Commençons cette chronique par louer la pertinence de Earth Recordings. Souvenez-vous, pour le RSD, nous vous avions annoncé la sortie d’un triple vinyle à propos de Shirley Collins et nous vous avions, par la même occasion, alléché avec trois extraits magnifiques. Le 18 avril dernier est donc sorti le dit Lp Shirley Inspired. Bien. Bien mais pourtant peu de mélomanes ont pu y avoir accès. Faute d’avoir les fonds suffisants pour s’acheter un triple Lp (50 € l’objet sans les frais de port, avouons que ce n’est pas à la portée de toutes les bourses) ou alors parce qu’une platine vinyle, c’est aussi un investissement. Heureusement pour nous, le 15 juin prochain, Earth Recordings propose la version triple cd et en profite pour y ajouter onze morceaux (passant de 34 à 45 chansons).
Quel est le principe de Shirley Inspired me demanderez-vous ? Simple : la grande dame du Folk anglais fête cette année ses 80 ans. Pour ce faire, le label Earth Recordings a proposé à la crème des musiciens actuels (que ce soit Folk, Rock, Avant-Gardiste, pop, etc…) de lui rendre hommage en reprenant leur morceau préféré de sa carrière ( premier album sorti en 1959, dernier en 1978 avec sa sœur Dolly mais apparition sur le magnifique Black Ships Ate The Sky de Current93 en 2006). Sur les 45 artistes présents, certains ont eu le même coup de cœur (Adieu To Old England, Just As Tide Was Flowing notamment) et pas mal de morceaux sont issus des mêmes albums (False True Lovers et Love & Death Of A Lady) mais l’univers des protagonistes est suffisamment éloigné pour éviter la redondance.
Vous me direz, ça les prend comme ça chez Earth Rercordings de vouloir faire un album hommage à Shirley Collins ? Pour les 80 ans de Nana Mouskouri l’an dernier, personne n’a vu de label monter au créneau pour lui rendre hommage. Je vous répondrai : « ok, là n’est pas la véritable raison de ce disque ». Shirley Inspired est un peu l’appendice ou la cerise sur le gâteau, d’un projet plus démesuré : celui de faire un documentaire en auto-financement, via Kickstarter, sur la chanteuse Anglaise. Ce projet, The Ballad Of Shirley Collins, a été créé il y a presque un an jour pour jour (le 22 juin dernier) et, pour booster le projet, il fallait créer un autre événement. Shirley Inspired sera donc cet autre événement auquel répondront une soixantaine de musiciens. Depuis, le financement a été atteint en à peine un mois et le film sortira probablement en 2016.
Qu’en est-il alors de ce triple album ? D’abord une constatation d’une rare objectivité : ne pas sortir le troisième cd aurait été une faute de goût inexcusable. C’est en effet ici où sont concentrées les plus belles reprises (vous pouvez y aller les yeux fermés du 5ème au dernier morceau). Ce qui nous amène au second point : si le casting est exceptionnel, l’exercice de la reprise est on ne peut plus casse-gueule. Et comme dans tout album de ce genre, certains s’en sortent brillamment, d’autres se vautrent lamentablement. Évacuons d’emblée les horreurs (au nombre de trois), disséminées sur les trois disques. La palme revenant à Mitz Steffani et son Bunny Boy inaudible, gonflé aux hormones, suivi de près par les six minutes New Age d’Ela Stiles et enfin, parce que c’est un style que je n’apprécie pas, le a cappella celtique de Crying Lion.
Passons sur l’anecdotique, Barbarossa, Belbury Poly, Bonnie Dobson, Sally Timmins, Olivia Chaney, Marco Pirroni (à la limite du mauvais goût tout de même) et, plus surprenant, la superbe Sharron Kraus qui sans se vautrer, ne parvient pas à faire décoller sa reprise. Et attardons nous sur le positif : ça va en gros de la mention honorable (Alasdair Roberts, Rachael Dadd, Paul Smith, Susan Stenger), à la mention pas mal mais un peu trop scolaire (Stuart Estell, The Owl Service) jusqu’à l’excellence en passant par la mention Autre (la reprise de Josephine Foster, très expérimentale et minimaliste ou encore celle, très primitive de C Joynes pendant laquelle il s’accorde tout en jouant son morceau). L’excellence est incarnée par le sublime The Blacksmith d’Angel Olsen qui parvient en quatre minutes à éclipser la quasi totalité de la discographie de Marrissa Nadler post Ballads Of Living & Dying, suivie de près par le très Cohenien Bold Fisherman de Rob St John ou encore l’habité et très sombre Adieu To Old England de Paul Armfield et d’encore plus près par le T-Devil, bluesy et Mazzy Starien de MV&EE.
Et enfin, il y a le reste, oscillant entre le réussi et l’excellent. Parce que bon, ne nous voilons pas la face, le niveau des participants est tout de même assez exceptionnel. Certains confirment leur talent hors de leur territoire de prédilection (Lee Ranaldo, les Black Metalleux d’Ulver, Coxon) ou se réapproprient avec talent l’univers de Collins (Chenaux, Foster, MV&EE), d’autres sont parfaitement à l’aise dans l’exercice de la reprise et évoluent comme s’ils avaient créé eux-même ces compositions. En tous les cas, malgré quelques beaux plantages, tous se sont pliés en quatre, ont sorti leurs plus beaux habits de lumière pour rendre hommage au talent monstrueux de Shirley Collins et faire en sorte que ces 3h 20 de musique passent comme un souffle. Objectif en grande partie réussi. Au passage, on rendra enfin hommage au travail des boss d’Earth Recordings qui ont du s’arracher plus d’un cheveu et avoir de courtes nuits pour réunir tout ce beau monde et faire en sorte que Shirley Inspired voit le jour. Respect donc.
Sortie le 15 juin chez Earth Recordings ainsi que tous les disquaires So British de France et de Navarre.
Et pourtant, elle eût mérité, Nana.
rien que pour son premier album avec Quincy Jones, je suis d’accord avec toi. Après en revanche…