Jusqu’à noël l’équipe des chroniqueurs littéraires va vous aider à choisir vos cadeaux de noël en vous proposant une sélection de livres à offrir ! Vous y trouverez des idées de tout styles et pour tous les âges ! Rendez-vous lundi pour une nouvelle sélection ! N’hésitez pas à aller lire les autres conseils et tous les anciens que vous trouverez aussi ICI !
Les choix de Catherine
Jusqu’à la corde, par Lionel Destremau, La Manufacture de livres, octobre 2023
Dès son premier roman, Gueules d’ombre, paru en 2022, Lionel Destremau affirmait un style très personnel, n’hésitant pas à situer son roman dans un territoire imprécis, en un temps imprécis.
Pour son deuxième roman, Jusqu’à la corde, il reprend les mêmes partis pris et démontre une deuxième fois que la distance que lui octroient ces choix singuliers lui donnent la liberté d’exprimer dans un registre universel une vision du monde très personnelle et finalement très lucide.
Dans Gueules d’ombre, il exprimait à travers un récit aussi précis qu’étrange son horreur envers la guerre et la folie des hommes. Avec Jusqu’à la corde, qui commence avec la découverte d’un petit garçon assassiné, c’est le racisme et l’exercice du pouvoir qu’il prend pour cibles dans un récit aussi dérangeant que bouleversant
Volna – Après le Black-out par Christophe Siébert, mu éditions, octobre 2023
Christophe Siébert est un drôle d’oiseau. Il s’est fait connaître à un public plus large en remportant le prix Sade en 2019 pour Métaphysique de la viande (Au Diable Vauvert).
Depuis, il s’est lancé dans une entreprise folle : situer ses romans dans une mégapole imaginaire, Mertvecgorod, cité-pays située aux confins de la Russie et de l’Ukraine, dont la spécialité est le traitement des déchets du monde industriel. Autant dire que le cadre est apocalyptique, décadent, corrompu, et que les sept millions d’habitants n’y mènent pas une vie de rêve.
Volna inaugure le cycle Après le black-out, qui se déroule entre 2029 et 2050. C’est en 2033 que commence l’histoire de Volna. Des miliciens, deux habitants aussi ordinaires que désespérés, une tagueuse, un mystérieux Baron : tels sont les protagonistes de cet étrange roman qui n’est pas une chasse à l’homme, mais une chasse au singe. Au cœur de toutes les convoitises, un petit singe capucin qui dissimule une carte SIM renfermant des informations explosives. Ca va très vite, c’est à la fois glauque et baroque, le style est impressionnant, aussi imagé que puissant, et la lecture est tout bonnement addictive.
Datas sanglantes par Jakub Szamalek, traduit par Kamil Barbarski, Métailié, septembre 2023
Si les nouvelles technologies vous donnent des cauchemars, ne lisez pas ce livre. Ou plutôt si. Lisez-le pour mieux comprendre non pas ce qui nous attend, mais ce qui nous environne.
Déjà dans son précédent roman (premier d’une trilogie du Dark Net dont Datas sanglantes est le deuxième), Tu sais qui, il avait su décrypter les mécanismes qui nous piègent dans l’univers numérique. Là encore, il fait œuvre de pédagogie en imaginant un dispositif parfaitement crédible qui permet à des puissances financières et/ou occultes de prendre le contrôle de nos votes.
Là où Jakub Szamalek est fort, c’est qu’il parvient, grâce à un sacré sens de la narration et de la construction, à nous passionner en confrontant des humains sensibles et fragiles à des menaces bien réelles et en leur donnant le dernier mot.
Un roman qu’on ne lâche pas, qui nous fait peur tout en nous rassurant. Jakub Szamalek est décidément un romancier à suivre de près.
Les choix de Gringo Pimento
Point de côté d’Anne Percin, Éditions du Rouergue, juin 2023
Cours, cours jeune Pierre. Cours pour tout oublier, pour t’oublier toi même. Contre la souffrance, le harcèlement, contre l’injustice, contre la mort.
Point de côté est le tout premier roman d’Anne Percin, paru à l’origine chez Thierry Magnier en 2006 et aujourd’hui joliment réédité par les éditions Rouergue dans la belle collection doado.
Pierre Mouron porte bien son nom. Il veut mourir. Son jumeau l’a précédé, quelques années plus tôt, suite à un accident de voiture où leur tante est également décédée. Oui, oui, ça ne donne pas forcément envie comme ça… Pourtant, point de côté est un roman finalement optimiste.
Pierre va se lancer dans la course, parce qu’il est gros et qu’il imagine que son coeur ne tiendra pas le coup, et se mettre également à l’écriture, dans un journal intime. C’est ce journal que nous lisons. Impudique. Tragique souvent. Triste mais aussi lumineux par le biais de rencontres, de combats, de cette façon de ne croire en rien mais de ne pas lâcher, sans en avoir l’air. Parce que Pierre a l’écriture -qui le révèle à lui-même- et aussi la musique. Il aime Placebo notamment et surtout il se sent comme « the boy with the thorn on his side » des Smiths qu’il cite après l’écoute en boucle du morceau.
Le livre d’Anne Percin est une lueur d’espoir pour tous les gamins, les gamines en souffrance. Il touche au coeur.
Les désaccordés d’Anne Cortey, l’école des loisirs, janvier 2023
D’Anne Cortey, je ne connaissais que quelques albums de littérature de jeunesse que j’avais aimés. De ses romans ados, rien. Pourtant son précédent ouvrage m’avait titillé mais par manque de temps et à cause d’autres priorités, j’étais passé à côté.
La couverture des Désaccordés m’attirait. Forcément… un dessin de Cyril Pedrosa, on ne passe pas à côté. Je me suis donc mis à feuilleter ce roman pour adolescent. J’ai été saisi, je me suis fait prendre et j’ai lu l’histoire en une journée.
Dans ces romans pour ados, j’ai toujours peur que ce soit un peu mignon et gentillet, plein de bons sentiments, qu’on taise les tourments, les questions, les peurs.
Anne Cortey ne contourne rien. N’a pas peur des grossièretés ni de la mort, de la maladie ou de la souffrance qui sont très présents ici.
Même si mon adolescence est loin, voire très très lointaine, je me suis reconnu et identifié à certains personnages, à certains moments.
Alors oui, Les désaccordés, ça finit plutôt bien, sur une note positive. Oui, on sent venir quelques ficelles. Par exemple, quand l’actrice introduit le personnage d’Ugo, collégien harceleur, vulgaire, bête et méchant, on se doute bien que ça cache quelque chose et qu’il va évoluer vers du bon. Mais ça passe. On adhère. On se laisse porter. On sourit. On retombe un peu dans ces années collège difficiles. On est jaloux aussi. De la belle relation entre un père un peu perdu mais qui fait ce qu’il peut et sa fille révoltée. Oui, on est jaloux mais on prend et on revit des choses à travers ce récit.
Une tranche de vie, des vies, des collégiens perdus et en quête de repère, des adultes en souffrance qui tentent de se reconstruire. C’est beau et vivant à la fois.
Les choix de Dealeusedesheet!
Toxic Berlin de Calla Henkel, traduit par Rémi Boiteux, éditions Les Arènes, octobre 2023
Lire Toxic Berlin, c’est faire du binge-reading, à l’image d’une série Netflix que l’on se refuserait à abandonner en cours de visionnage. Ce livre, à l’image des substances illicites diverses qui y figurent en bonne place, est totalement addictif : de l’intrigue aux personnages, il est absolument impossible de le mettre de côté sans tourner une nouvelle page.
Dans le Berlin des étudiants en échanges universitaires, deux étudiantes américaines débarquent de New-York pour une année scolaire et apprennent à vivre en colocation, dans un appartement loué à une autrice célèbre mais à l’aura très particulière. Peu à peu, des similitudes avec l’affaire -réelle- d’Amanda Knox font apparaitre et croître une angoisse qui ira crescendo jusqu’au drame : la mort d’une des deux étudiantes. Mais que s’est-il réellement passé dans cet appartement typiquement berlinois, encore chauffé au charbon, dans un quartier de banlieue et dans lequel se cache un secret incroyable? Quelles sont les ficelles de cette intrigue et surtout qui les tire réellement?
Des premières pages au dénouement, ce polar peu conventionnel qui laisse la part belle aux nuits berlinoises ne laisse pas son lecteur reprendre son souffle, et ce jusqu’à la dernière page : prenez vite votre billet pour Berlin !
Le dernier revival d’Opal et Nev par Dawnie Walton, traduit par David Fauquemberg, éditions Zulma août 2023
Le dernier revival d’Opal et Nev est le premier roman de Dawnie Walton, et ceci est difficile à croire tant il est abouti, tant l’écriture est époustouflante.
Mais lire Opal et Nev, c’est prendre un shoot d’endorphine tellement ce livre donne une furieuse envie de se battre, de mordre, de dire au monde entier « moi aussi je peux le faire »! Et qui prouve qu’effectivement, croire en ses rêves, c’est possible…
Sur un fond sonore éblouissant, à la Motown arrosé de rock, on suit le parcours incroyable d’Opal, née Noire et pauvre, de Nev, cliché du Britannique de base, un type roux issu de la classe moyenne anglaise, ainsi que la narratrice principale, une journaliste Noire ayant réussi à obtenir un poste prestigieux dans un magazine musical américain de référence. Opal et Nev, duo de musique mythique des années 70, réunis pour un dernier revival dans un festival après leur séparation, un dernier pied de nez à une société qui les donnait perdants dès le départ. Mais cette route du succès a priori toute tracée est-elle finalement droite, ou sinueuse et semée d’obstacles? Les personnages sont-ils tous exempts de défauts, voire innocents dans leur ascension vers le succès?
Ce livre, c’est le livre des possibles, le livre qui donne ce luxe immense de penser que tout est réalisable si on le veut vraiment. On sort de cette lecture avec une pêche incroyable, bluffés pas seulement par l’écriture, mais par cet univers de paillettes, de strass, de musique, et d’accomplissements. On pourrait presque se surprendre, une fois le livre refermé, à aller sur Youtube pour y écouter les tubes d’Opal et Nev…
Les choix de Monica
Merle, merle, mûre de Tamta Melachvili, traduit du géorgien par Alexander Bainbridge et Khatouna Kapanadzé, éditions Tropismes, octobre 2023
Lorsque j’ai lu la première fois Merle, merle, mûre de Tamta Melachvili, j’ai surtout aimé la « voix » de la narratrice, Etéri. Sa gouaille, son côté « brut de décoffrage », ses réflexions parfois tendres, parfois acérées comme une faucille.
Je l’ai aimée d’autant plus que sa place – j’entends par là la place de la femme d’un certain âge, simple, ordinaire, avec une vie ordinaire – lorsqu’elle a donc une place dans la littérature, c’est plutôt celle d’un personnage secondaire dont le but est souvent de mettre en lumière telle ou telle tare de la société, l’injustice, les discriminations etc etc
Mais elle est rarement incarnée. Et on met rarement dans sa bouche les mots tels qu’elle les prononcerait dans la vie réelle.
Voilà, Etéri est une femme d’un certain âge, célibataire depuis toujours, bien dans sa vie de célibataire jusqu’au jour où.
Mais de surcroît Etéri affirme son existence, sa place au monde, elle connaît son corps et elle en parle sans ambages. Comme elle parle du plaisir. Celui qu’elle se donne, celui qu’elle découvre par un autre corps.
Etéri est vraie ! Et je suis tombée accro dès les premières pages du roman. Alors courage, allez la rencontrer, elle n’est pas toujours commode mais alors quelle femme !
Le Pentateuque ou Les cinq livres d’Isaac, Angel Wagenstein, traduit du bulgare par Veronika Nentcheva et Eric Naulleau, éditions Zulma, octobre 2023
Le sous-titre de ce roman dont j’ai raté les précedentes éditions ( Esprit des Péninsules – 2000, 10/18 – 2006, éditions Autrement – 2021 – ce dernier toujours disponible ) est le suivant : Sur la vie d’Isaac Jacob Blumenfeld à travers deux guerres mondiales, trois camps de concentration et cinq patries.
On dit parfois que chaque livre attend son moment pour être lu: en ce qui concerne Le Pentateuque je ne pense plus désormais que j’ai « raté » les précedentes éditions mais que son temps n’était pas encore venu. Je suis reconnaissante de l’avoir découvert cet automne. La voix d’Isaac Blumenfeld, le narrateur, m’a accompagnée durant plusieurs soirées où je cherchais du réconfort au milieu de cette folie généralisée. J’ai été impressionnée par la force qui émane de son histoire, indéniablement douloureuse mais racontée avec une douceur, une sagesse et un humour qui rendent compte mieux que n’importe quel traité historique de l’absurdité humaine.
Angel Wagenstein trouvait que Le Pentateuque est le roman dans lequel il manie le plus l’humour – Si vous aimez les blagues, lisez Le Pentateuque, dit-il lors d’un entretien avec Philippe Lefait. Mais la tragédie de la Mitteleuropa du XXe siècle couve tout du long de ce roman absolument indispensable !
Le choix de Dominique
L’Art de la guerre – Floc’h, Jean-Louis Fromental et Jose-Louis Bocquet, Dargaud, 27 Octobre 2023.
Accompagné de Philip Mortimer, le capitaine Francis Blake est envoyé à New York pour y prononcer un discours pour la Paix. Mais le chaos menace. Dans ce nouvel opus, l’univers originel de Jacobs est repris par les dessins de Floc’h, mais celui-ci s’en affranchit pour livrer un travail très personnel.
Avec Jean-Louis Fromental et Jose-Louis Bocquet au scénario, l’écriture de l’Art de la guerre est ainsi « dégagée des pesanteurs de Jacobs ». Dixit le Floc’h lui-même. Davantage d’ironie, de liberté, de légèreté. Ce sont là quelques marques de fabrique de cette BD d’un autre temps, le nôtre.
Dotée d’une ligne claire et épurée, faite de grandes cases au sens graphique servant efficacement le propos, parfois très direct, la bande-dessinée habillée de couleurs pop rend hommage au créateur de la fameuse Marque jaune, tout en optant pour une vision fictionnelle avant-gardiste et sans concession.
Le choix de Barriga
Le fruit le plus rare par Gaëlle Bélem , Gallimard collection Continents noirs, août 2023
C’est un peu une page de la francophonie qui est évoquée dans ce biopic passionnant et salutaire. Avant de devenir L’Ile de la réunion, l’Ile Bourbon connaissait une page sombre de son histoire, celle de l’esclavagisme étatique de la France sur les autochtones au milieu du XIXième siècle.
Edmond Albius était de cela, esclave noir sous le joug d’un propriétaire blanc qui utilisait le jeune garçon comme homme à tout faire. La seule chance pour Edmond qui n’avait pas de nom à lui mais qui portait comme de coutume à l’époque celui de son maître, sa relative autonomie dans les recherches en botanique, la possibilité de s’instruire et de manipuler les plantes. Depuis des décennies son maître tente en vain de développer la vanille en pollinisant la fleur d’orchidée et Edmond l’épaule dans ses recherches.
Voilà qu’un jour Edmond y parvient, tout seul dans son coin. Son maître oscille entre rancœur de ne pas y parvenu par lui-même et admiration d’avoir enfin réussi grâce à lui…
Le destin de d’Edmond que vous découvrirait en lisant ce roman, est en lien avec l’histoire de l’île, richesse, succès, chute et oubli. L’histoire vraie d’un homme humble et fabuleux sorti de l’anonymat grâce à la plume savoureuse et documentée de Gaëlle Bélem.