[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]P[/mks_dropcap]eter Perrett, ancien leader de The Only Ones a sorti récemment How The West Was Won, son premier album en vingt ans. Enfin libéré de son addiction à la drogue, il a retrouvé, à soixante ans passés, le plaisir de vivre malgré une santé fragile. Cette résurrection est passée par un soutien sans faille de sa femme et de ses deux fils, qui l’ont bousculé pour revenir sur le devant de la scène. Il nous raconte dans cet entretien les années passées en pleine léthargie, le plaisir de réapprendre à jouer, le choc rencontré lorsqu’il a redécouvert le monde extérieur et les réactions parfois violentes rencontrées par l’écoute des paroles du seul texte politique de son nouvel album.
Comment t’es venue l’envie d’enregistrer un nouvel album ?
Suite au dernier concert reformation des Only Ones en 2012, je n’ai pas joué la moindre note pendant trois ans. J’ai arrêté définitivement la drogue et je me suis focalisé sur ma santé. Redevenir une personne normale avec une vie saine était ma priorité. Puis, sans vraiment m’en avertir, ma femme m’a booké quelques concerts solo l’été 2015. Trois en Angleterre, un à Amsterdam. J’ai ressorti ma guitare pour m’y préparer, et de nouvelles chansons sont venues immédiatement. Quelqu’un de chez Domino Records a assisté à la date de Londres et on m’a proposé de signer un contrat chez eux quelques mois plus tard.
Ta femme et tes enfants sont très présents autour de toi. Tes deux fils sont musiciens et t’accompagnent sur scène, ta femme a essayé de relancer ta carrière.
Penses-tu que sans eux cet album n’aurait pas vu le jour ?
Je n’aurais jamais touché une guitare à nouveau sans leur amour et leur soutien. Ils m’ont permis de me relancer. Il ne faut pas non plus sous-estimer le rôle de Laurence et Jacqui de chez Domino Records. Je les considère comme une extension de ma famille. Eux aussi me donnent de l’amour. Un amour différent, certes, mais j’ai besoin d’être couvé pour avancer. Jeune j’étais indestructible, je n’avais besoin de personne. Aujourd’hui je suis fragile. Etre entouré de gens en qui j’ai confiance pour me sentir confortable est indispensable. Mes enfants me connaissent mieux que personne. Ce sont d’excellent musiciens, c’est un bonus. Avoir ses enfants dans son groupe est un process bien plus organique que de faire passer des auditions à des inconnus (rire).
Pourrais-tu nous décrire la période d’écriture de ce nouvel album ? A t-il été long après toutes ces années d’inactivité ?
J’ai dû réapprendre à respirer, chanter et composer. Malgré ça, en un an je tenais un album. Je ne suis pas quelqu’un qui décide un jour d’écrire une chanson et se met au boulot. Travailler sur mes vieux titres pour cette série de concerts m’a emmené vers d’autres pistes. Pour la première fois de ma carrière de compositeur j’ai eu de la chance. J’étais satisfait de chaque titre. J’ai travaillé avec un groupe pendant tout le processus d’écriture. Ca permettait de tester en direct ce qui fonctionnait ou non. Les titres coulaient à flot. Il en reste beaucoup qui n’ont pas été enregistrés. Certains ont déjà été testés sur scène. Je vais essayer d’entrer en studio pendant les fêtes de fin d’années pour en enregistrer une partie. C’est étrange, je me sens excité comme un gamin. Il y a des singles potentiels dont je suis fier. J’ai hâte que le public les découvre.
Pour une bonne partie de ton public, tu resteras à jamais un artiste lié à The Only Ones. Tout ce que tu vas sortir y sera systématiquement comparé.
Cela ne te gène t-il pas trop ?
Il y a un public pour la nostalgie. Certains artistes remontent sur scène pour les mauvaises raisons. Ils jouent le jeu, mais le cœur n’y est pas forcément. The Only Ones ont été actifs de 2007 à 2009 pour leur reformation. J’étais présent de corps, mais mon esprit était ailleurs. Je n’ai pas rendu justice au groupe. De toute façon, la nostalgie et moi ça fait deux. Je ne prends pas particulièrement de plaisir à jouer les vieux classiques. Pour ma tournée actuelle, seuls trois titres de The Only Ones figures sur la set-list chaque soir. Je peux me le permettre car je sais par expérience que mon public est aventureux. Ils me comprend en tant qu’artiste.
Comment était-ce de se retrouver en studio d’enregistrement pour la première fois en 20 ans ?
Savoir que des gens allaient à nouveau pouvoir écouter mon travail a été une grosse motivation. J’avais le sentiment que plusieurs vies s’étaient écoulées depuis mon dernier album, Woke Up Sticky, sorti en 1996. Principalement parce que pendant tout ce temps je suis principalement resté assis sur un lit à la maison. Je ne voulais surtout pas décevoir les fans. Dernièrement, je me suis mis aux réseaux sociaux. J’ai même un smartphone. Je parle avec mon audience sur Facebook. Certaines m’ont encouragé, soutenu. Nous avons sympathisé virtuellement. Je m’en veux d’avoir mis si longtemps avant de sortir un nouvel album, car certains ne sont plus de ce monde aujourd’hui.
Cela fait plaisir de te voir aussi enthousiaste à propos de ton art, et du futur !
Oui mais ce plaisir je le chéris au jour le jour. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Nous avons une tournée de prévue en mars aux Etats-Unis, mais je ne sais pas si je serai encore là dans quelques mois. Je n’ai pas une grosse santé.
Ta voix est mise en avant dans le mix de ce nouvel album. Avais-tu envie que l’on prête particulièrement attention à tes paroles ?
J’étais dans un état physique déplorable lors de la reformation de The Only Ones. Ma voix en a souffert. Quand je regarde des vidéos datant de l’époque sur internet, ça me rend malade. Aucune émotion ne s’en dégage. Ma priorité pour ce nouvel album était de retrouver une voix qui sonne bien pour rendre justice aux paroles. Je voulais un album intimiste. Il est si facile en studio de faire l’inverse. De noyer tes textes dans la musique. Je me suis dévoilé comme jamais dans ces nouveaux textes. Il fallait qu’ils donnent de la puissance à How The West Was Won.
Est-ce pour la même raison que l’instrumentation va à l’essentiel ?
Exactement. Rendre ta musique flamboyante en ajoutant dix couches de guitares est une astuce utilisée par presque tout le monde. J’ai préféré pour ce disque mettre mes émotions à nu. Ça devait passer par une instrumentation simple. Aucun titre n’essaie de sonner mieux que ce qu’il n’est à l’état pur. On y entend chaque instrument très distinctement. How The West Was Won a été enregistré live. Seuls deux titres ont été retravaillés.
Est-ce pour capturer ces émotions à l’état brut que tu as fait appel à Chris Kimsey ? C’est un vieux producteur avec un CV impressionnant (The Rolling Stones, Peter Tosh, Ten Years After etc ).
Exactement. Il savait exactement comment y arriver. Le résultat est fidèle à ce que j’avais en tête. Pour l’album du retour, je voulais m’offrir au public et libérer mon âme. Ce sera différent pour le suivant. Je vais m’éloigner de ce son et revenir à quelque chose de plus musclé.
Tes émotions se véhiculent moins à travers la politique sur ce disque. How The West Was Won n’est pas un disque aussi engagé que nous aurions pu l’imaginer. Ton intérêt pour ce qui se passe dans le monde est pourtant toujours aussi vif. Pourquoi ce choix ?
ll y a quatre chansons d’amour. Seule la chanson titre, How The West Was Won est légèrement politique. Elle est teintée d’humour, pourtant certaines personnes se sont senties visées et me l’ont fait savoir. J’ai même été traité d’antisémite en Allemagne parce que je mentionne les Rothschild dans le texte. Pourtant, j’ai tout fait pour ne pas être trop brutal. Effrayer les gens m’inquiétait. La dynastie Rothschild a fait beaucoup de mal autour d’elle. Sous prétexte qu’ils sont juifs, pourquoi n’aurais-je aucun droit de les critiquer ? L’ironie étant que la personne qui m’a violemment critiqué ne savait même pas que je suis également juif.
La politique divisera toujours quoi qu’il arrive.
C’est un terrain dangereux. Tu finis toujours par vexer quelqu’un même en abordant un sujet avec tact et humour. J’ai beaucoup d’amis formidables, très humains qui ont des idées politiques diamétralement opposées aux miennes. Il faut que je fasse attention à ce que je dis, car même les nazis aimaient leurs enfants et leurs animaux domestiques (rire). Dans les années 60, la musique et la politique étaient liés. On chantait les protest songs de Dylan dans les marches pour les droits civils. Il y avait de véritables mouvements. Cette époque est révolue. Tout semble contrôlé par moins d’un pourcent de la population. Ça ne m’empêchera pas d’essayer de dire la vérité. Aucun de mes textes ne changera la face du monde. Si j’arrive à faire réfléchir quelques personnes, c’est déjà énorme.
Un seul titre, Living In My Head, n’a pas été composé en solo, mais cosigné avec ton fils Jamie. Pourrais-tu nous parler de cette collaboration ?
Cette chanson n’aurait jamais existé sans lui. Il a trouvé un riff pendant un temps mort en studio. Quand j’ai entendu ça, une mélodie m’est venue aussitôt en tête. Je suis fier de lui c’est un excellent musicien. Il tente d’apporter de nouvelles idées, mais je suis plutôt du genre à vouloir tout contrôler.
Avec sa grande expérience, Chris Kimsey a dû aussi tenter de t’apporter quelques idées. Es-tu toujours hermétique quand tu n’es pas convaincu par quelque chose ?
Il a proposé de restructurer un des titres. Étant dorénavant un passionné des smartphones, je lui ai répondu par sms : “Ce n’est pas vraiment une bonne idée”. En ajoutant un smiley avec une tête grincheuse (rire). Mais il a eu quelques bonnes intuitions. Par exemple, sur Living In My Head. Le titre avait été enregistré sans lui avant que le contrat avec Domino ne soit finalisé. Il a suggéré de rééquilibrer l’instrumentation pour ajouter de la tension au titre. Il avait raison. Chris a ajouté de petites touches qui ont bénéficié à l’album.
Tu as enregistré How The West Was Won aux studios Konk, dont le propriétaire est Ray Davis des Kinks. Tu as repris un de leur titre, I’m Not Like Everybody Else par le passé. Se retrouver là avait-il du sens pour toi ? As-tu croisé Ray ?
Il est passé deux fois au studio pendant l’enregistrement car c’est un ami de longue date de notre producteur. Nous avons échangé brièvement. C’est un type très sympa. J’ai acheté mon premier album des Kinks en 1964. Je suis un inconditionnel de tout ce qu’ils ont fait jusqu’à 1966. Après ça ils ont perdu de leur splendeur en tentant de séduire le marché américain. J’aimais leur look, leur côté dangereux. On ne retient souvent que les Rolling Stones quand on évoque les mauvais garçons de l’époque, mais pour moi les Kinks avant musicalement et esthétiquement un côté plus effrayant.
Quel est ton rapport à la musique aujourd’hui ? Quelle place occupe-t-elle dans ta vie ?
S’il n’y avait que moi, je passerais mon temps à écouter Bob Dylan ou le Velvet Underground. Les gens reviennent toujours à leurs premières amours. La musique qu’ils écoutaient entre 13 et 17 ans. C’est la période pendant laquelle tu commences à t’affirmer. La musique dominait ma vie, elle rendait tout plus supportable. Mes enfants me poussent à découvrir de nouveaux artistes. Une des rares que j’ai aimée est Courtney Barnett. Ses textes sont brillants et drôles. L’humour dans les paroles est très important pour moi.
Est-ce important pour toi de te retrouver aujourd’hui sur Domino, un label indépendant ?
Oui car j’ai appris de mes erreurs. Rejoindre CBS avec The Only Ones en était une grosse. Les gens qui nous ont signés n’étaient pas les propriétaires du label. Six mois après ils sont partis travailler ailleurs et plus personne ne voulait s’occuper de nous. Si quelque chose n’allait pas et que tu souhaitais échanger avec quelqu’un tu ne rencontrais aucun degré d’humanité. Nous aurions mieux fait de signer avec Chris Blackwell chez Island ou Seymour Stein chez Sire. Ces deux là étaient fans du groupe et dirigeaient de grosses maisons de disques. Mais nous n’avions aucune notion du business. Je plains les artistes qui débutent aujourd’hui car la situation s’est empirée. Domino est un des plus gros labels indépendants et pourtant on s’y sent en famille. On écoute ce que j’ai à dire. J’ai à la fois la grosse structure et l’attention souhaitée. Que demander de mieux ?
Marc Almond déclarait récemment dans une interview qu’il ne reconnaissait plus le Londres dans lequel il a évolué dans les 80’s. Toi qui est resté enfermé chez toi pendant de longues années, quelle est aujourd’hui ta vision de cette ville dans laquelle tu habites toujours ?
Je constate ce changement bien plus que n’importe qui d’autre. Je suis beaucoup sorti dans les années 80, puis très brièvement dans les années 90. Le reste du temps je passais le temps enfermé dans une pièce. Quand j’ai émergé je me suis demandé où étaient passées les classes populaires ? J’ai l’impression que l’on a nettoyé cette ville au Karcher. Les salles de concert ont été démolies pour construire des immeubles de luxe. C’est une ville dominée par les riches.
Tu ne sortais pas de chez toi, mais te tenais-tu informé de ce qui se passait à l’extérieur par le biais des journaux ou des informations télévisées ?
Non, je passais ma journée à fixer un mur. Je n’étais même pas conscient de son existence car j’étais enfermé dans ma tête. La télévision était parfois allumée, mais elle ne dégageait qu’un son abstrait. Je me souviens juste d’avoir regardé quelques matchs de foot, une de mes passions. Mais là aussi je ne comprenais pas trop ce qui se passait. Aujourd’hui tout va mieux et j’apprécie de regarder les matchs d’Aston Villa, mon équipe préférée. Ca fait du bien de revivre.
Crédit photos : Michela Cuccagna
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