[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ff7700″]C[/mks_dropcap]hoisir la vie, choisir un boulot, choisir une carrière, choisir une famille, choisir une putain de télé à la con, choisir des machines à laver, des bagnoles, des platines laser, des ouvre-boîtes électroniques. Choisir la santé, un faible taux de cholestérol et une bonne mutuelle. Choisir les prêts à taux fixe, choisir son petit pavillon, choisir ses amis, choisir son survêt et le sac qui va avec, choisir son canapé avec les deux fauteuils, le tout à crédit avec un choix de tissus de merde. Choisir de bricoler le dimanche matin en s’interrogeant sur le sens de la vie, choisir de s’affaler sur ce putain de canapé et se lobotomiser aux jeux télé en se bourrant de MacDo. Choisir de pourrir à l’hospice et de finir en se pissant dessus dans la misère en réalisant qu’on fait honte aux enfants niqués de la tête qu’on a pondus pour qu’ils prennent le relais. Choisir son avenir, choisir la vie. Pourquoi je ferais une chose pareille ? J’ai choisi de pas choisir la vie, j’ai choisi autre chose. Les raisons ? Y a pas de raisons. On a pas besoin de raisons quand on a l’héroïne.”
Mark Renton – Trainspotting (1996)
Trainspotting, c’était il y a vingt ans…
Je me souviens parfaitement de ce moment, nous avions été le voir en salle lors de la fête du cinéma avec trois potes de lycée, et, ce jour-là, nous avions vu quatre films parmi lesquels figurait également Une nuit en enfer de Robert Rodriguez. C’était fin juin 1996.
Il y a des films qui marquent une génération, Trainspotting a fait assurément partie de ceux-là, nous l’avons reçu comme une déflagration. Nous avions vingt ans. Autant vous dire si j’attendais la suite, nous en parlions avec l’un d’eux, il m’avait fait lire il y a une poignée années Porno (2002) le roman d’Irvine Welsh, la suite directe de l’histoire de Renton junkie d’Édimbourg et de sa bande de potes, menteurs, psychopathes et voleurs.
Danny Boyle, le réalisateur, donnait soudain une visibilité à la jeune génération d’une Écosse en pleine dépression économique, ce qui, dans la vraie vie et au cinéma, n’intéressait personne. Au-delà de l’addiction à l’héroïne, Boyle explorait leurs conditions de vie sordides, et a réussi à faire de nombreuses scènes anthologiques au sein de son film. Chaque séquence de Trainspotting est culte : celle de Renton essayant de récupérer sa drogue dans des toilettes d’une saleté absolument répugnante, celle de la mort du bébé qui reviendra le hanter lors de son sevrage, la scène des « draps » de Spud son meilleur ami héroïnomane, la scène de Degbie et le verre de bière qui vole dans le bar, le long monologue en voix-off de Renton, ou encore la séquence dans laquelle il s’enfonce dans le tapis et plane sur la musique de Lou Reed A Perfect day…
Les bandes-son des films de Danny Boyle ont toujours été d’une audace folle et d’une efficacité redoutable. Pour Trainspotting, cela va d’Iggy Pop, New Order, à la Britpop de Blur, Elastica, Pulp, à l’électro avec le fameux Born slippy d’Underworld, qui est lié à jamais à l’image de ces gentils losers courant dans la ville.
Trainspotting 2, le film n’est pas à proprement parler la suite du livre Porno, il ouvre plutôt une troisième voie. Pour ceux qui, comme moi, auront lu le livre, il n’est pas question de monter le plus grand film porno avec les acteurs du quartier. Je ne vous le cache pas, je ne m’attendais pas à un autre scénario au départ, je n’y avais même absolument pas pensé. Et je dois dire, en découvrant le film, que c’est, au final, une bonne surprise.
L’histoire se passe vraiment vingt ans après le film, là où dans le livre c’était dix, et reprend la narration où le premier film l’avait laissée. En me documentant sur le net, j’apprends que Danny Boyle avait prévu de réaliser la suite, le livre Porno donc, mais qu’en raison d’un différend avec Ewan McGregor, le film ne s’était pas fait.
Vingt ans plus tard, le réalisateur et l’acteur semblent avoir enterré ce qui les fâchait, ils se retrouvent et toute la bande qui va avec, pour notre plus grand plaisir (sauf pour le rôle de Diane qui n’a qu’une courte scène clin d’œil).
Mark Renton revient donc au seul endroit qu’il ait jamais considéré comme son foyer, à Édimbourg.
Il arrive à un moment de sa vie où rien ne le retient là où il vit. Quand on est jeune, on veut toujours fuir l’endroit où on a grandi. Quand on vieillit, on a parfois envie de revenir sur nos pas. C’est son cas ici.
Il revoit Sick Boy, qui a gardé contre lui une certaine rancœur, mais qui, au fond, reste son ami ; Spud, égal à lui-même, hyper touchant, et dont l’évolution du personnage est une vraie belle idée ; Begbie qui s’échappe de prison et qui va croiser le chemin de ses amis… Nouvelle histoire donc.
Danny Boyle s’adresse directement au public du premier opus : aux quarantenaires à présent. Qu’avons-nous fait pendant ces vingt ans ? se demandent les personnages. Tous les personnages vont-ils tous se retrouver et si oui comment ?
Renton, va devoir faire face à toute la panoplie que peut se prendre un être humain de plein fouet : la tristesse, le deuil, la joie, la vengeance, la haine, l’amitié, le désir, la peur, les regrets, l’héroïne, l’autodestruction, le danger et la mort.
Les fantômes du passé le hantent encore. Le remord d’avoir trahi ses amis ? Pas que. C’est le sens même de son existence que Renton remet en cause.
Et vous, nous dit le réalisateur à travers eux, qu’avez-vous fait de ces années ? Les avez-vous mises à profit ? Quel est au final le sens de votre vie ?
Rien que ça.
Parce que malgré le temps qui passe, cette question demeure au centre de nos interrogations à tous. Qu’on le veuille ou non.
Le film se situe là, à la croisée des chemins.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ff7700″]L[/mks_dropcap]à où le second volet est aussi génial que le premier, c’est qu’il se répète dans son schéma, à l’image de son héros, mais ne dit pas la même chose. Le fleuve est toujours là, mais il n’est plus le même.
À vingt ans, la plupart veulent « réussir dans la vie » ; à quarante, on privilégie le fait d’être bien entouré.
Le film est une sorte de rédemption pour Mark Renton. Il revient, assume tout, est presque resté aussi cynique parce que lucide, et demeure attachant, malgré le fait que ce soit un salaud. Danny Boyle a une vraie tendresse pour chacun de ses personnages, il aurait pu rester dans la caricature qu’ils avaient d’eux-mêmes, mais vingt ans se sont écoulés, nous sommes à la fois les mêmes, et à la fois des strates se sont accumulées en nous. Même Begbie est au fond un psychopathe violent qui a manqué d’amour. Tous en ont manqué en fait. Tout part de là.
Au tragi-comique du premier volet, succède la mélancolie pour le deuxième. Les illusions sont perdues, le goût est amer, il reste quoi ? Une belle énergie mais encore faut-il savoir qu’en faire…
On se rend compte dans le film à quel point la société est un rouleau compresseur pour tous. Il y a ceux qui fonctionnent au déni, il y a ceux qui s’enferment dans leur système de croyance par bêtise ou ignorance. Et il y a encore une poignée d’autres individus qui continuent de rêver à une autre vie, un autre monde. Tout reste à bâtir. Le terrain vague de notre jeunesse est toujours là, tout est vacant, rien ne nous a satisfait.
Les sociologues ont même inventé un terme pour notre génération qui refusait de grandir, les adulescents. Jeunesse taxée de fainéante, elle a vu ses parents se tuer littéralement au travail, se faire renvoyer comme des malpropres parce que trop vieux, juste avant leur retraite, pour pointer au chômage à 50 ans.
Une fois que c’est dit, on en fait quoi ? On se prend en main. Ou la drogue le fait pour nous, pour eux dans le premier film.
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#ff7700″]M[/mks_dropcap]ais Danny Boyle a foi en ses personnages, le film est véritablement lumineux et empli d’espoir, où le premier était crasseux et poisseux. Si le réalisateur s’autorise de vrais moments de comédie, et un ton proche du thriller pour le fil narratif, Trainspotting 2 est un drame profondément mélancolique qui creuse au plus près le « vieillir et accepter le passé pour aller de l’avant ». Tout un programme.
Devenir quarantenaire est parfois une période violente dans la vie d’un individu. Le réalisateur filme, comme lui seul sait le faire, la vie de ces anti-héros avec une respiration qui lui est propre, tout en montées (moment d’euphorie au moment où la drogue fait effet) et en descentes (le moment de spleen et de manque qui vient plusieurs heures après la prise de drogue). Son film, ses films, sont véritablement construits selon ce même sentiment sensoriel.
Ici, la redescente – revenir sur les traces du passé pour Renton et tenter un apaisement avec les choix qu’il a fait – va être violente. Boyle ne les lâche pas, malgré la tempête qui va s’abattre sur eux, ses personnages se réinventent dans un Édimbourg plus vivant et coloré (la séquence de la course poursuite jouissive, ou la superbe scène filmée depuis la falaise qui domine la ville).
Que vont faire les personnages de ces nouvelles opportunités qui s’ouvrent à eux ? Vont-ils se pardonner ce qu’ils se sont tous infligés ? La rédemption est-elle valable pour tous ? Après vingt ans de courses et de fuites en avant, que reste-t-il ?
Il ne reste rien. Sauf peut-être la foi en ceux qui sont restés là. Inépuisables. Inébranlables. À nos côtés. Nos amis. Nos frères avec qui nous luttons contre les injustices de cette vie.
Il nous reste de s’aimer. Oui il reste l’amour. L’amour qu’on a les uns pour les autres. La seule chose qui survit à tout. Au temps. Même à la disparition.
Rien ne peut nous enlever cet amour.
Aimez. Le temps nous est compté.
https://www.youtube.com/watch?v=jkVR894Kadc
T2 Trainspotting est en salles depuis le 1er mars 2017.
Très belle chronique, tout à fait en phase avec le spleen que j’ai moi-même ressenti à la vision de ce film.
J’avais vu le premier opus dans les mêmes exactes conditions à l’époque et j’ai été touchée de la même manière par cette nouvelle comédie très désenchantée