[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]’Écosse est fertile en auteurs de polars et de romans noirs. Après Rankin, Mina, Brookmyre, McCall Smith, McDermid, Conan Doyle et les autres, voici Gordon Ferris. L’auteur nous offre là le quatrième volume des enquêtes de Douglas Brodie, une série qui se déroule à Glasgow entre 1946 et 1947, sobrement intitulé Les adieux de Brodie. Qui commence fort, puisque la scène d’ouverture n’est rien moins que l’enterrement du héros. Douglas Brodie, journaliste enquêteur de choc, ex-policier, ex-soldat valeureux, a à son actif de belles réussites et quelques coups d’éclat, racontés dans les trois premiers volumes de la série (La Cabane des pendus (paru aux Presses de la Cité), Les Justiciers de Glasgow, La Filière écossaise tous deux parus au Seuil). Dans le premier, Brodie vole au secours d’un ancien camarade injustement inculpé de viol et de meurtre d’enfant; dans le deuxième, il doit faire face à une bande de justiciers violents et à une vague de corruption qui balaie tout sur son passage; dans le troisième, il est confronté à une filière d’exfiltration de criminels nazis.
Dans Les Adieux de Brodie, ce cher Douglas, aidé par sa fidèle Samantha, avocate intrépide et maîtresse enthousiaste, est accusé d’avoir commis l’enlèvement et l’assassinat du banquier glaswégien Fraser Gibson. En réalité, c’est la femme de Gibson qui a fait appel à Brodie pour remettre à sa place la rançon qu’exigent d’elle ceux qui ont enlevé son mari. Brodie, n’écoutant que son courage et son goût pour le scoop, n’a pas su refuser. Et s’est retrouvé face au cadavre du malheureux Fraser Gibson. Hélas, Mme Gibson nie catégoriquement l’avoir contacté. Du coup, tout l’accuse et comme Brodie ne s’est pas fait que des amis au cours de ses dernières enquêtes, son sort est vite scellé : ce sera la prison à vie, voire la potence.
Ce serait mal connaître Douglas Brodie que de se l’imaginer résigné. Animé par une saine colère et une inextinguible soif de vérité, aidé par Samantha, quelques complices des bas-fonds et les agents du MI5, pour lequel il travaille en sous-main, Brodie découvre bientôt qu’il n’a qu’une seule issue : se faire passer pour mort. Et, une fois la chose faite, mener l’enquête sous une identité d’emprunt. Et s’apercevoir au passage que l’enjeu de l’affaire est beaucoup plus lourd qu’il ne l’imagine : nous sommes en 1947, les États-Unis ont décidé d’aider les pays européens à se relever de la guerre dans le cadre du Plan Marshall. Mais pour bénéficier des largesses – à contrepartie – des États-Unis, les états européens doivent faire la preuve de la solidité et de la probité de leurs systèmes bancaires. Or, en Angleterre, une banque a pris de gros risques… Il ne faudrait pas qu’une banque écossaise en rajoute !
C’est donc parti pour une chasse aux malfrats qui se double d’une course contre la montre. Gordon Ferris fait une fois de plus appel à sa méthode personnelle : on part d’un fait divers pour aboutir à une affaire d’État. Le choix de l’époque est particulièrement adapté à cette démarche, et lui permet d’évoquer avec truculence et réalisme un Glasgow bombardé qui peine à se relever des ruines, où les quartiers pauvres recèlent une misère noire, et où le banditisme connaît une recrudescence spectaculaire. C’est dans ce contexte tout en noir et gris que Ferris fait évoluer des personnages hauts en couleurs et particulièrement attachants, et leur fait vivre des aventures aussi périlleuses que divertissantes. Un bon point pour la scène où Brodie, emmenant avec lui un petit malfrat doué pour la comptabilité mais pas pour l’alpinisme, s’introduit nuitamment, après une escalade hallucinante, dans la banque de Gibson afin d’y dénicher des traces de malversations. Aujourd’hui, le héros aurait engagé un hacker ! Honnêtement, la version Ferris est beaucoup plus distrayante. La reconstitution d’époque est particulièrement réussie, le récit se déroule à un rythme effréné, les rebondissements fonctionnent parfaitement : Les adieux de Brodie est un roman à la fois distrayant et puissamment évocateur d’une époque pas si lointaine, où même si la technologie n’existait pas, la corruption et les collusions, elles, distillaient déjà leur poison mortel…