Le rock est mort, comme la gauche, l’amour du métier et le roman classique, répètent les imbéciles. Les Black Keys, des années de labeur en témoignent, s’échinent à prouver que non : le rock n’est pas mort depuis le service militaire d’Elvis / la passion de Brian Jones pour le scuba diving / l’atroce prog-rock des 70s / le Fast Cars des Buzzcocks / le jour où Franck Black a mangé les Pixies par inadvertance / le balancement mammaire de Meg White (rayer les mentions inutiles).
Et comme les bons songwriters sont aussi rares que les mentons glabres dans le petit monde de la pop et que Radiohead fait des… trucs, ces seconds couteaux occupent désormais le devant de la scène rock, presque malgré eux, et réalisent l’impensable dans l’économie musicale actuelle : ils font carrière. Et se permettent de progresser à chaque opus, artisans plus consciencieux que glamour (et donc vaguement moqués par la critique arty), sous la houlette d’un Danger Mouse qui étoffe sans cesse la production de leur blues à peine déguisé.
Loin des recettes qui ont parfois alourdi ses prédécesseurs, Turn Blue s’ouvre sur l’incroyablement ambitieux Weight of love, monument rock qui en sept minutes brasse trente ans de musique et donne tour à tour envie de crier, de guincher et même de se prendre pour Carlos Santana le temps d’un solo de guitare comme on n’en espérait plus.
Les Black Keys déroulent ensuite leur brochette de hits entêtants (le single Fever, 10 lovers) , de blues éclairés de choeurs féminins (Year in review), de titres plus martiaux qui évoquent les White Stripes (It’s up to you) et de ballades quasi-pop (Waiting on words, Gotta get away) qui donnent envie de dévaler des highways en décapotable pour refaire leur parcours initiatique depuis les banlieues industrielles d’Akron jusqu’au sanctuaire de Nashville. « It’s only rock’n’roll, but I like it ».