23/02/2003
Confirmation : Thomas W a effectivement une gamine de deux ans. Aucune photo sur son bureau, et il ne prend jamais part aux incontournables discussions de parents sur les exploits de leur progéniture (c’est bien le seul – félicitations).
Dej et shopping avec Nico – qui a réussi à piquer une chemise Dior aux Faleries Galayette, juste pour le plaisir et après avoir filé rencard au vendeur. Très fort.
Puis dans une parapharmacie, comme Nico a presque rempli son panier, je comprends. Merde, il part mercredi. Je compte sur mes doigts. Et moi dans, oui, quinze jours.
Je pense : soleil, lézard, jus de fruits frais, rien.
Je pense : plages festives, peaux bronzées, parfum de sexe.
A mon tour je remplis un panier de crèmes solaires, hydratantes, préservatifs, etc. Hum ! Je sens déjà le sable sous mes pieds.
Plus tard, nous rejoignons Bo-Set et Mathias. Le British n’est plus d’actu mais Bo-Set si. Il y a longtemps que j’ai renoncé à comprendre – mais pas à envisager que nous aussi, modestes hétéros, puissions jouir d’une pareille liberté.
Pause. Je ne pense jamais que le petit nuage sur lequel je me perche parfois peut traverser des bourrasques et des flux de lumière glauque.
Laure, en soirée, en jupe Gucci fuchsia (que personne d’autre ne peut porter d’abord parce qu’elle doit valoir pas loin d’un Smic et deuzio parce que faut être sacrément classe pour pas faire Maréchaux avec une jupe fuchsia). J’ai récupéré un demi G, et on se passe une première partie de soirée sans même s’en rendre compte, à taper des traits et à parler de nos vies. Sur le coup, comme c’est toujours le cas avec la C, nous sommes les meilleures amies comme avant, rien n’a changé. Laure fantasme à mort sur le mec qui lui livre ses courses, elle se voit dans le rôle de la bourgeoise qui dévergonde le petit jeune : ça ne mange pas de pain, et ça lui requinque sa libido. Je suis bientôt dans une espèce d’euphorie, genre on est les deux plus belles salopes de la terre, et qu’ils aillent tous se faire foutre, son ex avec ses petites culottes, Lex, tout ce qui porte couilles. Ce n’est que tout à l’heure en y repensant que j’ai ressenti comme un malaise. Soudain à l’étroit dans mes souvenirs, je me refuse à la facilité d’en vouloir à Laure. Pourtant, c’est bien spontanément ce que je ressens : l’impression d’avoir été grugée.
Non, Laure n’est pas une sainte mère de famille souffrant son martyr avec courage et abnégation.
Non, Laure n’est pas une pauvre petite fille riche à plaindre.
Eh oui, Louise Nathalie, tu t’es encore aveuglée d’images à la con ; tu as trop lu les aventures de Martine quand tu étais petite, et la vérité, c’est que tu crois encore au prince qui sauve la princesse.
Deux joints plus tard, ou comment lire la vérité dans le pollen :
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Laure, mère digne sévèrement punie par la vie : faux. En vérité, je me suis projetée dans son vécu comme dans un idéal – les mômes, le fric, et cette puérilité de mariage (mais je suis puérile, ce n’est pas moi qui prétendrait le contraire) ;
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L’expérience de Laure montre à quel point la vie familiale à côté de laquelle je passe chaque jour un peu plus, n’est qu’un leurre, une énième mascarade du destin : faux. En vérité, depuis mon anniversaire, je tente de me convaincre que je me carre de toute envie de construction avec quelqu’un, tout ça parce que, pour une fois, je n’ai pas passé trois heures à sangloter sur Lex. Mais le manque est là, une carence qui endommage mes circuits vitaux. Alors il faut que je baise pour être sûre de ne pas disparaître tout à fait.
Et c’est ce qu’on a fait. On est allé se taper des mecs, comme au bon vieux temps. Naturellement. Deux types de son club de tennis, la quarantaine. Dans les affaires et l’adultère, 4×4 pare-buffles pour traverser un bout de Paris et finir dans une suite d’hôtel, à Invalides. Chacun le sien, et d’ailleurs, ça a duré encore moins longtemps pour elle que pour moi.
Dans le taxi, on ne s’est rien dit. Juste en descendant, Laure a murmuré : Je suis contente qu’on se soit retrouvées. Elle avait déjà claqué la portière quand j’ai compris qu’elle pleurait.
24/02/2003
Brunch et ciné avec ma mère décommandés. Pas la force.
Nico dans la soirée, heureusement.
26/02/2003
Dans la nuit, je travaille pour la société de Batman. J’aime mon emploi, qui est secret. Du haut de l’immeuble, je regarde la ville, la nuit, les hauts immeubles tachetés de lumière, les promesses de vie. Et les rouages que nous entretenons car c’est ce que nous devons faire. Nous sommes nombreux, des fourmis, chacun à son poste, et pourtant, triés sur le volet pour une fonction précise. La mienne est d’ouvrir les portes à Batman, le moment venu, de lui permettre d’accéder au vaste monde. C’est une noble tâche que je remplis avec une sorte de sagesse, consciente de ma chance.
Ce matin, dans l’ascenseur, Cyril avec un cadre administratif. Bonjour-bonjour, mais il y a autre chose – ou sont-ce encore mes interprétations de midinette. J’en profite pour le regarder de près, sans gêne. J’en ai marre de la gêne. Mon rêve était beau parce qu’il n’y avait pas de ces sentiments de frustration qui teintent nos journées.
Cyril est plaisant, élégant comme tous ces mecs qui gagnent des pacsons, ont toujours eu une mère, une femme, une bonne pour leur repasser leur chemise et leur nouer leur cravate. Il a la légèreté et le sarcasme de ceux à qui la vie appartient, qui évoluent convaincus de leur supériorité. Des gagnants, disait-on dans les années quatre-vingt. En fait, de banals rejetons de bonnes familles (je me compte dans le lot), à qui rien de grave n’est arrivé et n’arrivera jamais, dans une impitoyable logique qui assure au monde une inégalité éternelle.
Ceci dit, il a quelque chose de plus. Son sarcasme. Sa désinvolture naturelle, à la fois distant et attachant. Envoûtant, même, si je m’en réfère à des instants communs.
Envoûtant, oui. (Pour être honnête, il me fait complètement craquer.)
Plus encore quand, sortant de l’ascenseur, il me flatte la raie d’une main appuyée.
Une journée qui commence au service de Batman et se poursuit par une petite mouillette : ten points for me.
Mimi est en arrêt maladie, ce qui nous dispense de ses geignardises pour quinze jours.
Sur ma lancée, briefing avec deux rédactrices qui préparent un dossier sur sommeil et bien-être. Comme à chaque fois, je crois que ce genre de marronnier va prendre dix minutes de préparation, juste le temps de se répartir les thèmes, mais non, c’est encore des histoires sans fin pour la répartition des feuillets, des guérillas en devenir pour des places dans le chemin de fer, et je vois déjà l’une comme l’autre qui demain, après-demain, viendront réclamer ce qu’elles considèrent chacune comme leur dû, du fait de leur éminente connaissance du sujet, y a pas de raison que je ne fasse pas le papier d’ouverture, ce sujet-là est pour moi, etc.
Moi, je pense : soleil, lézard, jus de fruits frais, rien.
Je pense : plages festives, peaux bronzées, parfum de sexe.
Et : la main de Cyril, le regard de Romain Duris, qui se cache sous le masque de Batman ?
La matinée est vite passée.
Déjeuner avec Aurélie. Comme on pile, debout sur le frein. L’hallu.
Elle est devenue la mascotte de son club, les coups de fouet la font frémir juste même maintenant comme elle me parle. Grand moment, depuis la semaine dernière on la sort : traduction, c’est dehors qu’elle fait le chien-chien. « Pas toujours à quatre pattes, mais ils m’emmènent du côté de la place Dauphine, mains attachées dans le dos, juste en combinaison. L’autre soir, ils m’ont livrée à des types, ils devaient être une dizaine, qui m’ont couverte de sperme. » Elle raconte ça en se tortillant sur son siège, les joues rosies. « Ils ne m’ont pas touchée, prévient-elle comme si on doutait de sa candeur. Juste une branlette collective. » Elle va trop loin, elle me débecte. Un jour, elle se fera salement violer et récoltera de l’occupation pour les quelques années qui lui resteront à vivre. Un jour elle se réveillera et ne pourra pas se faire face. Dernier appel pour les passagers du vol Valium.
Ceci ne me concerne pas. Cette fille ne me concerne plus.
C’est comme :
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les photos de moi prises dans ma période brown ;
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la copine qui disparaît avec ma plus belle bague – et réapparaît au bras de mon ex ;
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les soirées condomless.
Ça ne devrait pas exister.
En début d’aprem, j’avale une boulette de shit pour ne plus penser à tout ça et planer un peu.
Et je pense : les Hitchcock à nouveau sur grand écran, ça peut être sympa.
Je pense : pas trop tard pour une opération carotène avant mon départ.
Je pense : si je me coinçais Cyril un de ces soirs.
Pour finir, je décide de ne pas attendre un de ces soirs et de continuer sur ma lancée. Je lui passe un coup de fil. Le chauffe, d’emblée – le prétexte de ses doigts ce matin sur mon cul, dont je n’arrive pas à détacher ma pensée.
Je mouille.
Plus je le lui dis, plus je mouille.
L’escalier de secours du parking. Inusité. Je l’attends. Je n’ai pas allumé, juste la veilleuse de secours. La porte grince, ma gorge se serre. Il ne dit rien, me colle le cul contre le mur, nos langues se retrouvent, son sexe grossit contre ma hanche. Nous haletons, quelques mots fusent, garce, viens je te suce. A quatre pattes sur le béton de l’escalier, j’ai relevé ma jupe, il me doigte et je jouis une première fois. Chaque râle, c’est comme si j’effaçais un peu plus ce moment avec le tennisman, celui avec Aurélie, avec tout ce qui me pollue mais dont je n’arrive pas à m’abstraire. Il me prend d’un coup de rein, tout au fond. Reste là sans bouger, grogne. Ses mains me possèdent, sa queue me possède, je ne m’appartiens plus. Il accélère, trouve le rythme qui nous convient et je disparais bientôt dans le plaisir.
27/02/2003
L’ambiance se dégrade de jour en jour. Depuis hier, certains personnels sont en grève, suite à des rumeurs prétendant qu’ils seraient les premiers touchés par les licenciements. Les syndicats en négociations, des ragots à n’en plus finir sur l’éventualité d’un rachat.
Heureusement, Nico dans l’avion à l’heure qu’il est. And fly fly away, from this dirty boulevard.
Dîner avec maman et Pierre venus pour un spectacle dont je me suis empressée de tout oublier.
Mado voudrait reprendre des études. Elle a toujours voulu être actrice selon maman – et l’a toujours été, selon moi. Maintenant que les petits sont scolarisés, elle se voit dans son deuxième rôle, celui de star. Encouragée par maman qui elle-même a toujours rêvé en secret de plateaux de cinéma, de silence-ça-tourne, et de castings. Et qu’en dit son informaticien de mari ? Grimace de maman qui signifie : tu le connais comme moi, incapable de voir plus loin que le bout de son clavier. Et moi : tant que le couvert sera dressé pour vingt heures et qu’on le laissera bidouiller ses PC avec ses copains, Mado pourra faire ce que bon lui semble.
Julien est une triple buse. Et Mado une triple nouille pour avoir cru – et encore, après deux enfants – que le vilain petit canard devant sa machine, as du réseau et du jeu en ligne, allait sortir de son cockpit et devenir un tendre et beau cygne sociable.
Hier, sur ma lancée, un e-mail à mon Duris. A suivre.
Invitée chez Laure vendredi pour un de ces dîners rive gauche.
01/03/2003
J-7.
Déjeuner avec Audrey qui a bien la pêche et part en reportage pour une tournée de grands hôtels nord-européens (Suède, Danemark, jusqu’à la Laponie) pour une page Voyage. Pas mal ! Je m’y vois bien, tous frais payés, me rouler nue dans la neige avec quelque(s) beau(x) Suédois avant de se réchauffer sur des peaux de bêtes grand luxe. Encore maintenant je me demande pourquoi j’ai accepté de bifurquer vers le magazine – plus particulièrement vers le féminin. Quant à proposer des piges à Libé : quoi ? Un deux feuillets sur les tisanes new age pour les pages Vous ? Une étude comparative sur la vente de capotes dans les différents pays d’Asie du Sud-Est ? No way. Pour l’instant, je gagne ce qu’il me faut pour me payer des Marc si mes pieds me le recommandent et m’envoler où je veux, quand je veux, en avion ou avec n’importe quelle substance. Enough.
Mail de Duris, qui s’appelle en fait Rob – un Américain ? (Ce qui me fait penser qu’il y a un moment que je ne me suis pas « fait » un musée ; ça attendra mon retour.)
Ce soir ?
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« Louna : sexe, vices et versa » est un texte de l’écrivaine et journaliste Agnès Peureu écrit en 2005.
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