[dropcap]L[/dropcap]e roi de l’afrobeat se nomme Fela Kuti. Au Nigéria, ce fut un artiste immensément populaire. Pas moins d’un million de personnes lui a ainsi rendu hommage en 1997, quelques jours après sa mort. Évocation de sa vie, Fela back to Lagos de Loulou Dedola (scénario) et Luca Ferrara (dessin et couleur), s’ancre dans la vie des quartiers pauvres de la capitale nigériane et nous fait rencontrer de petits voyous prêts à se faire trouer la peau pour quelques dollars. Parmi eux figure Adédola. N’écoutant que lui-même, le jeune « Area Boy » s’expose à des représailles après avoir mis en péril un trafic de prostitution. Mais lui n’a qu’une idée en tête: retrouver le saxo de Fela, volé à son grand-père, lequel vouait une quasi dévotion pour la musique de l’artiste. Il lui faudra, pour cela, revenir d’entre les morts…
La BD se lit comme un thriller, tout au moins au fil des premières pages. Car ensuite, entre deux verres d’alcool de palme, ça vrille un peu, au profit d’un récit bouillonnant et fantasmagorique…
La BD se lit comme un thriller, tout au moins au fil des premières pages. Car ensuite, entre deux verres d’alcool de palme, ça vrille un peu, au profit d’un récit bouillonnant et fantasmagorique : prise dans les tenailles d’un pasteur et de son équipe de gros durs, Adédola est victime d’une cérémonie à base d’acide. Atrocement brûlé, le garçon est emmené aux confins de la tentaculaire métropole pour y être jeté comme un chien. Il prend une balle dans la tête mais, contre toute attente, le voilà qui réapparaît bientôt, l’esprit de Fela l’ayant soudainement habité ! Une résurrection temporaire qui lui offre de reprendre la lutte du saxophoniste contre les opprimés et la corruption généralisée.
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Voilà qui donne lieu à des doubles pages graphiques où l’illustration de pratiques vaudous s’accorde avec la représentation de pans de réalité. Un exercice de style qui provoque un sentiment de vertige et nous conduit sur une drôle de ligne de flottaison, entre justice des Hommes, mysticisme et sorcellerie. Parfois, c’est un peu difficile à suivre, tant l’effervescence et l’enchevêtrement des dessins créent la confusion. Mais si l’on appréhende l’objectif des auteurs comme une invitation à voyager dans les limbes d’un esprit perdu et revanchard, alors ce parti-pris se comprend et l’on se laisse embarquer.
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Terrible, de par la description d’un quotidien difficile où nombre de personnages n’ont d’autres choix que de se soumettre pour survivre, Fela back to Lagos multiplie néanmoins les facéties pour ne pas laisser croire que tout est écrit d’avance. De ce point de vue, la bande-dessinée est fidèle à l’esprit de Fela Kuti, dont la combativité n’a eu de cesse à l’égard du pouvoir militaire nigérian. L’ouvrage illustre d’ailleurs quelques-uns de ses faits d’arme, comme lorsqu’un régiment prend d’assaut la petite forteresse où il vit avec femmes, famille, amis et soutiens.
Transe graphique au service d’une grande figure musicale et contestataire du continent africain, Fela back to Lagos offre sa part d’ombre mais aussi de lumière. Une BD étonnante, aux accents mystiques et inspirés.
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Fela back to Lagos de Loulou Dédola et Luca Ferrara
Paru chez Glénat, mai 2019
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