« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent », écrit Louis Aragon en 1956 à propos des membres du groupe de Francs-Tireurs et Partisans emmenés par Missak Manouchian. Héros de la Résistance, ce poète et ouvrier est entré au Panthéon en février dernier. Éditée par Dupuis, une BD réalisée par Jean-David Morvan et Thomas Tcherkézian retrace son parcours et celui de son groupe.
Des représentants de l’armée du crime selon la propagande nazie. Des libérateurs, armés comme ils le pouvaient, selon la Résistance et ce qu’en retiendra l’Histoire. Outre leur abnégation et leur courage, les membres des équipes qui multiplièrent attaques et attentats contre l’occupant allemand, notamment à partir de mars 1943, avaient un autre point commun : nombre d’entre eux étaient des immigrés, pour qui le combat pour la France et la liberté n’avait pas de prix.
De l’Arménien Manouchian à l’Italien Salvadori dit « Tony», de l’Espagnol Celestino Alfonso dit « Pierrot » au Polonais Mojsze Fingercwajg dit « Mario », ils ont figuré en première ligne, prenant parfois tous les risques avant d’être repérés par la Brigade spéciale, puis arrêtés, torturés et exécutés.
La BD s’arrête longuement sur chacun d’entre eux. Une pleine page montre et brosse leur portrait. Ce sont leurs visages que les Allemands ont placardé sur l’Affiche rouge, souhaitant associer leurs noms à une peur sans nom. Missak Manouchian y est présenté comme « chef de bande » et auteur de 56 attentats.
Lui qui, pendant longtemps, a rechigné à prendre les armes, s’est effectivement rapidement mué en chef de guerre. Une sentinelle allemande abattue alors qu’elle montait la garde devant un garage réquisitionné, des pylônes à haute tension détruits afin d’immobiliser plusieurs usines d’armements, un dénonciateur écarté du circuit… Avec beaucoup d’audace, Missak et sa bande adoptent des stratégies souvent payantes pour faire le ménage, au grand dam des Nazis.
Au fil des 160 pages de la bande-dessinée, nous ne devenons pas seulement les spectateurs des actes de Résistance menés par les Partisans. On se familiarise aussi avec la vie intime des protagonistes. Il en est ainsi de celle de Missak et de son épouse Mélinée, militante et combattante à ses côtés, qu’il décrit comme « ma petite orpheline bien-aimée ».
L’émotion nous gagne par ailleurs à la lecture des dernières lettres connues des « 23 », écrites avant qu’ils ne soient fusillés, en février 1944. « Je meurs en soldat de la Libération », note Roger Rouxel.
« Je meurs avec la conscience tranquille et avec toute la conviction que demain tu auras une vie et un avenir plus heureux que ta mère », écrit de son côté Golda Bancic à l’attention de sa fille Dolores Jacob, avant d’être guillotinée à Stuttgart, moins de deux mois après l’exécution de Missak et de ses compagnons au Mont-Valérien.
Un cahier documentaire d’une quinzaine de pages conclut la bande-dessinée. On y voit notamment Mélinée Manouchian, en février 1945, se recueillant devant la tombe de son époux. Elle décédera bien plus tard, en 1989. Depuis le 21 février 2024, le couple repose au Panthéon.