[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]J[/mks_dropcap]e t’ai rencontrée pour la première fois il y a 5 ans. C’était par une chaude matinée d’été au marché aux Puces de Carpentras. Tu étais là, anonyme, tentant de te faire oublier dans un bac en plastique à l’ombre d’un platane centenaire. Ta pochette au titre aguicheur accrocha néanmoins mon regard et te fit sortir définitivement du mépris et de l’indifférence que les autres t’accordaient.
Là où y a des frites, mais c’est un disque pour moi ça ! (NDLR : votre chroniqueuse est chti et donc génétiquement obsédée par cet aliment qu’elle considère comme LA preuve de l’existence de Dieu et dont elle aime régulièrement chanter les louanges). À cela ajoutez la promesse des pom pom de l’accordéon comme le montre la photo (rappel, votre chroniqueuse est chti et donc élevée aux sons du musette, sport national là-haut) ! Ni une, ni deux, l’affaire était réglée et je t’embarquai sous le bras illico pour une somme dérisoire.
Il fallut attendre patiemment quelques jours mon retour à Lyon pour enfin te sortir de ton écrin de carton et te découvrir. La galette posée, le coup de foudre fut immédiat. Une cascade d’accordéon en ouverture et cette voix ! Un mélange de gouaille, d’énergie et de sourire. Une Titi qui en fait des caisses mais avec finesse. Et puis ce refrain qu’il est bon de beugler après quelques bières bien piconnées. Georgette, tu rentrais définitivement dans ma tête et mon cœur.
Un autre titre retint mon attention sur la face B. Une reprise des années 30 de Lyne Clevers, une chanson aux tonalités latinos et au texte fripon, avec un refrain tout aussi accrocheur que celui des Frites. Georgette, je découvris alors ton côté arsouille du pavé des bas-fonds qui piqua ma curiosité.
Et là, lecteur, tu te demandes si tu es bien sur Addict-Culture alors que tu as l’impression d’être attablé sur le plateau de Pascal Sevran. Dis-toi que le dimanche est un jour préposé à la mélancolie et qu’il est bon de se rappeler ces heures d’ennui ou de stupéfaction face à La Chance aux Chansons que tu as connues petit.
Je poussais donc le vice à faire quelques recherches sur toi et découvris plusieurs choses. D’abord, que tu n’as pas fait que chanter mais que tu as été aussi actrice, notamment dans Elle court, elle court la banlieue de Gérard Pirès où tu as partagé l’affiche comme voyageuse de métro avec Jacques Higelin et Alice Sapritch.
Ensuite, que tu as eu deux carrières musicales. La première, plutôt classique. Celle d’une jeune fille de province, danseuse de music-hall, qui monte à Paris durant la Deuxième Guerre Mondiale pour tenter sa chance comme chanteuse. Ton répertoire se compose alors de reprises de chansons des années 20. C’est un triomphe, tu partages la scène de l’Alhambra avec Bourvil dès 1942. La guerre finie, tu continues à être populaire mais un mariage à la fin des années 40 te fait quitter la scène. Ta musique passe dans l’oubli et se ringardise avec l’arrivée du rock’n’roll.
Contre toute attente, tu reviens en pleine lumière et démarre ta deuxième carrière l’année de toutes les révolutions, notamment musicale, en 1968, avec un titre qui te fera passer à la postérité à tout jamais, ton tube, Riquita. Un morceau complétement anachronique en pleine période yéyé où les chanteurs à succès dépassent alors rarement la vingtaine d’années.
Et pourtant entre Joe, Sylvie, Françoise, Johnny et les artistes avant-gardistes britanniques ou américains, tu réussis à imposer ce fox-trot des années 30, aux paroles nous rappelant le temps béni des colonies comme le chantait l’autre. Sans doute rassures-tu cette France gaulliste à Papa qui constate avec effroi la disparition de son monde et se raccroche à toi comme dernière bouée d’un passé qui ne veut pas mourir.
Remise sur la sellette, tu traverses les années 70 avec succès puis interviens régulièrement chez Sevran à partir des années 80. Tu finiras par t’éteindre sagement, toi la doyenne des chanteuses françaises, à 95 ans en banlieue parisienne dans une relative indifférence.
Partageant mon amour pour les vieux 45 tours mal aimés, un ami très cher et pourtant ignorant de ma passion secrète pour toi, Georgette, m’envoya quelques mois après ma rencontre avec toi un lien. « Tiens, une chanson qui parle de toi ! ». Tabernacle ! Quelqu’un me remettait ta voix de canaille dans les oreilles et en plus via un titre qui effectivement semblait écrit pour moi. Je me mis à l’écouter régulièrement pour me moquer des mes états d’humeur dépressive qui surgissent parfois, et finis par trouver le 4 titres physique dont il était tiré dans un bac en plastique là encore, au cours d’un vide-grenier.
Cette pochette avec ces rugbymen à l’arrière-plan et toi rayonnante et souriante au premier plan me plut de suite et je courus poser le disque sur la platine une fois rentrée. Premier titre et bim, amour fou et éclat de rire pour cette Rugby Marche enlevée et coquine qui deviendra très vite un classique de mes soirées, parfois même réclamée par des copains convertis au Georgetteplanisme. Comment résister en effet à une femme faisant rimer culotte et asticote ?
Bon, je dois reconnaitre que parler de et partager sa passion pour Georgette après quelques verres lors d’un premier rancard n’est pas le plus pertinent vu le regard d’abord enthousiaste (car ignorant) puis désespéré (après écoute) de mes soupirants. Néanmoins, en ce dimanche pluvieux et ennuyeux où chacun attend plus ou moins patiemment les beaux jours, écouter Georgette Plana c’est l’assurance de se mettre une bonne rasade de soleil et d’impertinence joyeuse dans les oreilles et la tête .