[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#808080″]G[/mks_dropcap]az Coombes a relancé sa carrière avec Matador, son deuxième album solo sorti en 2015. Son successeur, World’s Strongest Man, confirme le virage de son et d’écriture emprunté par son prédécesseur. Et c’est tant mieux car l’audace lui va comme un gant. En s’éloignant du format classique d’une pop song, Gaz Coombes ouvre ses chansons à un univers plus complexe et pourtant accessible et immédiatement accrocheur. C’est un artiste confiant, en paix avec lui même que nous avons rencontré dans le salon d’un hôtel Parisien. Nous avons parlé des influences de ce nouvel album (le hip hop, David Hockney, Beyonce), mais aussi de sa drogue préférée.
Tu affirmais il y a quelques années que ta carrière solo n’était pas planifiée. Tu t’y consacres pourtant à 100 %. Es-tu plus heureux maintenant ?
Oui. J’ai trouvé le rythme qui me convient. Ça me permet de mieux retranscrire mes idées en musique. Matador, mon album précédent, a boosté ma confiance. J’ai enfin réalisé que fonctionner à l’instinct pouvait avoir du bon. C’était une libération. Par le passé j’ai consacré trop d’énergie à chercher le son idéal. J’étais obsédé par la perfection. Maintenant la première approche d’un morceau est aléatoire. C’est un peu le foutoir. Je dois par la suite tout organiser et faire le tri pour arriver à de bons morceaux.
À force de recherche de spontanéité et d’idées enregistrées rapidement, t’es-tu retrouvé par moment avec trop de pistes à exploiter ?
J’ai beaucoup d’idées, mais toujours avec un fil conducteur. Je travaille de la sorte parce que je n’ai pas de groupe pour composer avec moi. J’en invente parfois un dans ma tête pour m’aider à concrétiser un titre. Un son suffit pour que j’imagine la basse ou le violon qui pourraient l’accompagner. Je reste toujours concentré quand je travaille. Ma seule difficulté est de trouver comment retranscrire ce que j’ai en tête.
Comme sur Matador, tu sembles bien plus heureux avec le résultat de tes maquettes enregistrées à la maison que les prises travaillées en studio. Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
Je ne voulais pas me répéter. J’ai adopté certaines méthodes de travail de la période Matador. Je les ai faites évoluer. Le son et les instruments sont différents. J’ai plus composé sur le moment. Si j’entendais une bonne idée dans un titre à la radio, je m’en inspirais immédiatement pour l’adapter à ma sauce. C’est l’avantage du travail à la maison.
World’s Strongest Man pousse encore plus loin le côté expérimental que l’on retrouvait avec Matador. Un titre comme The English Ruse annonçait déjà ce qui allait suivre.
C’est même le titre qui m’a fait réfléchir à la suite possible à donner. Je ne devrais pas le dire, mais j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose à Matador au moment de sa sortie. Ça ne veut pas dire que je n’étais pas content du résultat, mais que je savais qu’il faudrait aller encore plus loin dans la voie expérimentale sur le prochain album. J’aime le manque de structure de The English Ruse. C’est une “anti-chanson” qui ne cherche pas à avoir un gros refrain pour passer à la radio. Mon plus grand plaisir est d’être surpris par des idées tordues.
Buffalo était la chanson qui a servi de base à ton album précédent. Quel est cette fois le titre qui a donné la direction de ton nouvel album ?
World’s Strongest Man, la chanson titre qui est un titre basé sur des loops. J’ai trouvé un riff de guitare, je me suis aussitôt mis à la batterie pour lui trouver un rythme approprié et ainsi de suite. Le résultat sonnait comme du vieux Beck, avec un côté breakbeat, légèrement hip hop. Ca m’a donné envie de continuer dans cette voie.
Tu as beaucoup écouté Blonde de Frank Ocean pendant la conception de l’album. Qu’as-tu trouvé dans ce disque qui te le rendait aussi séduisant ?
Il m’a surtout apporté en terme de confiance. Un album comme Blonde a balayé toutes mes peurs de sortir un album qui sort du cadre habituel. Il ne comprend pas de hits calibrés. Il est rare qu’un artiste connu expérimente à ce point. Kendrick Lamar sait également s’éloigner de ce qui existe déjà musicalement. La liberté de ce type d’albums m’a inspirée. L’habillement sonore d’un disque comme Lemonade de Beyonce est fascinant. Il n’y a aucune fluidité dans ses morceaux. C’est une sorte de collage de séquences éditées. Le résultat est surprenant.
L’album a aussi un côté soul music.
J’ai beaucoup écouté Al Green ou Marvin Gaye ces derniers temps. Leur approche du son est toujours novatrice. Supergrass (son ancien groupe ndlr) a évolué dans les 90’s. C’était une période étrange en termes de production d’albums. Tout commençait à être géré par des ordinateurs. Nos disques sonnent trop linéaires et polis. Ecouter d’autres styles de musique m’apprend beaucoup sur les méthodes de productions. Certains disques d’Al Green ou de Marvin Gaye sont fascinants par leur côté toujours novateur et éclatants. Ils ne se fixaient pas de limites.
Au delà des expérimentations, les guitares sont plus présentes que sur Matador. Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
On peut le considérer comme un retour aux sources. Après vingt ans à jouer de la guitare, je l’avais laissé de côté. Juste pour voir ce que je pouvais produire avec des instruments auxquels on ne m’associait pas. Avec World’s Strongest Man, j’ai voulu mélanger les deux approches. Il y a de manière générale moins de programmations sur l’album.
Tu exposes tes doutes, tes faiblesses, tes inquiétudes dans les paroles de l’album. Depuis que tu travailles en solo, cela te fait-il du bien de ne plus avoir à utiliser des filtres sur ce que tu as envie d’écrire ?
C’est difficile à dire. Je n’ai jamais été un grand fan de l’écriture cathartique. Paradoxalement j’arrive à m’exprimer plus facilement en chantant avec une guitare à la main que dans une conversation. Un simple accord joué sur deux cordes est capable d’avoir un effet thérapeutique sur moi. C’est aussi un moyen de m’exprimer sans avoir à parler. Cela va paraître basique, mais je compose pour me surprendre. Je sais que je tiens quelque chose de spécial quand je me dis : “Waow, je n’arrive pas à croire que j’ai réussi à produire un truc pareil, c’est génial !”. C’est la meilleure sensation au monde. Aucune drogue n’arrive à créer cet effet.
Tu as dit que peu d’artistes sont capables de continuer à sortir des albums passionnants en vieillissant. Bowie et Neil Young sont des exceptions pour toi. Vieillir est-il quelque chose qui te fait peur en tant qu’artiste ?
J’ai occasionnellement le sentiment que je n’arriverai plus à faire mieux. Quand j’ai finalisé 20/20 pour Matador, c’était une sorte d’aboutissement. J’espérais au fond de moi être capable de pouvoir produire un titre comme celui-ci à nouveau. Heureusement quelque chose d’intéressant arrive toujours après. J’ai de la chance, j’ai parfois eu des difficultés, mais jamais de blocage.
Tu as installé ton studio d’enregistrement dans le salon de ta maison pour enregistrer World’s Strongest Man. Pourrais-tu nous dire pourquoi ?
Je voulais avoir accès instantanément au studio quand une idée me passait par la tête. C’est devenu ma méthode de travail. Il m’arrivait de me mettre au travail à 8h du matin ou en pleine nuit. J’évacue les idées. Ça change des répétitions sans fin auxquelles tu dois te plier quand tu es dans un groupe. Travailler chez soi est un bon moyen de faire des économies. En studio, j’en aurais pour quelques milliers d’euros par jour. J’ai fait tout ça par le passé, ça ne m’intéresse plus pour l’instant. Je préfère jouer au savant fou à la maison.
Cela n’a pas dû faciliter la vie de ta famille !
(Rire) Effectivement. En réalité, il y avait du matériel partout. Une batterie et des synthés dans le hall d’entrée par exemple. Je trouve ça cool, c’est mon style de vie. C’est en allant rendre visite à des amis à Los Angeles que je me suis aperçu que là bas, les musiciens ne cachent pas leur matériel dans une cave. Il y a des instruments ou des consoles partout dans leurs maisons. La mentalité est différente. Il n’y a pas de frontière entre ce que doivent être une maison et un studio d’enregistrement. Du coup, à la maison, il y a des câbles entre les pièces, des micros partout, une batterie dans le hall d’entrée. Je suis content que mes enfants découvrent enfin ce que je fais dans la vie. J’étais coupé d’eux en travaillant dans le garage. Ils comprennent mieux quand leurs professeurs leur disent qu’ils sont fan du travail de leur père. Ça les rend dingues.
La pochette de l’album semble en parfait décalage avec les sonorités de World’s Strongest Man. On pourrait plutôt s’attendre à du rock-folk Californien. Pourrais-tu nous en dire plus sur l’idée cachée derrière celle-ci ?
Je suis allé voir l’exposition David Hockney au centre Pompidou l’été dernier. J’ai été touché par la chaleur et les couleurs de ses œuvres. C’est son tableau le plus célèbre, A Bigger Splash qui a inspiré la pochette. Mais également Sunbather où l’on voit un homme allongé le long d’une piscine. Je trouvais que ce type d’ambiance collait bien au titre de l’album. C’est Steve Carross qui a pris la photo à Los Angeles. Je comprends tout à fait le côté 70’s qui t’a frappé. Le cadre et les couleurs y font également référence.
Crédit photos : Alain Bibal
Merci à Florian Leroy
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