2022-2023, anni horribiles pour Henk Hofstede. Le 16 mai 2022, le studio De Werf à Amsterdam, le home sweet home musical des Nits, est parti en fumée à la suite d’un incendie avec leurs instruments et des tas de souvenirs. Et un soir de mars 2023, alors qu’il dîne avec sa femme, les muscles du visage et de la gorge du chanteur cessent brutalement de répondre. Diagnostic : myasthénie auto-immune, une maladie neuromusculaire qui le gêne désormais dans sa vie quotidienne.
Après tout ça, il faut une sacrée dose de résilience pour reprendre le cours de son existence d’homme et de musicien. Dans cette épreuve, l’élégant septuagénaire a pu compter sur ses deux complices de toujours : le clavieriste Robert-Jan Stips et le batteur Rob Kloot. Ce nouvel EP, Tree House Fire, est donc à la fois une manière d’exorciser la destruction de leur lieu le plus cher, et une célébration de leurs liens, plus puissants que tout. Ce trio au long cours, qui fête cette année ses cinquante ans de création commune, force l’admiration par son aptitude à se renouveler après de déjà si nombreux temps forts.
La complicité des trois Nits, leur dextérité de musiciens et la capacité de chacun à enluminer la partition des deux autres éclatent à nouveau ici, dans le format du mini-album six titres qu’ils n’avaient plus exploité depuis Kilo (1983) et Hat (1988). Voilà qui nous ramène à de beaux souvenirs. Ces titres laconiques (The Tree, The Bird, The Attic, comme il y avait déjà The Hat, The Train, The Dream et The House sur Hat) titillent notre mémoire en nous renvoyant à certains Boy In A Tree, Wind-up Bird, Tree Is Falling, en un jeu malicieux, et tout sauf fortuit, de correspondances.
Mais entre l’oiseau, l’arbre et le feu, ce sont les flammes qui se taillent la part du lion. Elles hantent de bout en bout les mots des titres au goût de cendres, même lorsque la musique se conforme, elle, à la logique souriante des bataves. Elles reviennent encore plus fort dans les rêves du petit oiseau narrateur du quatrième morceau qui, lorsqu’il trouve le sommeil, voit de la fumée noire et des pompiers.
En ce Cruel Month Of May, la combustion a pulvérisé ce Big Brown Building qui était l’outil de travail et le lieu de la mémoire des Nits. Le feu n’a pas de cœur, comme ils en font le triste constat sur les deux derniers titres. En fait, jamais la thématique d’un de leurs disques n’avait été aussi conceptuelle.
Comme pour contrebalancer ce sentiment de désolation, nos seniors de la pop ont réajusté le curseur de leur accessibilité vers la douceur. Après Knot (2019), qui poussait sans doute trop loin leur volonté d’explorer des contrées plus aventureuses et ambiantes, Tree House Fire confirme encore plus que sur NEON (2022) le retour des Nits vers leur tropisme naturel, la caresse sonore. Des mélodies simples et belles, qui n’en sont pas moins frissonnantes et auxquelles des chœurs féminins et la ponctuation des synthés de Robert-Jan Stips donnent un relief qui garantit à l’auditeur la volonté d’y revenir. Month Of May, The Tree et The Wind has No Clothes n’ont ainsi rien à envier aux plus belles pages de Ting (1992), album plus que trentenaire auquel on pense très fort. Et ça fait du bien.
Alors nous reviennent les paroles d’un single solo de Roger Daltrey, chanteur des Who, de 1985 : « After the fire, the fire still burns ». C’est tout à fait ça. Même si le sixième et dernier morceau de Tree House Fire a des allures crépusculaires, le feu intérieur des Nits a survécu au grand incendie.
Nits – Tree House Fire
Music On CD – 19 janvier 2024