Je me demande si nous parlons suffisamment de ces femmes et hommes de l’ombre, ces passeurs missionnés afin de susciter l’envie à destination de celles et ceux qui pourront titiller eux-mêmes la curiosité du public. Le disque dont je vais vous parler résulte d’un tel concours de circonstances. Un projet forgé par un duo français, pas forcément destiné à connaitre une exposition massive des médias, un CD promotionnel qui se retrouve dans ma boite aux lettres, une impulsion soudaine de ma part pour ne pas le ranger sur le dessus de la mauvaise pile, lecture sur la platine et son poussé suffisamment fort… De fil en aiguille, me voilà sur le point d’en vanter les mérites, ce qui ne manquera pas de vous permettre l’écoute attentive puis la commande par le biais d’une page bandcamp (sauf à trouver par miracle un disquaire pointu, dénicheur de talents). En l’occurrence, mon messager de l’ombre connait décidément bien mes goûts, pour ne pas dire mon appétit vorace vis-à-vis de toute forme stylistique qui s’accompagne généralement des vocables « dark » et/ou « cold ».
Enfin pas totalement sombre et froid mais résolument dans le renouveau de la mouvance électro de confession angoissée. J’ai beau approcher inévitablement vers la moitié d’un siècle d’existence, je demeure un adepte des sous-sols où le chaland danse, vêtu de noir avec la mine sinistre de circonstance (même si franchement côté moral ça va plutôt bien). Le folklore nostalgique avec tout son attirail punk-dark-minimal-techno n’est donc pas amené à baisser le rideau car des formations comme Lovataraxx sont légion dans la place… Enfin, pour revenir à nos hôtes, impossible de nier que les Lyonnais font carrément le job !
Je confesse avoir zappé la sortie du premier album (Hébéphrénie en 2019). En tout état de cause, Sophomore mérite franchement un écho circonstancié et enthousiaste. L’entame est vibrante à souhait avec son lot de basse percutante et ses clichés certes sans surprise mais sans non plus mériter de faire grincer les dents. Heidi Montauk semble s’extirper d’une ère révolue. Le titre s’adresse pourtant à la nouvelle génération comme un appel effréné, histoire d’unir les forces vives dans l’optique d’une construction de société plus juste. Dans la foulée, Traumen sonne tel un hymne qui vilipende les vieux grincheux (ok je suis visé) n’accordant sans nul doute pas suffisamment de crédit aux attentes et idéaux de la jeunesse.
Au total, la galette ou cassette retient dix titres (huit pour le 33 tours) résolument ancrés dans l’air du temps… ceci malgré tout le blabla de mon propos liminaire. Globalement Lovataraxx cogne gentiment sur ce qui touche, que ce soit les machines mais aussi notre capacité de réflexion. La dualité alternative du chant masculin-féminin ajoute sa touche d’intérêt.
Sophomore qui étymologiquement évoque la confusion entre sagesse et imbécilité (choisis ton camps camarade, moi j’assume les deux) se nourrit de développements synthétiques, de films gores et SF tout en approfondissant les ressorts du monde actuel.
Vous pourrez y entendre des joutes et oscillations stroboscopiques, des nappes glissant prodigieusement sur des congères, un tempo addictif, un chant qui semble hésiter pour rentrer ou non dans la caverne. Les ingrédients habituels ne manquent pas, les compositions bifurquant par moment au titre de clin d’œil appuyé en hommage aux tribulations hantées des lointaines années cold wave. Je note au passage Tilda Vaast dont l’ivresse chimique exhorte les âmes mutiques à s’exprimer, à sortir de leurs rêveries amères.
Un vaste programme avec un bande magnétique qui ne manque pas de dynamisme et de caractère. Bref, vivement conseillé pour les adeptes du genre.
Crédit photo : Tanguy Guézo
Lovataraxx · Sophomore
Cold Transmission Music – 5 Avril 2024