[dropcap]G[/dropcap]régory Nicolas a plusieurs passions parmi lesquelles le vin, le vélo et la famille occupent les premières places. Dans Les Fils du pêcheur, où il écrit à la première personne, il a choisi d’explorer cette troisième passion et, à travers la fiction, de « gratter » la surface de ce qu’est l’amour familial, et particulièrement la force de l’amour d’un fils envers son père, même lorsqu’il est mis à l’épreuve…
Au fil des pages, on se débarrassera très vite de la question qui taraude n’importe quel lecteur face à un texte qui touche à l’intime : quelle est la part d’autobiographie dans Les Fils du pêcheur ? Car ce roman-là, quelle que soit la réponse à la question, s’adresse à tous : à ceux pour qui la famille est le refuge, le réconfort ultime et pérenne comme à ceux pour qui au contraire la famille est source de souffrances et de rancœur. Chaque lecteur y puisera son lot d’émotions, de réminiscences; chaque lecteur sera entraîné irrésistiblement par le talent de conteur de Grégory Nicolas.
C’est un 4 février que bascule la vie de Jean, père du narrateur et marin pêcheur. Ce jour-là, il met à l’eau Ar c’hwil (suivez le conseil de l’auteur et prononcez « arwil », en appuyant sur le « il ») son premier bateau de patron pêcheur, et c’est un grand moment d’émotion. Ce jour-là, au même moment, le téléphone sonne chez le patron du chantier naval : Marie-Lou, la femme de Jean, part à la clinique. Elle va donner naissance à un beau bébé de 4 kilos, soit le narrateur, l’aîné de la fratrie. Pour ce dernier, Ar c’hwil sera toujours une sorte de grand frère à qui il aura volé la vedette ce 4 février-là. Plus tard viendront les petits frères, Clément et Julien. Et pour ces trois enfants, le coquillier Ar c’hwil prendra la place de tous les dragons, les lions ou les dauphins qui fascinent les petits garçons.
Cette famille-là, Marie-Lou, Jean et les trois garçons, va mener une vie heureuse dans la campagne bretonne, quelque part entre Rennes et Brest. Quand ils vont faire des courses en ville, c’est à Brest qu’ils se rendent, à deux heures de route de leur maison. Et là, le père est chez lui, il connaît du monde du côté de Recouvrance. Habituellement taiseux, il s’attable à la crêperie avec sa tribu, et il s’épanche sur l’histoire de la ville, raconte des souvenirs et des anecdotes. L’été, parfois, le narrateur et son frère Julien donnent un coup de main à Jean qui promène les touristes et les emmène pêcher le maquereau. Les souvenirs se précipitent sous la plume du narrateur, ils coulent comme un torrent :
Les bons souvenirs me font écrire trop vite, ils se précipitent dans ma tête pour être sûrs que je les évoque et que je les fasse voir aux autres, à la manière de ces magnums de vin qu’on partage pour ravir celui d’en face. »
Grégory Nicolas
Ce torrent-là est un concentré de vie, de réminiscences, de sensations, et le lecteur n’a aucun mal à se précipiter dessous et à se laisser inonder par ce flot indomptable, qui cingle la peau et sait éveiller en lui ses propres souvenirs… C’est un des talents de l’auteur : son récit ne se laisse pas enfermer dans un carcan chronologique. Il est comme la mémoire : tout en images, en sons, en émotions. Les chansons de marin, à jamais gravées dans l’esprit des enfants ; les histoires du père, même lorsqu’elles sont invraisemblables ; ses aventures militaires – ce jour où il a cru avoir tué deux hommes -, ses péripéties de marin pêcheur : tout cela, au fil du temps, façonne les garçons et va faire d’eux des êtres certes différents, mais tous unis par des fondations communes.
Jusqu’à ce que survienne ce roman dans le roman, une longue histoire racontée par un inconnu que le narrateur appelle « Mon naufrageur » en hommage au Mon traître de Sorj Chalandon. Impossible de raconter ce que va dévoiler ce « naufrageur »-là, et qui va jeter un voile de doute sur la personnalité de Jean. Ce moment-là, c’est l’épreuve d’une famille : il va falloir faire face à l’invraisemblable, il va falloir enquêter sur le père, savoir, enfin, qui il a été, peut-être. Les fils du pêcheur sont adultes à ce moment-là, tout imprégnés par le torrent de souvenirs du père. La vérité sera-t-elle destructrice ?
En lisant Les Fils du pêcheur, on se surprend à penser que les podcasts, les audiolivres et toutes ces choses qui saturent nos oreilles et notre cerveau d’informations ou de fictions, auront bien du mal à rivaliser avec ce que peut engendrer une narration aussi prenante que celle-là. Cette histoire de famille, c’est en la lisant qu’on entend la voix de l’auteur, ses intonations, ses rires, ses émotions, ses peurs. C’est en la lisant qu’on imagine les traits des personnages, les paysages, les sensations, le vent qui souffle. La magie de la littérature, sans doute, celle qui fait au lecteur le cadeau le plus précieux : la liberté.
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Les Fils du pêcheur de Grégory Nicolas
éditions Les Escales, mai 2021
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Image bandeau : Photo by Michał Parzuchowski on Unsplash