Petits bijoux à l’orfèvrerie bancale, madeleines d’un Proust slacker ou berceuses pour un monde proche d’une douce implosion, les compositions lo-fi d’Alex G continuent de nous amadouer sur son nouvel album, God save the animals. Rencontre avec l’olibrius qui, malgré un jet-lag conséquent, nous a quand même livré quelques précieux secrets de fabrication…
J’aime commencer avec des questions idiotes, alors c’est quoi le pire travail que tu aies fait ?
Alex G : J’ai eu un job dans une épicerie drive-thru et ce n’était pas le pire boulot de l’existence mais le patron ne m’aimait pas des masses, un jour il m’a jeté un pack de jus de pomme à la figure !
Pas mal…ça me fait penser aux musiciens ici, forcés d’enchainer les petits boulots, tu es toujours à Philadelphie, non ?
Oui…
C’est comment la situation là-bas ? Les musiciens font face ?
Ca dépend, j’en connais plein qui travaillent en même temps, ça dépend de la longueur de ta carrière, le nombre de disques sortis…
Ici c’est un peu déprimant, j’en connais même un qui vend des glaces maintenant…Et la vie dans ta ville, après le covid ?
C’est à peu près à la normale maintenant, tu peux aller dans les bars et les restos sans masque, je ne pense pas que c’est obligatoire mais c’est recommandé, comme ici en fait ?
Oui, en théorie, sauf que personne ne les porte
Exactement ! Ici, le pire c’était le couvre-feu à 18h, le premier confinement, certains en ont de bons souvenirs, mais pas la période d’après où on devait travailler mais pas sortir autrement
Il fallait sortir bosser mais c’est tout ? Ah, ça c’est brutal !
Oui…
Je t’ai découvert sur un blog vers 2012 ou 2013…
Wow…
Alors que je me rappelle une époque où on regardait les listes des sorties chez les disquaires, juste pour se faire une idée de ce qu’on pouvait écouter…
Ce système me va parce que je n’en connais pas d’autre, peut-être que les musiciens plus âgés se sentent un peu…bon, je m’exprime à leur place, mais j’imagine qu’ils sont un peu frustrés, on s’habitue à quelque chose, puis il y a un changement radical, mais pour moi, ce changement radical n’a pas eu lieu, et ça a bien marché comme ça alors j’en suis content !
D’ailleurs, ta musique me rappelle pas mal de disques lo-fi de ma jeunesse, Pavement et tout ça, tu en écoutes ?
Plus jeune, j’ai eu une grande phase slacker, avec Pavement, Modest Mouse, Elliott Smith, et ce son persiste dans ma musique car elle à posé les fondations de ma musique, j’ai appris à jouer de la guitare avec ces groupes alors je crois que c’est resté.
Et l’état d’esprit qui l’accompagne, avec le manque de motivation érigé en mode de vie…
Oui, je suppose que c’est attirant comme posture, ne rien tenter, et ensuite, tout ce qu’on fait, ça donne presque l’impression que c’est, bon, à mon avis ça fascine, parce qu’ensuite, ce que vous amenez aux yeux du monde, c’est presque quelque chose de surnaturel, oh, on s’en fout, puis après…
Ce n’est pas un peu faussé ?
Oui, bien sûr ! Je pense même que tout ça revient un peu au même, qu’il s’agisse d’un truc surjoué au max ou d’un genre très naturel et authentique, tout est en toc d’une certaine façon, tout ça fait partie du même spectacle.
Un truc qui te démarque, comparé à ce que j’appelle de l’indie pop pour série Netflix, c’est le niveau de composition qui n’a juste rien à voir avec le reste.
Oh, merci !!!
Et qui me rappelle les grands classiques du rock, même des trucs sortis avant ma naissance, les Byrds, Steely Dan, ce sont des sont que tu as écouté ?
Oui, un peu après j’ai eu ma phase Steely Dan aussi, les Byrds pas trop, mais Steely Dan, c’était, enfin, c’est encore….il y a un apprentissage pour Steely Dan, je suis encore sur la courbe ascendante, j’ai encore des choses à explorer, j’écoute certains de leurs trucs et je me dis, oh, je n’ai aucune idée de ce qu’ils font, là. Mais je suis entièrement fasciné par leur musique.
Ça s’entend sur le nouveau disque !
Merci !
Et tu as d’autres influences plus improbables, comme celle-là ?
J’écoute pas mal d’électro, Aphex Twin, Boards of Canada, avec toutes ces boucles, je ne sais pas si c’est si inhabituel ou surprenant, parce qu’il y a un peu de ça dans ma musique, alors…mais oui, j’adore ce son-là.
Pendant le confinement, j’ai écouté plein de musique que je n’aurai pas écouté autrement, de la country, du métal, grâce à ma fille, alors que j’y étais allergique avant, t’as exploré des styles nouveaux toi, pendant cette période ?
La country aussi ! Enfin bon, c’est une musique qui m’a toujours plu, mais je n’en écoutais pas volontairement, c’est ce qui passait à la radio. Par contre, pendant le confinement, j’ai choisi d’écouter cette musique et j’ai passé un bon moment !
C’est vrai que ça passe à la radio chez vous…
Oui, et pour une fois, pour moi, ce n’était plus cette musique qu’on entend partout, qui fait comme un fond sonore.
Alors que pour nous, ici, c’est presque exotique
Ah, d’accord…
Alors ton nouveau disque, le premier single a plein d’influences goth et emo auxquelles je ne m’attendais pas, pourquoi ?
Ah oui, l’idée c’était de référencer ce son du début des années 2000, Audioslave, des trucs comme ça, et avec le clip, on s’est dit que tant qu’à faire, il fallait y aller à fond, pas forcément dans un esprit comique, mais pour en faire un truc spectaculaire.
Alors tu vas garder le look emo-goth, mais à te voir, il est clair que non…
Laisse tomber, c’est trop de boulot, ce genre de coiffure (rires)
Alors c’est fini l’eye-liner…
Oui, et les autres chansons du disque n’ont pas ce son-là, alors ça n’aurait pas du tout sa place !
Une autre chanson avec des influences improbables c’est celle avec des boucles de filles qui chantent, c’est presque de la PC musique ou de l’hyper pop, c’était inattendu aussi
Ah oui, alors d’habitude je fais absolument tout, tout seul, mais là, j’ai bossé en studio, et ça me donnait plus de marge de manœuvre, car c’est quelqu’un d’autre qui appuyait sur tous ces boutons, alors j’étais moins paresseux que d’habitude pour tout ce qui relevait de l’écriture, j’avais tellement plus d’énergie.
Parce que tu es fainéant ?
Ce n’est peut-être pas exactement ça, mais c’est vrai que quand j’ai tout mis en route et que j’ai une autre idée, je me dis, ah, ça saoule de tout remettre en place autrement, et ici, en studio, je pouvais y aller à fond.
Et travailler avec Frank Ocean, ça t’a ouvert un peu sur d’autres façons de bosser ?
Alors j’ai constaté que quelqu’un de cette trempe avait l’air tellement à l’aise en studio, et sans blocage, et c’est sûr, ça m’a marqué, ça a influencé la façon dont j’aborde le travail en studio.
Et vous vous êtes bien entendus, car il a l’air un peu plus showbiz que toi ?
Oui c’est clair… mais il était super gentil, alors je suis reconnaissant d’avoir pu bosser avec lui, c’est vraiment quelqu’un de très consciencieux, bourré de talent, c’est une inspiration, de vois quelqu’un comme ça.
J’ai aussi retenu l’intro de « Every day is a blessing », cette nappe très doom, t’as trouvé ça comment ?
Je voulais rajouter du synthé, quelque chose que je ne fais pas d’habitude, je ne sais pas pourquoi, j’écoutais…cette sorte de technopop, avec ces synthés lourds et massifs, je voulais voir ce que j’étais capable de faire avec cet exact même son.
Ah oui, comme l’EDM dans les énormes clubs…
Oui, c’est ça, je voulais juste que ça surplombe le reste, comme ça, ce sont des nappes qui me fascinaient, et voilà ce que j’en ai tiré.
Donc quand tu te mets en tête de faire du gros son dance, ça sort comme ça !
(rires) oui ! ça sort comme ça…
J’ai écouté cette chanson avec un ami, et moi je l’ai trouvé déprimante à fond, et lui, que c’était très optimiste, alors qui a raison ?
Ah… euh… Je ne sais pas, je n’avais aucune intention, j’ai juste mon humeur du jour, et certains jours, en bossant sur cette chanson, j’étais heureux, d’autres, j’étais bien triste, alors on entend les deux, je crois.
Alors on avait tous les deux raison !
Oui, je ne pourrais pas trancher là-dessus.
Et tu vas continuer à faire du son goth ?
C’est possible, mais je ne voudrais pas que ça devienne une marque de fabrique, qu’on se dise, ah oui, il fait ça parce qu’il a fait cet autre titre, mais j’aime cette ambiance sonore, alors je pense que je vais le réutiliser.
« After All 000, le premier titre de l’album, possède un son beaucoup plus pop que d’habitude, dur de le sortir de la tête, c’est fait exprès ?
J’essaie toujours de composer des chansons qu’on retient mais là, je crois que j’écoutais la radio tout le temps pendant la pandémie et ils passent beaucoup de variété, je ne sais pas pourquoi, mais je kiffais vraiment l’écoute de ces stations hyper commerciales, et je crois que ça a imprégné mon écriture.
Oui, parce que celle-là, au bout de deux écoutes, je l’avais en boucle dans la tête toute la journée, et c’est marrant, exactement comme les tubes à la radio
Ah, c’est cool, ça !
J’ai aussi le sentiment que ce disque est plus produit que les précédents, bon, ok, je ne m’avance pas trop en disant ça, puisque tu reprends la grande tradition lo-fi du disque enregistré dans la cuisine, mais ici, la production est moins sommaire, c’était intentionnel ?
Ouais, je crois que c’est à cause de tout ce temps que j’avais à la maison, car on ne partait pas en tournée, ça m’a donné l’occasion de mettre le paquet avec la production et de voir les choses en un peu plus grand.
Et tu voudrais continuer à faire ça ?
A l’avenir, ça dépendra de la chanson, avec certaines, on veut vraiment capter un moment de vie, avec un son qui vacille un peu plus, mais non, à l’avenir, c’est sûr, je voudrais mettre plus de temps de côté pour fignoler les disques, pas comme avant, où je pouvais les boucler à la va-vite entre deux tournées.
Et dans quelle mesure tu improvises, par rapport aux parties plus structurées, parce qu’à l’écoute, on a du mal à distinguer tout ça…
C’est environ 50-50, je crois. Souvent j’enchaîne les accords, je tâtonne, j’enregistre des bribes, et à la longue, quelque chose prendra forme, ou à d’autres moment, j’appuie sur enregistrer, j’improvise direct et je me dis, ah, ça à un bon son ça, rien à foutre, on y va, puis à d’autres encore, j’ai déjà une mélodie en tête, alors je ne sais pas trop comment répondre.
Le deuxième titre, «Runner», a un chant très décousu et un son de piano très écrit, alors je me demande quelle proportion a été préparé, malgré les apparences ?
Celle-ci, surtout avec les paroles, j’étais à la recherche d’un son improvisé, ce genre d’ambiance, mais en fait, ces paroles, j’ai du les enregistrer un million de fois, ou plus encore… je voulais que ce soit vraiment quelque chose de très spécifique, d’autres sont plus improvisées, mais sur «Runner», je voulais quelque chose de bien particulier.
Et plus généralement, on a du mal à te limiter à une génération, j’y entends du rock classique des années 70, le son lo-fi de ma jeunesse, des artistes comme Beach House ou Caribou d’il y a 10 ans…
Je crois que parce que je fais tout moi-même, tout seul, je peux explorer le son qui me plait à ce moment-là, avec un groupe, il faut plaire à tous, on ne peut pas tous partir dans des directions différentes, alors je crois qu’on aboutit à un son plus uniforme à cause de ça.
Alors tu es autocrate ?
Généralement, oui je travaille seul, même si mon groupe joue certains passages, généralement sur tous les titres, et je fais ça sur tous les disques, mais je préfère passer du temps à composer seul, beaucoup de temps.
Pour tout contrôler ?
Eh ben oui, parce c’est mon nom qui va apparaitre dessus, alors je veux être sûr que ça va, pas la peine de le sortir si moi, je ne l’adore pas, sinon j’en deviendrai fou.
D’ailleurs, en préparant cette interview, je suis tombée sur des pages et des pages de fans de ta musique sur Reddit et ils sont bien obsessionnels, mais de façon positive, pas tellement avec toi, mais avec les sons que tu sors, l’attention au détail prête à sourire, tu étais au courant ?
Oui, j’ai déjà vu des trucs comme ça, mais à vrai dire, j’évite de les lire parce que je ne veux pas être influencé, les gens y font des listes de ce qu’ils aiment un peu plus, et un peu moins, et ça, je ne veux même pas y penser, j’évite ces communautés, même si je suis reconnaissant.
Ils ont des paroles préférées, des playlists, je suppose que ce sont des gosses qui ont grandi avec ta musique…
Je crois que tu as raison, je ne sais pas si c’est nouveau, mais il me semble que c’est apparu au cours des trois dernières années, du moins c’est ce que j’ai constaté, je ne sais pas trop…
En écoutant ces compils obscurs de fans, j’ai aussi découvert des instrumentaux très planants, et ça me rappelle Mogwai, autre groupe écossais proches des plus électro Boards of Canada dont tu parlais…
Cool !
Pourquoi ces instrumentaux ?
Parfois j’écris un truc et je ne pourrais pas imaginer des paroles, j’aime bien, c’est tout, je n’ai jamais fait un album entièrement instrumental, mais j’essaie toujours d’en mettre un ou deux dans un ensemble de compos.
Merci pour ton temps, une pour la route : vu ton nom de famille, tu es d’origine italienne, alors pour clore le débat une fois pour toutes, cuisine italienne ou française ?
Oh, Italienne ! Je suis obligé de dire ça !
Et pourquoi ?
C’est ce que je connais le mieux, j’ai grandi avec à la maison, depuis que je suis tout petit, alors c’est évidemment ma préférée !
Si jamais tu peux aller au resto ici, tu changeras peut-être d’avis…
Oui, et en plus, j’adore parler de bouffe !