Une jeune femme tente de sauver une bête difforme dont elle devient très proche : horrifique et quelque peu dérangeant, le récit de Oh, Lenny (Editions Tanibis), porté par un graphisme à la ligne épurée, ne laisse pas indifférent.
Cette bande-dessinée est un piège. S’y laisser prendre offre un indéniable plaisir de lecture. S’y soustraire s’explique aussi, tant le propos qui y est développé peut susciter malaise et incompréhension. Si vous êtes cartésien et que vous n’aimez pas être bousculé par l’expression artistique, ses mots, ses dessins et ses maux, alors passez votre chemin.
Dans tous les cas de figure, Oh Lenny vous déstabilisera, tant la ligne claire et facile d’accès du dessin d’Aurélien Maury – par ailleurs l’un des co-fondateurs des Éditions Tanibis (chez qui la bande-dessinée est publiée) – vient s’opposer à l’histoire complexe et pas banale qui nous est contée.
Tout part d’une rencontre entre June, une jeune femme vétérinaire, et un petit être difforme sur pattes ou tentacules, découvert agonisant dans une eau croupie. Extra-terrestre, mammifère marin, animal de compagnie… Il va s’avérer difficile pour June de qualifier cette bête, qu’elle choisit néanmoins d’appeler Lenny.
Devant le vide intersidéral qui s’ouvre devant elle, à la suite d’un déménagement que son compagnon lui a vendu comme une opportunité, la voici qui, petit à petit, va se prendre d’affection, pour ne pas dire plus, pour le monstre glouton (et accessoirement suceur de sang).
Ainsi vampirisée, la vie de June va s’en trouver transformée. Déprimée, elle donne un sens à sa vie avec Lenny, hypothéquant toutefois la tranquillité du voisinage et mettant son couple en péril. À deux doigts de commettre l’irréparable, la jeune femme va dès lors anticiper la vindicte populaire en fuyant sur une île qu’elle fréquentait dans son enfance.
Au fil des semaines, le dépérissement va la guetter. Psychédéliques, les dessins s’enchaînent pour témoigner du monde parallèle dans lequel l’héroïne s’est enfermée, comme poussée pas les méfaits d’une drogue devenue hors de contrôle.
Étrange, voire inclassable – si ce n’est parmi les œuvres héritées de Charles Burns ou de Daniel Clowes, dont Aurélien Maury est un grand admirateur – Oh, Lenny nous entraîne dans les profondeurs de l’âme humaine, au risque nous perdre ou de nous embarquer, c’est selon. Avec cette bande-dessinée originale et transgressive, chacun est invité à interpréter les choses à sa manière et à se forger une opinion.