
L’année ? Nous ne savons pas.
L’ennemi ? Il n’apparaît pas.
La compagnie l’ultième C tourne en rond, attend, a froid, a faim, passe le temps, erre, se perd, désespère de trouver des hommes contre qui combattre.
« Les combats étaient loin. Ils avançaient depuis des mois sur des routes désertes, ils passaient des villages dont il ne restait rien, peut-être un vieillard, un animal oublié. Là où ils passaient ça n’était pas la guerre. C’étaient des coins déserts, sans mouvement, sans bruit. Des ruines. »
Nicole Caligaris nous parle de la guerre, mais d’une guerre absurde qui ne se fait pas. Elle semble pourtant aussi rude, dans sa langue, que la guerre des tranchées.
Buzzatti et Céline…
Caligaris n’hésite ainsi pas à convoquer ces grands auteurs pour son roman, lui donnant ainsi une belle allure de classique.
Nicole Caligaris se place sous le haut patronage de Céline et le revendique clairement en nommant un de ses personnages Rigodon, titre d’un roman de ce dernier, publié de façon posthume. Si elle ne propose pas une inventivité comme la langue de Céline le faisait, cette Scie patriotique résonne en nous.
Ce texte est aussi une sorte de Désert des tartares, l’oeuvre magnifique de Dino Buzzatti, où les soldats, au lieu d’attendre dans le désert, passent leur temps à bouger pour chercher, plus tellement l’ennemi, mais à manger, ou encore une distraction dans cette morne errance.
L’absence de massacre rend encore plus forte l’absurdité de la guerre, cette longue attente imbécile où les hommes deviennent à moitié fous.
« C’était des déclassés. Affectés à une compagnie d’arrière-garde à cause de quel défaut ?
Manquaient-ils de courage ? Ils avaient des cernes profonds, l’oeil tellement loin dans l’orbite que ça faisait comme un trou noir. Ils étaient pâles; et fatigués d’une fatigue infinie. »
Publié pour la première fois en 1997 chez Gallimard, Le Nouvel Attila en propose en 2016 une belle réédition, agrémentée de dessins de Dennis Pouppeville.
La scie patriotique de Nicole Caligaris, Le Nouvel Attila, mars 2016