Jusqu’à noël l’équipe des chroniqueurs littéraires va vous aider à choisir vos cadeaux de noël en vous proposant une sélection de livres à offrir ! Vous y trouverez des idées de tout styles et pour tous les âges ! Rendez-vous jeudi pour une nouvelle sélection ! N’hésitez pas à aller lire les autres conseils et tous les anciens que vous trouverez aussi ICI !
Les choix de Catherine
Ce n’est qu’un début, commissaire Soneri par Valerio Varesi, traduit par Florence Rigollet, Agullo éditions, mai 2023
La huitième enquête du commissaire Soneri, écrite par celui que la presse appelle le Simenon italien, nous dévoile un Soneri en colère, aux prises avec sa hiérarchie, la politique, la société en général. D’autant que l’affaire qui va l’occuper le ramène à ses années de jeunesse et de révolte : l’homme qui a été assassiné est un ancien militant du Mouvement étudiant et du 68 parmesan. Soneri va se retrouver confronté à d’anciens révolutionnaires qui ont bien changé, pas forcément en bien… L’enquête va conduire Soneri hors de son territoire de prédilection (la ville de Parme et sa montagne natale) puisqu’il va devoir se rendre au bord de la mer, dans la région des Cinque Terre. Et la mer, ça n’est pas sa tasse de thé : » Toute cette eau me rend mélancolique« , confie-t-il. Cette fois encore, Valerio Varesi se penche, à travers Soneri, sur l’histoire de son pays, sur les meurtrissures qu’il subit, le passé qui le hante et finit toujours par ressurgir. Sans jamais se départir de son élégance ombrageuse.
Six Versions – Le disparu du Wentshire par Matt Wesolowski, traduit par Antoine Chainas, EquinoX / Les Arènes
Voici le troisième épisode de la série « Six versions », dont les deux premiers ont été chroniqués ici et là. Matt Wesolowski suit son chemin, et nous présente la troisième série de podcasts de son héros, Scott King, qui a choisi de revenir sur des faits divers du passé e, réinterrogeant, des années plus tard, les principaux témoins. Cette fois, il s’agit de la disparition d’un petit garçon qui s’est littéralement volatilisé alors qu’il effectuait un trajet en voiture avec son père. Scott King hésitera longtemps avant de se lancer dans cette nouvelle investigation. Pourquoi ? Peut-être parce que parce que ses dernières émissions lui ont valu son lot d menaces et de poursuites. Peut-être pour une tout autre raison. Encore une fois, l’auteur réussit à nous entraîner avec lui, à partager la curiosité de Scott King et sa démarche opiniâtre. Mais avec ce livre, il passe un cap grâce à un « twist » narratif particulièrement bien amené, et qui confère une humanité bouleversante à toute cette histoire.
Les choix de Papier crepon
Jour encore, Nuit à nouveau, par Tristan Saule, Le Quartanier, janvier 2023
Les Chroniques de la place Carrée sont arrivées discrètement il y a deux ans, en plein confinement, avec « Mathilde Ne Dit Rien« , une vraie pépite, suivi de « Héroïne » l’année suivante, tout aussi bluffant.
Le troisième acte, publié cette année, est à nouveau épatant. L’histoire se concentre sur Loïc, un type ordinaire qui vit seul, aime son boulot, sa sœur Nini et les cours de théâtre d’Ali. Jusqu’à ce qu’un certain virus arrive. Un déclencheur qui va révéler toutes les failles de ce voisin en apparence banal.
L’intrigue referme progressivement la porte sur un huis-clos angoissant. Conteur hors pair, l’auteur restitue à la perfection un pétage de plomb que personne n’a vu venir.
Avec son style acéré, il embarque son lecteur dans cette descente aux enfers qui, comme les volets précédents, a quelque chose du tourbillon auquel on ne peut résister.
Un troisième volet à la dimension sociale moins marquée, mais plus noir encore que les précédents.
Rendez-vous est déjà pris pour le suivant !
La Petite Lumière, par Antonio Moresco, traduit par Laurent Lombard, Editions Verdier, collection poche, 2021.
Chut, ne faites pas de bruit : écoutez les oiseaux qui s’ébrouent, les plantes qui s’éveillent et même la terre, oui, écoutez la terre qui se déploie au lever du soleil. Voyez cet homme qui vit au rythme de cette nature, seul dans un village déserté de ce coin de montagne.
Ouvrez ce roman : vous entrez dans une bulle, franchir une porte spatio-temporelle et partir loin, très loin du tumulte du quotidien. Son temps est celui des occupations essentielles ; on y trouve des passages magnifiques sur la vie des buissons et sur le vol de hirondelles. Un roman dans lequel l’imaginaire travaille à plein. Surtout lorsque quelques étrangetés surgissent au milieu de ce quotidien en apparence serein… et qui deviendra de plus en plus inquiétant à mesure que l’homme se rapproche de cette petite lumière au loin.
Savourez ce court roman, même s’il est troublant. C’est une variation sur le temps qui passe, une fugue empreinte d’une grande poésie. Mais il ne manque pas non plus d’interroger avec ses airs de conte philosophique. De quoi se réconcilier avec soi, pour peu que l’on ait choisi de s’y plonger au bon moment – toute erreur de timing serait prendre le risque de passer à côté.
Avouez que ce serait dommage, car les textes avec un tel pouvoir apaisant ne sont pas si fréquents.
Les choix de Gringo Pimento
Le fils du père de Víctor del Árbol traduit par Claude Bleton et Émilie Fernandez , Actes Sud, septembre 2023
S’il est beaucoup question de filiation et de famille dans le nouveau roman de l’écrivain espagnol Víctor del Árbol, il faudra attendre la toute fin du roman pour vraiment comprendre ce titre quelque peu étrange.
Entre temps on aura vécu 360 pages avec la famille Diego, principal narrateur, et avec ses parents, grands-parents. Une histoire de malédiction et de grande souffrance, traversant l’Espagne et la Russie pendant la seconde guerre mondiale.
On pourrait penser que c’est trop. Qu’une famille maudite à ce point, ça n’existe pas et pourtant ça fonctionne. Víctor del Árbol nous emmène à travers différents narrateurs au fin fond de la pauvreté et du désir pourtant farouche de s’en sortir. Mais comment ? Et avec quel amour ? Les dernières pages à ce propos sont extrêmement émouvantes et nous resteront longtemps en tête.
Dès le début du livre, Diego nous parle à travers des notes qu’il a laissées. Oui, il est un meurtrier. Oui, il a torturé Martin Pearce, un jeune infirmier qui s’occupait de sa soeur Liria, catatonique depuis des années.
Et Diego de nous raconter l’histoire de sa famille, de cette malédiction qui frappe les hommes. Le premier, son grand-oncle Joaquin, anarchiste qui a pris le pouvoir dans son village perdu et qui finira par le payer de sa vie.
Laissant ou donnant la première pierre de cette maudite souffrance qui ne lâchera jamais personne ici. Car le grand-père de Diego se verra obligé de partir sur le front russe : pages terribles et éprouvantes comme rarement. Et enfin le propre père de Diego rejoindra la légion étrangère et aura également du sang sur les mains. Dans ces conditions, difficile pour notre narrateur d’imaginer une vie paisible. Et pourtant, devenu enseignant, il utilisera les mots plutôt que les poings pour avancer. Le décès de son père le ramènera sur ses terres, près de ses frères mal aimés, d’une autre sœur peu estimée et sa mère qu’il déteste.
Víctor del Árbol nous offre un roman dense et parfois à la limite du supportable dans la description de certaines scènes. Il utilise le flash back pour nous éclairer sur la famille de Diego et le roman devient une sorte de puzzle qu’il nous faut rassembler et suivre petit à petit. C’est parfois frustrant mais ça a aussi un côté diaboliquement efficace.
Mordew par Alex Pheby traduit par Claro, Éditions Inculte, septembre 2022
Le côté pavé de ce Mordew peut faire peur mais ces 600 pages sont passionnantes ne nous laissent aucun répit. Entre les êtres vivants ou à moitié vivants que le héros Nathan sort de la boue pour les vendre, les vers pulmonaires qui dévorent les poumons de son père, le destin que ce dernier a façonné avec son épouse pour son fils, nous avons largement de quoi faire.
Alex Pheby l’auteur de ce roman gothique extraordinaire nous entraîne dans un imaginaire foisonnant et impressionnant.
Mordew, sorte de livre monde avec ses Maîtres et Maîtresses qui se détestent et se combattent mortellement, utilisant le jeune Nathan chacun leur tour. On pense parfois à l’œuvre référence d’Edward Carey, Les ferrailleurs, une autre trilogie anglaise.
Des images nous restent en tête bien après la lecture – telle cette Foudre que Nathan contrôle plus ou moins – et nous avons hâte, vraiment hâte de lire le deuxième tome de ce qui est annoncé comme une trilogie. Ce nouveau tome est paru en langue anglaise en avril. Espérons que les éditions Inculte et le génial traducteur Claro se penchent vite dessus. Pour 2024 ?
Les choix de Dealeusedesheet!
Les naufragés du Wager par David Grann, traduit par Johan-Frédérik Hel Guedj, éditions du Sous-sol, avril 2023
Oubliez les vahinés et les plages de sable fin des Révoltés du Bounty. Lire les Naufragés du Wager, c’est embarquer et souquer ferme dans une fresque navale absolument incroyable : l’écriture de David Grann nous transporte immédiatement à bord de ce vieil Indiaman transformé en lieu de détresse et de drames, nous permettant de visualiser sur écran géant, tel un film, une tragédie inimaginable de nos jours.
David Grann, en citant Samuel Johnson, nous explique qu’ « aucun homme ne sera marin, s’il ne s’ingénie pas à finir en prison; car être à bord d’un navire, c’est être en prison, avec en prime le risque de se noyer ». Être marin, à l’époque du Wager, c’est se condamner à une vie de misère, de peurs, et de mort certaine. Vivre sur un bateau, durant de longs mois, sans confort, en surnombre mais surtout en milieu fermé: tel était l’enfer du monde maritime d’alors. Le récit extrêmement bien détaillé de cette épopée maritime, du départ du bateau, son naufrage, la survie inimaginable de ses naufragés puis du retour d’une poignée de survivants en Angleterre, nous permet de mieux comprendre non seulement la réalité des échanges maritimes du XVIIIème siècle, mais aussi ses tensions, ses guerres, et au-delà le colonialisme qui faisait rage.
Les naufragés du Wager, c’est un huis-clos palpitant mais à la fois terrifiant, qui ne laisse pas son lecteur le refermer sans avoir l’envie de s’interroger sur les conséquences de cette période sur notre monde actuel. L’auteur de La note américaine (actuellement adapté au cinéma avec le film Killers of the Flower Moon)nous livre ici encore une fois une épopée historique précieuse, ouvrant la réflexion sur notre Histoire et nos acquis aujourd’hui.
Le veilleur du Lac par Nicolas Leclerc, éditions Seuil, octobre 2023
La froideur d’un lac de montagne du Haut Doubs dans lequel se reflète une tragédie: tel est le point de départ de ce policier haletant qui ne permet pas de reprendre sa respiration.
Si la première partie et moitié du Veilleur du lac nous installe une histoire dont on pense en tenir les rênes, presque « téléphonée », et en découvrir à l’avance l’issue, la seconde partie nous entraîne en apnée dans une intrigue qui au final dépasse l’imagination.
Ce thriller est mené avec finesse, et ses personnages, bien que transpercés par un drame absolu, sont d’une humanité réelle qui nous touche véritablement. Les paysages, le lac, les forêts, sont également des personnages à part entière dans leur manière d’engloutir complètement cette intrigue et ses protagonistes. Sous la soie de l’eau se cache une enquête maîtrisée, bien menée, ne laissant pas de temps mort à son lecteur.
Lire ce polar, c’est découvrir une plume qui sait réellement comment bluffer son lecteur, et comment lui procurer quelques nuits blanches. Un livre à découvrir sans attendre !
Le choix de Monica
La Renarde, Dubravka Ugrešić, traduit du croate par Chloé Billon, éditions Bourgois, février 2023
Arrivée dans le catalogue Bourgois en 2020 avec Le Ministère de la douleur et Le Musée des redditions sans conditions (collection Titres – traduction Janine Matillon), Dubravka Ugrešić est traduite à partir de 2021 et Baba Yaga a pondu un oeuf : le mythe de Baba Yaga par Chloé Billon. La Renarde paraîtra en France un mois avant la disparition de l’autrice, comme une réflexion sur la création littéraire et sur la place de l’auteur dans le monde et dans l’histoire.
Érudit, dense et gourmand, La Renarde ouvre des pistes de réflexion quant aux sources de la création littéraire mais rappelle également la facilité avec laquelle nombre de créateurs sont tombés dans l’oubli collectif. A travers des voyages, des dialogues, des échanges, des souvenirs, Dubravka Ugrešić ausculte le coeur battant de la littérature et fait une analyse de l’évolution du regard que l’on a posé dessus au fil du temps.
La Renarde est un texte que tout(e) passionné(e) de récits et d’histoires doit avoir dans sa bibliothèque et, encore mieux, l’ouvrir régulièrement.
Les choix de Claire
L’Hallali par Nicolas Lebel, Editions du Masque, Mars 2023
« Oubliez tout ce que vous pensiez savoir, parce que vous n’avez pas affaire à une simple suite, mais au chapitre final d’une trilogie »
Cette citation de Scream pourrait tout à fait convenir au 3ème opus des aventures de Yvonne Chen, ex-flic de la crim’ devenue agent infiltrée de la DGSI au cœur d’une impitoyable organisation criminelle (Voir Le gibier et La Capture, dans la série des Furies).
Dans L’Hallali, toutes les cartes sont rebattues et nos certitudes vacillent. Qui sont les bons, qui sont les méchants, qui manipule qui… Nicolas Lebel mène la danse (des Furies !), joue encore et toujours avec les codes du polar, et nous régale avec un scénario ciselé, des personnages plus vrais que nature et comme toujours un humour qui n’appartient qu’à lui.
Les Terres animales par Laurent Petitmangin, La Manufacture de Livres, Août 2023
Après un incident nucléaire quelque part dans la campagne française, toute une région est évacuée pour se protéger des radiations. Mais refusant de quitter leur terre, certains ont choisi de rester.
Entourés d’une nature qu’ils ne peuvent pas toucher, ils se sont regroupés pour continuer à vivre en essayant de maintenir une normalité qui se heurte aux réalités du quotidien.
Et puis un jour, bouleversant toutes leurs certitudes, l’arrivée d’un enfant remet ce choix en question.
Laurent Petitmangin traite le sujet de la fin du monde à sa manière. Ici pas de grandes aventures, pas de péripéties, pas d’extraordinaire. Il raconte simplement le quotidien des survivants, leurs joies, leurs doutes, leur histoire, en se mettant à leur place, en donnant la parole à chacun. Avec ce récit écrit comme toujours avec une grande délicatesse, il fait de cet événement tragique et fataliste une véritable histoire d’amour et d’espoir.
Le choix de Dominique
Je suis leur silence de Jordi Lafebre, Dargaud, 13 octobre 2023
Après Malgré tout, un premier roman graphique qui lui avait valu d’élogieuses critiques, Jordi Lafebre revient avec une nouvelle bande-dessinée de 110 pages : Je suis leur silence.
Drôle et enlevée, facétieuse et prenante, elle met en scène une jeune psychiatre au tempérament volcanique et au charme certain, dont la santé mentale fragile et le comportement erratique la conduisent à consulter un confrère. La voici donc qui, entre deux cigarettes et volutes de fumée, va livrer au docteur Llull les secrets d’une semaine bien remplie. Celle-ci a commencé par une invitation dans la grande propriété des Monturos et se terminera dans une salle d’autopsie ! Entre temps, la jeune et téméraire Eva aura croisé une riche héritière, un homme dominateur et violent, un cadavre et même une policière ressemblant à Merkel, l’ancienne chancelière allemande.
Dans ce polar affuté, où les anecdotes rocambolesques s’enchaînent et où on ne boude pas notre plaisir de lecture, nous faisons aussi la rencontre d’une milicienne, d’une personne âgée et d’une gitane, trois personnages hauts en couleurs qui peuplent les pensées d’Eva, pour le meilleur et pour le rire. Si le cava, vin effervescent espagnol placé au cœur de l’intrigue, est à consommer avec modération, laissez-vous tenter sans limite par Je suis leur silence, une BD aussi pétillante que captivante.
Le choix de Barriga
Misericordia par Lidia Jorge traduit par Elisabeth Monteiro Rodrigues, édition Métailié, août 2023
Inspirée par la vraie vie de la mère de la narratrice, l’autrice a utilisé des heures d’enregistrement sur cassette pour imaginer l’histoire de Maria Alberta. Le roman raconte un an de la vie de cette vieille dame dont très vite un fort capital sympathie se met en place.
Elle réside dans un établissement pour personnes âgées au nom paradoxal, « l’hôtel Paradis », un lieu dont on sait que la finalité sera d’y pousser son dernier soupir. Maria Alberta décrit ses journées, ses relations avec ses homologues, les choses (nombreuses) qui l’irritent, ses échanges compliqués avec sa fille romancière, ses conseils que cette dernière n’écoute pas. Revêche, observatrice, elle pose un regard sur le monde avec une vitalité d’esprit et une acuité incroyable. Entre traits d’esprits, pensées sur la finalité de l’existence, elle enchante le quotidien fait de pas grand chose, une rencontre inattendue.
Il y a ce moment avec ce jeune bénévole qu’elle trouve considérablement laid mais qu’elle va finir par découvrir une beauté d’âme quand il se met à lire une de ses nouvelles.
Il faut louer la qualité d’écriture de Lidia Jorge qui nous donne à lire un portrait de femme sublime, entre humour, sensibilité. On n’a jamais lu un texte aussi fort sur la vieillesse.