Albin de la Simone est un homme qui court. Il ne s’arrête jamais. La musique, le dessin, l’écriture, les collaborations… il a mille et un projets.
Et quand il n’arrive pas à écrire de textes, il compose. Ainsi il y a deux ans, en pleine pandémie, il avait eu l’idée d’un album instrumental ; et c’est ainsi qu’était né Happy end.
Et puis l’inspiration est revenue, avec l’envie, le besoin d’écrire, de raconter, de partager. Et pourquoi pas de reprendre certains instrumentaux du dernier album en les habillant de textes ?
Avec Les cent prochaines années, Albin de la Simone plonge encore plus loin dans l’intime, et nous offre une nouvelle œuvre personnelle et sensible dont lui seul semble avoir le secret.
C’est dans les bureaux de son label bien aimé Tôt ou tard que j’ai eu la chance de le rencontrer.
Assise à l’attendre dans l’espace dédié aux interviews, je lutte contre l’envie de cacher dans mon sac le vinyle tout neuf qu’on a déposé à côté de moi (A cette date l’album n’était pas encore sorti).
D’un côté une photo en noir et blanc de l’artiste enfant dans les bras de sa mère, de l’autre un cerf peint par Rosa Bonheur. Un décalage voulu et assumé, qui rappelle que l’émotion et l’humour font partie intégrante de son univers.
Au bout de quelques minutes, il arrive, décoiffé, ou pas coiffé du tout. Décidemment Albin de la Simone est un homme qui court, mais surtout un homme éminemment sympathique !
Addict-Culture : Comment est-ce qu’on vit la sortie d’un nouvel album ? Est-ce que c’est un moment joyeux, est-ce que vous êtes fébrile ?
Albin de la Simone : C’est un moment hyper joyeux ! Le vinyle est très beau, je suis vraiment content. Après c’est également un moment anxiogène, parce qu’on monte les concerts en même temps, on répète, on se demande si on sera prêts à temps… est-ce que le disque va plaire, est-ce qu’il va marcher…? On ne sait pas ! Il y a un petit côté « J’ouvre une porte avec uniquement des points d’interrogation devant », mais par contre je l’ouvre avec une grande joie et une grande fierté.
La pochette a deux faces de styles totalement différents. Vous pouvez m’en dire plus ?
Albin de la Simone : Alors déjà il y a un troisième élément important qui complète le vinyle, c’est la sous-pochette magenta ! (Rires) Pour moi cette sous-pochette est très importante pour faire le lien entre les deux images. Déjà le rapport entre la photo et la peinture de Rosa Bonheur pour moi il est évident, avec d’un côté un enfant qui représente l’intimité, la force de la vie, la spontanéité, et de l’autre le cerf, qui représente la nudité, la pureté, la force aussi. En même temps au-delà de la symbolique, les deux images sont complétement opposées d’un point de vue graphique, et il manquait un élément pour créer un accident. C’est là que la sous-pochette magenta tient tout son rôle ! Bon bien sur tout ça est purement graphique.
Ça c’est le point de vue du dessinateur !
Albin de la Simone: Oui, et aussi de l’amateur de couleurs ! Il n’y a qu’à regarder mes vêtements ! (Rires)
Pour revenir sur l’album, c’est le retour des textes après l’instrumental Happy End il y a deux ans. Vous disiez à l’époque avoir été « asséché » par la pandémie. On peut dire que l’inspiration est revenue ! Comment est-ce qu’on retrouve l’envie d’écrire, c’est quoi finalement le déclic ?
Albin de la Simone : J’avais écrit quelques chansons avant le confinement. Mais en effet à ce moment-là, l’idée d’aller creuser dans mon intimité, ou même d’écouter des chanteurs qui racontaient en français des choses sur leur vie, ça ne me disait plus rien du tout. J’avais juste envie de musique, et d’être accompagné en douceur dans ce qu’on traversait. Aucun mot ne venait ; mais par contre j’avais beaucoup de musiques en tête. J’étais vraiment en panne de paroles, et moi je ne chante que parce que j’écris. Et bizarrement ça s’est fait un peu à l’envers. C’est-à-dire qu’une fois l’instrumental sorti, je me suis rendu compte que beaucoup de titres avaient des formats de chansons. Et ces chansons ont commencé à me tourner dans la tête. Il y avait Il pleut, le chalet… J’étais à vélo, je fais beaucoup de vélo, et ces mélodies m’obsédaient, comme si elles me disaient « Papa, on veut des paroles ! » (Rires). Et donc j’ai commencé à imaginer, à chercher des textes sur ces musiques, ce qui est l’inverse de ce que je fais d’habitude. Donc ça s’est réamorcé comme ça. J’ai écrit des paroles sur deux chansons de Happy end, sachant que Merveille existait déjà, et que je lui avais enlevé les paroles justement pour Happy end. C’est ce qui a redéclenché le plaisir d’écrire de nouvelles chansons.
Les cent prochaines années sort aussi vingt ans après votre premier album, qui s’intitulait sobrement Albin de la Simone. Il y avait une volonté de célébrer une sorte d’anniversaire ou pas du tout ?
Albin de la Simone : Ah non, je ne suis pas du tout dans ce genre de calcul ! Vingt ans je trouve ça énorme et en même temps pas beaucoup. Si on devait parler d’anniversaire, je célèbrerais plus les dix ans de mon album Un homme, qui pour moi est un virage beaucoup plus important que mon premier disque, même si celui-ci était déjà ma transformation en chanteur à l’âge de trente ans. Mais dix ans plus tard, j’ai eu vraiment l’impression d’avoir trouvé où j’allais. Ça fait dix ans que je suis encore en accord avec ce que je fais. Les dix années d’avant j’ai l’impression que je n’y étais qu’à moitié.
Ce serait donc l’anniversaire de la maturité ?
Albin de la Simone : Oui peut-être. Disons que j’ai l’impression de faire des albums de la maturité depuis dix ans. C’est pas mal. Enfin c’est qu’une impression hein ! (Rires). Mais sérieusement ça fait dix ans que je fais vraiment des albums très personnels, et qui sont le reflet de qui je suis au moment où ils existent.
Justement est-ce que le fait de choisir une photo de vous enfant sur la pochette du disque signifie qu’on va encore plus loin dans l’intime ?
Albin de la Simone : Je me montre enfant, donc oui c’est de plus en plus direct, de plus en plus clair je pense. Avant c’était masqué en quelque sorte, il y avait plus de symboliques dans les albums précédents. Et maintenant c’est plus frontal et assumé. Ce qui est certain c’est que j’assume de plus en plus de toucher les gens, d’être dans la recherche de l’émotion. En fait c’est ce que je recherche moi en tant qu’écouteur de musique ! Je commence à m’aligner sur ce que j’aime ressentir. Quand on choisit de mettre ce type de visuel, on sait qu’on va toucher à une corde sensible chez les autres, qui vont se projeter sur leurs propres souvenirs, leur propre émotion.
Vous aviez d’ailleurs lancé sur Instagram un appel à photos d’enfance qui a remporté un grand succès je crois ?
Albin de la Simone : Voilà les bienfaits d’un bon label ! Parce que l’idée n’est pas de moi. Ils m’ont dit que ce serait une super idée de faire participer les internautes, et quand j’ai vu l’élan des gens, l’émotion ressentie pour chaque photo envoyée, à nous expliquer le contexte, à nous raconter l’histoire, ça m’a vraiment touché. On est tous très partants pour parler de notre enfance, c’est comme pour les rêves. Après est-ce qu’on a envie de les entendre, je ne sais pas ! Mais de les partager, oui, c’est très important. Pour le coup mon label m’a aidé à franchir un pas que ma pudeur m’aurait empêché de sauter.
C’est paradoxal d’ailleurs, parce que vous parlez de pudeur et de retenue, et pourtant on a l’impression que vous avez toujours des projets en cours et à venir, seul ou en collaboration.
Albin de la Simone : Oui c’est vrai. Mais voilà, comme je suis contraint par mon enveloppe corporelle, par ma voix, par ma psyché aussi, peut-être que ça me permet d’aller au-delà de mes limites. Par exemple j’adore la musique africaine, j’en ai beaucoup joué, avec Salif Keita par exemple, ou Angélique Kidjo. Jouer avec eux, c’était fantastique, mais c’est quelque chose que je ne peux pas faire si je ne suis que chanteur, ce serait ridicule ! Je n’étais pas chanteur au départ, et en tant que musicien, on est beaucoup plus ouverts. J’étais attiré par toutes sortes de musiques, et j’ai gardé ce truc, que le fait de devenir chanteur ne m’a pas enlevé, qui est d’avoir envie de faire plein de choses avec des gens différents. En plus je viens des arts plastiques, donc les besoins et les envies sont toujours là, même si ma colonne vertébrale aujourd’hui c’est d’être chanteur et auteur de chansons. Si je ne peux pas jouer de la musique, écrire ou dessiner, il me manque quelque chose. Le fait de pouvoir faire des choses différentes me permet d’être resserré dans mon travail, parce que comme je peux expérimenter, la musique africaine par exemple, puisqu’on en parlait, dans une collaboration, je ne ressens pas de frustration à ne pas le faire dans mon propre travail. Mais c’est vrai que j’ai trop de projets en cours tout le temps. C’est pour ça aussi que j’ai de temps en temps besoin de m’isoler pour écrire. Pour ne pas voir mon cadre photo qui penche sur le mur, par exemple, ou ne pas entendre le téléphone; et pouvoir me concentrer sur l’écriture, ne faire plus que ça. Je suis vraiment obligé de protéger des moments pour me consacrer à ça. Sinon je me perds, et je n’écris jamais..
Beaucoup de projets mais des collaborations aussi ! Par exemple dans ce dernier album, il y a la participation de Voyou et de Rodrigo Amarante, mais surtout vous avez fait le choix pour la première fois de ne pas réaliser l’album, mais de laisser ce rôle à Sage. Pour quelle raison ?
Albin de la Simone : Oui c’est la première fois. Pourquoi, parce que je trouve, et mon label m’a aidé aussi à réaliser ça, qu’il faut faire attention à ne pas tourner en rond. J’ai une identité musicale qui est très définie, à travers mon travail personnel et celui que je fais pour les autres aussi, et parfois il faut remettre de l’air dans tout ça. Parce que finalement quand tout vient d’un seul cerveau, ça devient un peu stérile. A tout faire soi-même, on risque un appauvrissement au bout d’un moment. J’avais toujours été coréalisateur de mes disques, mais à 70% quoi, et là j’ai rencontré Ambroise (Sage), qui est un super musicien, que j’admire beaucoup, avec qui j’ai un langage commun, et qui m’a embarqué dans des endroits, qui ne sont pas très loin, mais qui sont des petits pas de côté qui m’enrichissent énormément. D’ailleurs quand j’écoute le disque j’ai encore des surprises, il y a encore des choses que je découvre, et c’est génial.
Il y a aussi la collaboration avec le Musée d’Orsay, dans le cadre de l’exposition Manet Degas.
Albin de la Simone : Le Musée d’Orsay m’a proposé une sorte d’invitation à résidence à faire ce que je veux, dans le cadre de cette exposition qui va débuter fin mars et dont le principe est de réunir les deux peintres et de confronter leurs œuvres. Ils m’ont envoyé l’expo en PDF, et il y avait ces deux portraits de femmes, L’absinthe et La prune. Chacun porte un nom d’alcool, et montre deux femmes assises dans des cafés, devant leur verre, dans un état un peu étrange. A chaque fois que je visitais l’expo sur mon écran, je m’arrêtais sur ces tableaux, et je me demandais pourquoi ils m’appelaient. Ce sont vraiment ces deux tableaux qui m’ont inspiré la chanson Mireille.
Parlons justement de cette chanson, Mireille, qui a une thématique très forte, puisque c’est une chanson sur l’avortement ?
Albin de la Simone : Oui, alors déjà je précise qu’aucun des deux tableaux ne parlent de ça. Je voyais ces tableaux, ces deux femmes, avec le regard dans le vague, mélancoliques dans les deux cas, qui sont seules à boire des verres dans un bar, et je me suis demandé ce qui était arrivé à ces femmes. Et comme on est en pleine régression sur l’avortement aux Etats-Unis depuis quelques mois, que c’est un thème très présent, je me suis dit qu’elles avaient vécu quelque chose de traumatisant, de douloureux, sans doute d’illégal… Plusieurs choses se sont assemblées comme ça dans mes réflexions, pour que je me dise au final que ces femmes venaient d’avorter clandestinement, et que c’est l’enfer parce qu’elles sont toutes seules à vivre ça et que c’est terriblement douloureux. Voilà c’est parti comme ça. C’était une écriture plus compliquée, parce que j’ai beaucoup cherché à être clair sans être trop explicite dans le champ lexical de cette thématique là qui est très crue. C’est la première fois que j’écris une chanson en décidant du thème à l’avance. D’habitude je commence à écrire, et puis je vois où ça m’emmène. Là je voulais parler de ça, et j’en ai vraiment bavé ! J’ai passé l’été à essayer d’être le plus précis possible tout en étant simple, c’était un vrai exercice cette chanson. Il n’y a pas une phrase sur laquelle je ne me sois pas pris la tête !
Il y a aussi une série de concerts prévue au Musée ?
Albin de la Simone : Oui il y a trois dates prévues à Orsay début avril, juste avant de partir en tournée. Enfin une semi tournée, avec des dates espacées. La vraie tournée part à l’automne.
Vous continuez à dessiner pendant les tournées ?
Albin de la Simone : Ah ben ouais ! Les voyages c’est tellement long, c’est le côté débile d’une tournée, qu’on soit en train ou en camion, on passe des heures et des heures tous les jours sur la route. Donc oui, dessiner, c’est une manière de se reposer aussi. C’est comme de la méditation. On est concentré à faire quelque chose qui ne demande pas de réflexion. C’est très spécial, je ne connais pas grand-chose comme ça. La poterie peut-être. Le cerveau est occupé mais il n’y a pas de réflexion. C’est une autre temporalité. On peut écouter de la musique en même temps, ou parler.
Mais ça reste toujours un processus créatif.
Albin de la Simone : Oui c’est vrai ! C’est comme une machine infernale, ça ne s’arrête jamais ! (Rires) J’ai toujours des projets. Et même quand je n’en ai pas, on vient me chercher pour m’en proposer. Tant qu’on me propose j’y vais ! Pour moi c’est vital. Je ne suis pas sur que ça me serve en tant que chanteur, parce que les gens pourraient avoir du mal à s’y retrouver. A une époque on me disait que ça compliquait la vision de ce que je suis. Mais en même temps je crois que je m’en fous, parce que je suis très heureux comme ça. Au final ce qui compte, c’est ce se créer des souvenirs. C’est ma vie à moi, et je suis mon instinct.
Merci à l’équipe Tôt ou Tard et Victoria en particulier *
Albin de la Simone · Les cent prochaines années
Tôt ou tard – 3 mars 2023
Au Musée d’Orsay les 5, 6, 7 avril 2023
Et en tournée dès le printemps