King Krule
Space Heavy
J’ai toujours trouvé ça hyper galvaudé de qualifier à tout-va certains artistes contemporains au titre de génies. Pourtant, je confesse que s’agissant d’Archy Marshall alias King Krule, je succombe irrémédiablement à la facilité, quitte à surenchérir question usage de qualificatifs. J’assume pleinement cette faiblesse dans la critique tant notre lascar prouve encore sa capacité à combiner un mood planant à la faveur de son blues moderne.
Ce Space Heavy continue de tracer ce qui ressort de plus noble à mes yeux, à savoir l’idée prépondérante de se réinventer tout en gardant la trame logique d’une progression imparable. Plus cotonneux par touches discrètes, plus aérien sur des tentatives transformées, plus évident, moins torturé sans briser l’attrait pour des sensations grisâtres, globalement marqué par une forte cohérence… le nouvel album s’affiche comme une étape primordiale pour cet adepte de l’absorption d’un rock & jazz tiraillé par des intentions sombres mais ne glissant plus ici dans l’hyperbole sans éclat. Il y a du métier derrière les grattements électriques, de la finesse en bouche malgré l’expiration toujours caverneuse du chant (plus souvent murmuré) mais surtout, une dextérité à glisser d’expérimentations déstabilisantes vers des audaces authentiquement placées.
Écrit entre 2020 et 2022 au fil des trajets du musicien entre Londres et Liverpool, le projet proposé se révèle tel une réflexion sur la notion d’un espace intermédiaire habité par les amours fantasmés et marqué par des récits de connexion perdue.
Notons à titre d’exemple frappant le morceau Hamburgerphobia qui résonne avec sa rythmique folle et son flow sauvagement détaché. C’est ici la concrétisation chez King Krule d’une expression sans limite, celle qui ravive des références notables tout en transcendant la notion de collages stylistiques à des fins terriblement simples et donc efficaces.
Chaque titre (15 au compteur) a sa légitimité singulière qui répond à un besoin d’émancipation propre bien, que se fondant au cœur d’une masse homogène. Alors bravo l’alchimiste j’ai envie de clamer car, de la première à la dernière note, nous ressentons la complexité stimulante des rencontres. Seaforth qui préfigurait la sortie de l’ouvrage amorçait déjà ce virage où, sans se trahir (fort heureusement), le « encore » jeune homme de 28 ans parvenait à franchir ce cap essentiel afin de se propulser avec sa troupe en direction d’éclatantes contrées stellaires.
En tout état de cause, l’ambition sur cet enchainement n’est surement pas vaine et le ressenti fût plutôt estomaqué de ma part alors que j’imaginais, à tort, que l’intéressé allait diluer son talent par trop de manies répétées. D’une part, il nous prouve que c’est totalement l’inverse et, d’autre part, la livraison millésimé 2023 ne peut que conforter l’assurance de prochaines parutions tout aussi exaltantes. Bref, vivement la suite et, en attendant, dégustons goulument tous les nouveaux recoins où s’emmêlent tellement de trouvailles piquantes !