Les amateurs de trains et d’histoire industrielle vont se régaler avec Engineer, À la conquête du rail. Dans cette série dont le deuxième et dernier tome vient de sortir aux Éditions Petit à Petit (sous le label manga Kotodama), Kunihiko Ikeda retrace la naissance et l’évolution du réseau ferroviaire japonais à l’ère Meiji, en mêlant biographie, aventure technique et récit d’ingénieurs.
Au cœur de l’histoire, deux personnages se répondent. Yasujiro Shima, ingénieur visionnaire à la tête des chemins de fer du Kansai, et Tetsundo Amamiya, conducteur de train talentueux mais rebelle. Leur rencontre déclenche un duel silencieux à coups d’innovations. L’histoire débutait dans le premier tome alors que les chemins de fer n’existaient au Japon que depuis une vingtaine d’années et ils traversent ainsi l’électrification du réseau, l’extension des voies et la maîtrise des terrains montagneux et des conditions extrêmes. Surtout, ils se heurtent à de nombreuses modifications lorsque l’administration gouvernementale prend le contrôle des chemins de fer japonais.
Ce récit d’aventure atypique casse les préjugés qui accompagnent parfois le manga. Vous ne trouverez ici ni dragons, ni super-héros, mais des rails, des ponts suspendus et des locomotives à vapeur fumantes et un Japon à l’aube de sa modernité. L’auteur fait le pari de rendre ces enjeux techniques accessibles, sans jamais tomber dans le manuel scolaire. L’ossature des trains, la largeur des voies et les rivalités entre compagnies privées deviennent le terrain de tensions dramatiques.

Graphiquement, le style d’Ikeda adopte une vraie précision de détail. Les machines sont magnifiées et chaque mécanisme est clair. Le lecteur n’a pas besoin d’être passionné de trains pour se laisser emporter car la narration visuelle fonctionne comme un film d’époque, avec des cadrages larges sur le paysage, des gros plans sur les visages déterminés, des séquences de sabotage et d’accidents évités de justesse.
Le Japon d’alors est à la croisée des chemins. Isolé puis ouvert, féodal puis industriel, privé puis nationalisé. Le rail devient le symbole de ce basculement. À travers Shima et Amamiya, personnages hauts en couleur auxquels ce manga doit sa réussite, on comprend que le progrès exige des machines, mais surtout des hommes prêts à changer, à écouter, à se remettre en cause. C’est un récit de civilisation autant que de technique, et l’on se languit de comparer cette période à celle que nous traversons aujourd’hui, avec les conflits multiples et la manière dont l’homme va s’adapter à une technologie qui fait des progrès rapides.
En refermant le tome 2, on ressent la satisfaction d’un voyage accompli mais aussi une nostalgie légère . Les rails sont posés et la course va maintenant commencer. Pour qui ? Pour les trains à grande vitesse tels que le fameux Shinkansen (inauguré en 1964, à la fin du récit) et les trajets parfaits. Mais aussi pour nous, lecteurs et lectrices, qui avons suivi cet acte de création. Cette BD ne parle pas seulement de trains. Elle parle d’espoirs, de tensions et de ce que signifie construire quelque chose qui dure.
Que l’on soit amateur de manga, passionné d’histoire ou simplement curieux, Engineer, À la conquête du rail mérite qu’on lui fasse une place sur son étagère.

Engineer, A la conquête du rail, Tome 2 de Kunihiko Ikeda
Petit à Petit, 2025


