On ne va pas se mentir, le titre du nouvel album est étrange. Une similitude avec la punchline Hardcore Will Never Die, But You Will des compatriotes et amis de Mogwai (même label, même combat). Ouais, I’m Totally Fine with It Don’t Give a Fuck Anymore que nous pouvons retrouver avec les pouces levés et des * en guise de sécurisation puritaine est tout bonnement une récupération amusée d’un SMS du batteur du groupe.
En 2021, parler de retour triomphant d’Arab Strap était un doux euphémisme. Le groupe disparu des radars n’avait pas engendré depuis 2005 et l’impensable As Days Get Dark renvoyait fondamentalement à l’idée d’une catharsis des jours sombres. Une renaissance amenée donc à connaitre la suite que voici, perçue par Aidan Moffat et Malcom Middleton telle une deuxième œuvre (même si comptablement il s’agit de leur huitième grand format).
Alors qu’a-t-il dans le ventre ce huitième/deuxième opus ?
Allatonceness (contraction orale de « all at once-ness », concrètement la cessation du temps et de l’espace dans le monde… tout un programme !) s’annonce au gré d’un roulement de tambour, une basse qui semble tout droit dépêchée d’un film d’horreur et la gouaille tourbée de notre chanteur à la barbe épaisse. Arab Strap ajoute du noir au noir et alpague le chaland comme d’autres racolent avec une frénétique obsession leurs semblables.
En fait, je pensais presque me la jouer grosse feignasse pour cette bafouille en rêvant de la facilité de reprise des métaphores et qualificatifs affublés jadis, sauf que ma perception primaire à l’écoute de cette piste d’ouverture va vite prendre un coup dans l’aile. En effet, je me suis mangé de plein fouet une singularité dancehall dans la trombine (Bliss). Révolution ou simple évolution amorcée il y a trois ans, nos écossais importent des pulsations électromagnétiques compulsives à l’habituel rude accent qui gratte dans la gorge d’Aidan Moffat, décidément encore foutrement loquace pour ce prolongement des retrouvailles.
Paul Savage n’est pas très loin pour renouer avec la touche parfaite.
Rythmique endiablée + secousses inédites + hybride férocité teintée tantôt d’une fausse nonchalance, tantôt d’une morgue à l’égard du monde environnant = une équation destinée à faire claquer les mâchoires toujours au bon tempo. En parlant de thématique dentaire, les incisives sont aiguisées pour l’un des must du recueil, Strawberry Moon qui nous embarque grâce à sa densité lourde, ses frétillements « pop » outre ses rouleaux répétés qui pourraient presque noyer la bestiole qui sommeillait en nous.
Au fil de ce déconcertant I’m Totally Fine with It Don’t Give a Fuck Anymore, les fans retrouveront quelques assouplissements progressifs histoire de faire souffler le chaud et le froid (la fameuse douche du coin). Je note à ce titre la tension tamisée de Molehills, le renforcement des textures traditionnelles avec quelques ballades sous des néons ternes (You’re Not There) ou, de manière plus évidente, l’architecture folk de Safe & Well dont le frottement des cordes confère à l’ensemble une valeur précieuse. Une oasis sensorielle au cœur du raffut.
Bref, Arab Strap propose en 2024 deux options au menu. Un optimisme étonnant malgré les grésillements alentours ou son négatif en couleurs, un énième développement sarcastique à défaut de sombrer frontalement dans la colère.
Crédit photo : Kat Gollock
Arab Strap · I’m Totally Fine with It Don’t Give a Fuck Anymore
Rock Action – 10 Mai 2024