[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]S[/mks_dropcap]es amis des salons parisiens du dix-septième siècle la surnommaient « le Brouillard » pour souligner déjà son caractère insaisissable et le mystère qui la nimbait. Cinq siècles plus tard, il semble qu’elle n’ait jamais aussi bien porté ce surnom tant la fascination et les questions que Madame de La Fayette soulève demeurent entières.
Marie-Madeleine Pioche de La Vergne voit le jour à Paris en 1634. Fille de la petite noblesse, elle commence à fréquenter les salons littéraires dès l’âge de ces seize ans et se lie d’amitié avec la Marquise de Sévigné. Elle épouse en 1655, l’année de ses 21 ans François Motier, comte de La Fayette, avec qui elle aura deux fils. Elle se retire au fond de l’Auvergne après son mariage mais s’ennuie. Elle revient très rapidement à Paris gérer les affaires de son mari et retrouver l’univers des salons mondains.
Elle est alors très proche de La Rochefoucauld. Elle écrit et fait paraître incognito La Princesse de Montpensier en 1662. Cependant à l’époque, le fait qu’elle ait été la seule à écrire cette nouvelle est contesté. Il était courant en effet à l’époque que plusieurs personnes participent à l’écriture d’un même ouvrage. Cette histoire de passion dévastatrice est un succès dès sa parution. Bertrand Tavernier adapte la nouvelle en 2010, trouvant « des résonances très contemporaines au récit de Mme de La Fayette. Comme, par exemple, le droit d’une jeune fille à avoir son propre destin, la manière dont elle vit entre le code de l’honneur, son éducation et son désir. «
En 1669, elle écrit le premier tome de Zaïde, un roman hispano-mauresque qu’elle signe sous le nom de Segrais. Neuf années plus tard, en 1678, sort l’œuvre qui immortalisera Madame de La Fayette. Considéré comme le premier roman psychologique français, La Princesse de Clèves fait couler beaucoup d’encre dès sa sortie et inspirera de nombreuses grandes plumes de la littérature comme Balzac, Raymond Radiguet, avec son roman Le Bal du comte d’Orgel, ou son amant Jean Cocteau. Madame de La Fayette nie en être l’auteur. Il était en effet scandaleux à l’époque pour une femme, même lettrée, d’écrire et de publier sous sa plume.
Cette histoire de renoncement à la passion qu’éprouve la princesse de Clèves pour le duc de Nemours fascine le lectorat qui en multiplie les analyses depuis cinq siècles. Ainsi, ce passage où la princesse avoue à son mari son amour pour un autre, ce qui tuera l’époux fou de jalousie, fut considéré comme invraisemblable par les lecteurs contemporains de Madame de La Fayette, charmant un siècle plus tard, immoral au dix-neuvième siècle, idiot au vingtième siècle selon Marie Darieussecq. De même, le fait que la princesse, veuve, puisse enfin épouser l’homme qu’elle aime, mais préfère le couvent pour respecter le souvenir de son mari n’en finit pas de créer des débats enflammés sur le bien-fondé de cette décision.
Certains voient en effet en cette princesse l’archétype de la femme vertueuse qui préfère le couvent à l’amour. D’autres au contraire y voient l’incarnation de la femme libre qui choisit de s’affranchir à tout jamais du joug masculin. Roman moraliste ou féministe, la question n’est à ce jour toujours pas tranchée mais semble avoir dépassé un célèbre petit homme d’État français qui a remis en lumière, bien malgré lui, le roman de Madame de La Fayette en 2006. Alors en campagne pour l’élection présidentielle, il déclare devant un parterre de fonctionnaires sa volonté d' »en finir avec la pression des concours et des examens ». Il lance alors : « L’autre jour, je m’amusais – on s’amuse comme on peut – à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves. Imaginez un peu le spectacle ! ». Visiblement en haine ou en peine le livre, il remet le couvert deux ans plus tard, réitérant des propos tout aussi méprisants envers le roman de Madame de La Fayette.
Cet acharnement provoquera l’effet inverse, à savoir une publicité inouïe pour le livre qui voit ses ventes en librairie augmenter, des lectures marathons en public par des enseignants chercheurs devant des lieux symboliques comme le Panthéon à Paris et l’adaptation cinématographique du roman par Christophe Honoré avec La Belle Personne en 2008, suivie du documentaire Nous, princesses de Clèves de Régis Sauder, sorti en 2011 qui suit la rencontre de jeunes lycéens des quartiers Nord de Marseille avec le roman.
Profitons donc de cette date anniversaire pour célébrer l’insaisissable et passionnante Madame de La Fayette qui ne cesse de susciter débats et polémiques mais aussi d’inspirer de nombreuses plumes ou pellicules tant ses livres restent modernes et sujets aux interprétations les plus contradictoires.
Cadeau, une lecture de La Princesse de Clèves offerte par l’inoubliable Jean Rochefort pour ceux que le livre effraierait ou au contraire a passionné.