[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]’année 1993 marquera donc l’arrivée du trio de Yo La Tengo chez Matador, meilleur label américain du monde à cette époque (Pavement, Superchunk ou encore distribution de Moonshake aux States). Pour ce faire, le groupe va s’employer à sortir son meilleur album jusque-là, Painful.
Premier album de ce qu’on pourrait appeler leur période bleu profond (comprenant donc Painful et And Then Nothing Turn Itself Inside-Out), en opposition à leur période chamarrée (Electr-O-pura et I Can Hear The Heart Beating As One), le trio en profite pour mettre en sourdine le Noise Rock Psyché légèrement aride de May I Sing With Me, favoriser la torpeur, les chuchotements et parfaire un style, une identité qui leur siéra (Léone) bien mieux.
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Painful va donc poser les bases de leur identité à venir : un mélange unique de torpeur hébétée, de décharges soniques et mélodiques toutes en retenue, à l’image des deux versions de Big Day Coming. La première, longue introduction marécageuse murmurée où les larsens se noient sous des boucles orguaniques (néologisme assumé), contrastera avec la seconde réinterprétée (quasiment à la fin) sur un mode sonique et un tantinet bordélique. [/mks_two_thirds]
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Entre les deux, le trio découvre toutes les possibilités de leur nouvelle palette musicale : du charme du murmure (aucune chanson n’est chantée en élevant la voix comme certains morceaux de May I Sing With Me, que ce soit de la part d’Ira ou Georgia), en passant par la noisy pop façon My Bloody Valentine sur From A Motel 6 ou Double Dare (où des larsens se frottent à un orgue jouant l’apaisement), jusqu’à l’étrangeté Badalamentienne (Nowhere Near où sous une apparente normalité le calme pop est lézardé de larsens ravageurs), c’est tout un monde crépusculaire, comme en fin de course, qui s’ouvre à nous.
À vrai dire, Painful, c’est ce moment étrange, cet entre-deux où le jour cède lentement à la nuit, cet instant où tout s’oppose, entre calme et coups de griffe ; de la part de l’orgue, véritable colonne vertébrale de ce disque, dans un rôle aussi apaisant que bordélique (Sudden Organ, qu’on pourrait croire sorti du White Light du Velvet) voire parfois inquiétant (Big Day Coming), ou des guitares (apaisées sur la sublime reprise des Only Ones, légères sur A Worrying Thing ou psychédéliques à la limite du noise sur I Was A Fool).
L’équilibre trouvé par le trio sur Painful leur amènera quelque chose d’inédit, qu’ils avaient entrevu avec Fakebook : la reconnaissance. Artistique, dans un premier temps (le nom de Yo La Tengo va finir par circuler bien au-delà des États-Unis. Pour preuve, Chris Knox, génie indie pop lo-fi Néo-Zélandais réalisera l’artwork de Painful), puis critique, allant jusqu’à en intriguer un bon nombre au point de réviser leur jugement sur le groupe (passant de groupe mineur à groupe qui commence à compter).
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Il est vrai qu’en 1993, aux États-Unis, Painful fait un peu l’effet d’un ovni : pour résumer très, mais alors très brièvement, vous aviez d’un côté les Slackers (Pavement et compagnie), de l’autre les Grunges (Nirvana et consorts). Vous imaginez aisément le décalage entre ces deux mouvements et les chansons vaporeuses et électriques de Painful.
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Deux ans plus tard, le trio change de braquet, sort de l’éther de Painful et publie Electr-O-Pura, disque plus éclectique que son prédécesseur. Malheureusement, s’il est plus ouvert que Painful, le résultat sera quant à lui plus mitigé. Avec Electr-O-Pura, Yo La Tengo tente de rejoindre le wagon qu’ils ont loupé deux ans plus tôt en s’essayant au lo-fi (Bitter End) ou au noise mâtiné de slacker (Attack On Love).
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Mais les Hobokeniens y perdent un peu de leur singularité. Ce qui faisait le charme de Painful s’est évaporé laissant place à un disque bancal, un peu brouillon, contenant quelques fulgurances (Pablo & Andrea, The Ballad, Hot Chicken #1), des redites (Tom Courtenay ou Blue Line Swinger par exemple, évoquant Painful), voire même des ratages (False Alarm ou Attack On Love) et laissant au final une impression de rétropédalage les ramenant au temps de May I Sing With Me.
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Pour l’anecdote, on notera qu’Electr-O-Pura est le seul disque sorti dans les 90’s (hors May I Sing With Me évoqué précédemment par BeachBoy) qui ne comporte pas de reprises. Autre anecdote, plus drôle : le groupe s’est amusé à changer l’ordre et le temps des chansons sur la pochette arrière du CD prétextant que ceux qui aiment les chansons pop et courtes auraient zappé les morceaux longs.
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Toujours est-il qu’avec le recul, si Electr-O-Pura est un semi-échec (ou une semi-réussite si on veut positiver), on peut également le percevoir comme le brouillon de ce qui suivra, à savoir le monumental I Can Hear The Heart Beating As One, album de la reconnaissance publique (Autum Sweater est ce qu’on appelle communément un tube) et triomphe critique.
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Album le plus ambitieux du trio, I Can Hear est une tentative, réussie, de couvrir en un peu plus d’une heure tout le spectre de la musique indépendante (ou pas) Américaine (ou pas).
Que ce soit les sixties (l’étonnante reprise noise du Little Honda des Beach Boys, ou celle, très belle, de Anita Bryant), les seventies (Spec Bebop, long instrumental évoquant à la fois Can et les synthés sinusoïdaux de Silver Apples), la musique expérimentale, le folk lo-fi, en passant aussi par le laidback space à la J.J. Cale (Green Arrow), la dream-pop (The Lie), la douceur pop exquise (One PM Again) et même la bossa-nova (Center Of Gravity), leur appétit semble insatiable.
Et là, à l’inverse de Electr-O-Pura, tout leur réussit.
Avec des morceaux doucement déviants (le jazzy et dissonant Moby Octopad en ouverture, la fin de Sugarcube par exemple), en revisitant leur discographie (Spec Bebop, entre Mushroom Cloud et Sleeping Pill sur May I Sing With Me) ou en s’inscrivant dans son époque (We’re An American Band, comme échappé d’un Red House Painters), I Can Hear contient de très nombreux sommets (Damage, Autumn Sweater, Green Arrow, Center Of Gravity entre autres) et très peu de moments faibles (en étant de mauvaise foi, on pourrait citer Deeper Into Movies, mais c’est vraiment pour chercher la petite bête).
Il faut mettre cette réussite non seulement sur le compte de l’écriture des chansons, de très haut vol, mais aussi sur l’intelligence du groupe à trouver un équilibre presque parfait entre ces seize morceaux, alternant électricité et acoustique, moments noise et d’autres plus calmes, pop et expérimentation, faisant de I Can Hear leur premier album à rencontrer un succès public (73.000 albums seront écoulés en 2000, 300.000 en 2012).
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Trois singles en seront extraits dont le fameux Autumn Sweater, réussissant l’exploit de faire sortir de sa retraite anticipée Kevin Shields, dont nous étions sans nouvelles depuis 1991. L’un des deux autres singles (Sugarcube) bénéficiera de la présence de Bob Odenkirk et David Cross (triomphant alors dans un show télévisé Mr Show With Bob And David) lors de l’élaboration du clip.
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De plus, avec Stockholm Syndrome, c’est la première fois que McNew chante sur un disque de Yo La Tengo depuis son arrivée.
Et une dernière pour la route : si vous jetez un œil sur le livret, vous remarquerez que le trio s’est éclaté à jouer avec les clichés leur collant à la peau, à savoir celui d’un groupe de rock critics avec une connaissance encyclopédique. Pour ce faire, ils vont donc créer de toutes pièces des noms de groupes, accompagnés d’un texte, d’une photo de pochette et des référence fantaisistes. Pourtant si vous regardez bien, vous noterez qu’un des noms sera utilisé plus d’une dizaine d’années après par le trio pour sortir un album de reprises garage je-m’en-foutistes et potaches, Fuckbook de Condo Fucks en 2009.
Maintenant que le groupe a sorti son album le plus dense et complet jusque-là, comment envisager la suite de I Can Hear ?
Simple, voire très simple : en opérant un repli sur soi.
Même si entre 1997 et 2000 ce n’est pas évident au premier abord, le groupe continue de sortir des disques à une cadence étonnante (Strange But True, album avec Jad Fair et Little Honda, EP de reprises en 1998, Some Other Dimensions In Yo La Tengo, EP jazz en 1999), le trio va finir par se poser pour sortir son disque le plus cohérent à ce jour.
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Tiré d’une citation de Sun Ra, (At first there was nothing )… And Then Nothing Turned Itself Inside-Out (and became something) voit le jour en 2000. Ici, plus question de s’éparpiller, partir dans tous les sens, le groupe retrouve la singularité de Painful, ambiances éthérées et mystérieuses, et joue la carte de l’apaisement.
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Déjà, avant d’écouter quoique ce soit, on constate que le disque est d’une cohérence étonnante, jusque dans son découpage, idéal pour le support vinyle. Treize titres, trois faces débutant par une chanson de six minutes, suivie de trois autres oscillant entre quatre et cinq minutes, la dernière se constituant d’un morceau de près de vingt minutes.
Ensuite, une fois play appuyé, l’auditeur va de surprises en surprises. La première est simple et se remarque dès les premières secondes d’Everyday : exit l’exubérance de I Can Hear, retour à l’intime. C’est donc avec joie qu’on accueille les larsens millésimés Painful, le chant murmuré d’Ira et Georgia, l’étrangeté familière et l’enveloppe sonore si caractéristiques du trio.
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La nouveauté ici réside dans le surplace effectué par le morceau. Everyday forme une boucle qui ne changera pas d’un iota mais de laquelle s’extraira parfois des bruits incongrus à la limite de la dissonance conférant ce sentiment d’inquiétude. Our Way To Fall va enfoncer le clou, mais à l’inverse, la douceur se dégageant du morceau va envelopper l’auditeur et balayer l’inquiétude générée par Everyday, jouant l’apaisement dans une ambiance crépusculaire, propice aux confidences.
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La seconde surprise arrive ensuite avec Saturday : le trio se met à l’électro. Rassurez-vous, ce ne sont pas les Chemical Brothers ou Aphex Twin, non, c’est à l’image du trio : discret et élégant. Quelques samples, des glitchs, l’abandon de la batterie, le retour de l’orgue presque au premier plan et une basse bien plus présente qu’à l’habitude. Voilà, c’est simple et presque sans fioritures. Et ça durera sur trois morceaux encore.
Ainsi, sur la première moitié de l’album, Yo La Tengo va donc s’employer à jouer une musique lente, atmosphérique pourrait-on dire, discrètement électro avec quelques touches jazzy (The Crying Of) et d’une touchante mélancolie. Sur les six autres, le groupe va revisiter son répertoire habituel, à savoir la pop (avec l’étonnante reprise de George McCRae, You Can Have It All, à l’origine excellent tube disco/soul de 1974), la ballade déchirante (Tears Are In), le noise (Cherry), la pop sous tranxene (From Black) ou non (Madeline), et l’instru tirant sur l’expérimental avec une réminiscence noise dans le lointain.
Toutefois, n’allez pas croire que ce retour s’accompagnera d’un relâchement, au contraire, là aussi le trio va se brider et jouer la cohérence jusqu’au bout en baignant sa musique dans une douce lumière crépusculaire, entre apaisement et mélancolie. Cependant, là où Yo La Tengo va marquer les esprits, c’est avec Night Falls On Hoboken, treizième morceau sur lequel, pendant sept minutes, ils vont nous gratifier d’une balade acoustique superbe puis dériver vers un long drone de dix minutes. Mais pas un drone bruitiste, bordélique, comme dans May I Sing With Me, non, là il s’agit d’un drone dérivant peu à peu vers l’ambient, dans lequel vous vous installez confiant, en suivant la basse dans un premier temps puis en vous laissant complètement dériver dans l’inconnu par la suite, une fois que celle-ci se sera tue.
Un drone fermant logiquement un disque où le groupe tente et parvient avec brio à intérioriser sa musique, prenant le revers des deux précédents disques ainsi que ses fans.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]lors, après une période qu’on pourra qualifier de féconde avec trois disques majeurs à son actif et un moins inspiré, que va-t-il se passer pour le trio Américain ?
Continueront-ils sur leur lancée ou s’arrêter plusieurs années et utiliser les profits générés par les ventes astronomiques de I Can Hear The Heart Beating As One pour monter une usine de donuts végétaliens ?
Voilà un mystère que Davcom se propose de résoudre dans la suite de cette story pour le moins passionnante.
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