L’annonce d’un nouvel album de Fat White Family aurait pu être accueillie, il y a encore quelques mois, avec une certaine componction, l’existence même du groupe était sujette à toutes les rumeurs. La tournure semblait avoir été fatale, aux addictions et aux bastons, Serfs up! semblait avoir été le couperet final. Seul bémol à toute cette confusion et aux éclaboussures du passif lié aux addictions, Saul Kaci Saoudi n’avait pas pour autant renoncé à reprendre les choses en mains. Les beautiful losers, confrontés à une cruelle réalité, ont renoué avec ce qu’ils savent faire de mieux, composer jusqu’à repousser les murs dans lesquels l’espace s’était resserré, la réconciliation de contradictions concrétisées.
La famille s’est recomposée, et chacun des membres s’est trituré les méninges pour finaliser ce cinquième album. Religion for One, premier extrait en préliminaire de l’album, suggère outre ses textes engagés, le phrasé de Leonard Cohen. La vocation de ce titre est d’être partagée, une épistémologie de la vanité, une critique acerbe. Dans ce crissement d’instruments, Fat White Family élargit son répertoire vers une musique abstraite, s’éloignant des références punks des débuts. Archivés comme des trophées, des titres comme John Lennon empruntent des chemins où l’acoustique s’enveloppe de claviers enrobés de chœurs, nimbée d’une ambiance presque 70’s avant que Bullet of Dignity se repositionne en quelque chose d’absolument moderne et étrangement orientalisant. Cette capacité de passer d’un univers à l’autre à chaque composition rend l’ensemble homogène, album manifeste, où chaque titre semble décrire et analyser notre civilisation (Polygamy Is Only For The Chief). Mais il y a un titre qui, sans pour autant être commercialisable, rentre pour ne plus sortir dans votre tête, je parle ici du sublime What’s That You Say positionné en presque fin de disque.
Avec Fat White Family, le choix et l’ordre des titres est judicieux et nécessite d’être approfondi. Subtil amalgame d’électronique, avec des éléments noisy en fonds de trame, Visions Of Pain est absolument obsédant. Gardant sa ligne mélodique, les écarts expérimentaux et ornements bruitistes ne défigurent en rien la qualité des compositions. Lias se lance même dans un spoken word en introduction mais aussi dans Today You Become Man, peut-être faut il y voir là, une forme d’auto-analyse, le temps faisant son œuvre. Le tournant du disque est sans aucune hésitation avec le sublime Religion for One qui est la suite logique de Forgiveness is yours. On ne saurait faire de comparaison…
Forgiveness is yours est l’album certes d’une maturité revendiquée, mais va au delà de ce simple constat, il y a là, un concept perpétuel qui ne perd jamais de sa désinvolture, le refus d’être enfermé dans une catégorie. Inclassable, et incassable malgré les blessures et les coups, le groupe n’a jamais été autant soudé. La nature corrompue humaine se transfigure dans la prose, et c’est en cela que les textes ont cette dimension primordiale. Il y a dans cet album quelque chose qui nous échappe, et qui pourtant nous retient, tel un hameçon symbolique.
Fat White Family – Forgiveness is yours
Domino Records – 26 Avril 2024