[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#070f4f »]A[/mks_dropcap] la lecture de la programmation de la 35ème édition d’Art Rock, je pouvais être sceptique quant à l’engouement qui serait le mien durant ces trois jours de festivités au cœur de la cité briochine. Pire, j’étais circonspect à l’idée de voir un saugrenu enchainement entre Vald (trublion du rap hexagonal) et une légende du rock annoncée comme l’évènement du premier soir. Souffrant des mêmes symptômes que mon ami Saint Thomas, il me fallait juger sur place et sur pièce.
* Vendredi 18 *
La mise en jambe s’est faite sans préliminaire sur les explosions de Mat Bastard, gaillard venu insuffler une énergie poussée sur ressorts. L’ex frontman de Skip The Use, au-delà de son propre répertoire, s’est essayé à une reprise osée de Rage Against The Machine avant d’achever son labeur sur les accélérations du mythique Porcherie de Bérurier Noir. Idéalement raccord pour débuter les hostilités avec l’idée d’une pinte de bière coupée à l’eau.
La suite fut un pur moment de bonheur avec les écossais de Django Django. Mission accomplie pour ces alchimistes d’une pop rafraîchissante marquée par un réjouissant amalgame entre un rock-électro rayonnant et de fortes pincées de psychédélisme folâtre. Le quatuor parvint avec habilité à vivifier la partition de Marble Skies, leur dernier album en date. L’exécution d’un sémillant First Light fut la cerise sur la tranche de ce succulent pudding, servi la veille d’épousailles princières de l’autre côté de La Manche. Un régal !
En cette première soirée pour le moins diversifiée, la jeune génération laissait s’installer une assistance bien plus « sage ». Pour paraphraser un célèbre chanteur français, la place Poulain Corbion unissait en son lit les cheveux blonds, les cheveux gris. Cette maladie d’amour (du moins la mienne) se nomme Marquis de Sade. La tête de proue d’une musique forgée en pleine ébullition de la scène post-punk rennaise faisait l’honneur de sa présence, quelques mois après un concert évènement (compte rendu à lire ou relire ici-même) marquant un retour inespéré du groupe mené par le charismatique Philippe Pascal et son acolyte guitariste Frank Darcel. S’il fallait comparer la prestation avec celle du 16 septembre 2017, je ne pourrais occulter les effets propres à la diffusion de cette musique singulière confrontée aux affres d’un festival. Il y avait sans doute trop d’ampleur dans les enceintes pour apprécier à sa juste valeur la théâtralité de l’entame. Pour autant, la seconde partie de l’ouvrage parviendra à se hisser au diapason d’une exigence malheureusement boudée à en croire des rangs trop vite clairsemés. Les réfractaires auront juste manqué un final éblouissant au titre d’un swing parfaitement soudé avec la thématique dansante de l’évènement. Preuve en est, certains convives n’avaient plus de souffle pour succomber à la transcription live assénée par Fakear. Il fallait bien garder des forces pour les deux jours à venir !
* Samedi 19 *
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#070f4f »]L[/mks_dropcap]e samedi se présentait sous une veine quasi similaire avec l’élégance froide de Denner. Désormais agrémenté d’un clavier climatique, les morceaux de leurs cantiques chargés d’ombres se révélaient bien plus denses. Estocade avec une version dantesque de Drifting Canticles. Une fois encore, un grand récital !
Changement de cap avec Clara Luciani dont l’exploit fut de me faire céder à un registre loin d’être ma tasse de thé. Il faut dire que la chanteuse a de solides arguments à faire valoir grâce à ses ballades légèrement chargées de mélancolie. La juste dose de gravité cachée derrière une voix remplie de grain n’y est également pas étrangère. Je porterai néanmoins quelques bémols avec le sentiment de quelques errements sur ses reprises francisées : Blue Jeans de Lana Del Rey et The Bay de Metronomy (devenu pour l’occasion La Baie… de Saint-Brieuc). Le regard de l’intéressée est si magnétique qu’on lui pardonnera toute entorse à cette définition utopique du concert parfait.
Je restais dans la même humeur avec une artiste découverte à l’époque où cette dernière sévissait au sein du collectif Nouvelle Vague. Depuis cette époque, la chanteuse a fait du chemin et l’offrande au public fut de taille : une scénographie impeccable, une qualité de son remarquable (chose rare à signaler pour les concerts en plein air), une troupe de bleu vêtu qui mène une rythmique soutenue par une forme d’onirisme déconcertant. Alors vous allez me dire où est le hic ? A force de trop de netteté, la folie douce se métamorphose en infusion soporifique et Camille devient quelque peu camomille. Pas de quoi égratigner au-delà de ce léger pinaillage cet étrange enchevêtrement poétique.
Il me fallait sans doute plus de musique tapageuse et j’allais être grandement servi par les deux des groupes officiant sur la scène du Forum. Tout d’abord, je découvrais la grosse révélation d’Art Rock et j’ose même dire la grosse sensation du festival. Les fringants ricains de The Buttertones allaient en 60 minutes nous secouer grâce à leur sauce aussi piquante que subtile, un rock qui surfe sur les vagues d’une bande audio parfaite pour concilier fougue et finesse. Le jeu de saxo venant conférer un relief noble à des exécutions nerveuses. Il me faudra suivre plus scrupuleusement cette formation menée par Richard Araiza, crooner électrique ayant déjà la gueule de l’emploi. Précisons que le jeune combo détient à son actif quatre albums aux confluents d’une B.O de western jouée pied au plancher. En tout état de cause, les noctambules auront vécu une prestation sacrément croustillante !
Dans le même esprit, il ne fallait pas manquer les déferlantes garage de Night Beats. Le trio débarqué de Seattle sortira la grosse artillerie au moyen d’un blues hypnotique ultra saisissant. Bref, cette seconde nuit fut bigrement agitée !
* Dimanche 20 *
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#070f4f »]L[/mks_dropcap]e dimanche après-midi, il y a une tradition à laquelle je ne déroge quasiment jamais, celle du repos du guerrier. Une fois encore, c’est confortablement installé dans l’un des fauteuils de La Passerelle que je m’apprêtais à découvrir le monde fascinant de Chassol. Le voyage pouvait alors commencer au souffle d’un jazz nourri de vibrations venues des Antilles. Big Sun en son concept est l’alchimie d’une projection sur laquelle se greffe les arrangements au clavier du martiniquais, accompagné pour l’occasion par un excellent batteur lui rendant l’appareil. Une véritable prouesse empreinte de brillance, le tout effectué avec une technique impressionnante qui magnifie l’exploration sensorielle de taille. Un des grands moments de ce week-end !
A la suite, Juliette Armanet pouvait bénéficier des clameurs d’un public conquis d’avance. Le spectateur navigue ici dans des ritournelles qui semblent écrites par le fantôme de Michel Berger (on a connu pire au rayon des références). Pour ce qui me concerne, j’avoue ne pas être un adepte de ce type de chansons mais j’admets sans ciller que les quelques moments plus « intimes » bercés par le piano-voix m’auront touché. Au-delà de la simple question de bon goût, l’étoile montante de la pop française aura marqué son passage d’une forte expérience dans la délivrance de ses compositions. Le tout, sans occulter une vraie faculté à s’amuser (à noter le moment de drôlerie fine lors de l’interprétation d’Alexandre).
De l’art de mettre le public dans sa poche, ce n’est pas Cécile Cassel, A.K.A HollySiz qui pourrait s’en défendre. Ultra sexy dans une tunique blanche, elle réussira à bluffer l’assistance en boostant de quelques cordes un peu faciles (mais redoutables) une contagion dynamique à tous les étages.
Pour les normands de Concrete Knives c’est un véritable plan B qui s’offraient à leur pop-rock vitaminée. Bien installé au premier rang, il était aisé de ressentir un groupe heureux de jouer d’une partition chantée à l’unisson. Leur set fut en ce sens marqué de belles références, leur conférant un style idéal pour cet exercice dont l’objectif sera parvenu à fédérer avec succès moult affinités.
Mais la grosse sensation du dernier virage fut de très loin celle libérée par les furieux d’Idles. Encore plus fou que leur sortie l’été dernier à La Route du Rock… Inutile de chercher une once de mélodie, ici nous sommes dans le lourd, la brutalité primaire que l’on balance dans un défouloir qui envoie les premiers rangs valser dans tous les sens. Sans aucun doute une grosse claque pour ceux qui appréhendaient les anglais pour la première fois. Ici, on ne fait pas dans la babiole, on exulte de tout va et sans quasiment s’accorder de temps mort. Le délire est punk et, à l’exception du grand maboule Gil Jogging rencontré au hasard de mes déambulations pour le off Art Bist’Rock, il n’y eu de déflagration aussi gonflée. Je vous épargne le descriptif vestimentaire de l’un, l’égarement sauvage de l’autre qui balança sa guitare de la fosse à la scène au grand dam d’un technicien qui passait par là. J’en suis ressorti lessivé mais ravi comme si j’avais passé une heure dans une essoreuse. Bref, le prolongement de la nouba paru par la suite bien plus fade !
D’ailleurs, je me permets d’évacuer volontairement de mon propos les prestations plus anecdotiques : Une déception notamment pour Petit Fantôme mi-figue mi-raisin… sans la colère.
Et quid d’Orelsan ? N’ayant pas glissé les codes de son hip-hop dans ma musette afin de m’intéresser à celui qui aura remué la foule costarmoricaine avec son double maléfique, je confesse le zappage au même titre que d’autres têtes d’affiche de cette édition ô combien éclectique. Il en fallait pour tous les goûts et, à ce titre, l’opération fut parfaitement menée pour le plus grand plaisir des festivaliers.
Au titre du bilan, l’organisation peut aujourd’hui se féliciter d’un bon cru 2018 avec 70 000 entrées dénombrées (40 000 payantes) et une ambiance jugée au beau fixe. Merci au soleil mais surtout à la synergie des talents variés, autant à la scène qu’en coulisse.
Je profite de cette conclusion pour remercier l’ensemble de l’équipe du festival pour son accueil ainsi qu’Yvon Royer pour son aimable autorisation.