[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]O[/mks_dropcap]n pourra toujours débattre sans fin pour savoir qui a inventé le Jazz Rock, ou Jazz fusion si vous préférez. Il sera toujours très difficile de répondre à cette question. Personnellement je préfère m’en tenir au terme pionnier.
Par contre, ce dont on est sûr, c’est que si cette forme musicale connut son apogée dans les années 70, sa naissance date bien de la fin des années soixante. Dès les premiers balbutiements d’ailleurs, de nombreux disques incroyables ont vu le jour.
Citons en vrac Miles Davis, à qui l’on attribue d’ailleurs souvent la paternité du mouvement, avec In A Silent Way, Bitches Brew ou A Tribute To Jack Johnson, Soft Machine avec l’album III ou encore le Mahavishnu Orchestra de John McLaughlin avec The Inner Mounting Flame en 1971. Mais ce mouvement aurait-il eu autant d’importance si Frank Zappa, ce génial iconoclaste, n’avait pas pointé le bout du nez ?
Frank Zappa n’était pas, à proprement parler, un jazzman. Son jeu de guitare, aussi virtuose soit-il, formait des motifs répétitifs qui semblaient assez loin des improvisations des maîtres du genre, comme Don Cherry, Albert Ayler ou Cecil Taylor, que Zappa aimait beaucoup. De ce mouvement naîtra d’ailleurs une de ses célèbres citations : « Jazz Not Dead, It Just Smell Funny » (« Le Jazz n’est pas mort, il a juste une drôle d’odeur »).
Hot Rats est le deuxième album sans ses Mothers Of Invention, à l’exception de Ian Underwood qui jouera un rôle très important dans l’album puisqu’il s’emploiera à essayer de briser encore plus les codes édictés par John Coltrane au saxophone.
Sur cet album, Frank Zappa s’est aussi entouré de gens comme Jean-Luc Ponty, violoniste français qu’on ne présente plus depuis longtemps, un autre génial violoniste inconnu (à l’époque), Don « Sugar Cane » Harris, qui joue de manière complètement débridée sur les deux titres où il apparaît, ou encore le formidable Max Bennett à la basse.
Frank Zappa s’est toujours évertué à briser tous les codes et toutes les conventions. En cela, Hot Rats n’est pas fondamentalement différent des autres albums enregistrés précédemment. La nouveauté résidant ici à travers des morceaux essentiellement instrumentaux, à l’exception de Willie The Pimp.
Peaches En Regalia, qui ouvre l’album, est une pièce instrumentale assez courte où l’on retrouve toutes les obsessions de Frank Zappa en ce qui concerne la mise en place des différents instruments incorporés dans toutes ses pièces instrumentales. Tous les instruments sont à leurs places, presque tous égaux et de même importance.
Willie The Pimp est un titre de bravoure chanté par Captain Beefheart, fortement influencé par le blues, et qui est le seul titre de l’album où l’on trouve le chant ironique et clownesque qui, à de maintes reprises, a façonné le son des albums de Frank Zappa, avant et après Hot Rats. Le génial guitariste s’y fend d’un long solo de guitare psychédélique où la pédale Wah Wah est reine et démontre qu’il n’avait rien à envier aux guitaristes en vue de l’époque.
En conclusion de la face A, Son Of Mr. Green Genes fait aussi la part belle au jeu de guitariste du célèbre moustachu, et est peut-être d’ailleurs le titre le plus estampillé Jazz-Rock du disque.
Si la face A est résolument tournée vers un Rock hybride, la face B emprunte un virage qui lorgne du côté du Jazz, et sur laquelle Ian Underwood fait la démonstration de toute l’étendue de son talent. A ce titre, Little Umbrellas est le morceau le plus « classiquement Jazz » de l’album.
Nous avons déjà parlé des interventions démentielles de Don « Sugar Cane » Harris au violon – on a parfois l’impression d’entendre un harmonica croisé avec une guitare électrique – et de Ian Underwood au saxophone en début d’article, c’est sur The Gumbo Variations que leurs apports sont les plus significatifs. Un peu moins de treize minutes d’anthologie où les deux instrumentistes s’en donnent à cœur joie et où le jeu de basse de Max Benett ferait passer Jaco Pastorius pour un collégien. C’est vous dire la puissance de feu proposée ici.
It Must Be A Camel, qui clôture l’album de manière apaisée, est un morceau assez significatif de ce qu’allait devenir le Jazz fusion via des groupes comme Weather Report. Le violon de Jean-Luc Ponty se fait plutôt discret tandis que le piano et le Saxo de Ian Underwood, encore lui, portent le titre à bout de bras en support des envolées de guitares du maitre de cérémonie.
Hot Rats aura marqué de son aura toute la production du Jazz Fusion qui suivra dans les années 70. L’album fête ses 50 ans ce 10 octobre 2019, et comme on dit en pareilles circonstances : il n’a pas pris une ride.