[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]F[/mks_dropcap]oxygen est de retour avec Hang, son cinquième album. Si les inspirations lorgnent toujours du côté des 70’s, ils sont aussi allés fouiner du côté des bandes-son de chez Disney et du cabaret. Le tout accompagné d’un orchestre à cordes de plus de quarante musiciens. Le résultat, inclassable, peut dérouter tant le disque est dense et sort des sentiers battus.
Nous avons pourtant affaire à l’un des premiers grands disques de 2017. Loin de l’image des deux branleurs ingérables au cerveau cramé qu’on leur a souvent accolée, Jonathan Rado et Sam France nous ont reçus le plus chaleureusement du monde autour d’une tasse de thé. Tout au long de l’entretien revenant sur la genèse et l’enregistrement de Hang, ils nous prouvent qu’au delà de la sensation de bordel organisé que certains leur reprochent, ils prennent leur musique très au sérieux et que rien n’est laissé au hasard.
Ambition, quand tu nous tiens…
Vous annonciez la tournée 2015 comme la dernière. Elle portait même le nom de “Farewell Tour”. S’agissait-il d’une blague ou bien pensiez-vous sincèrement que le groupe allait se séparer définitivement ?
Jonathan Rado : Il s’agissait de la dernière tournée du Star Power Band [le précédent album s’intitulait …And Star Power, ndlr]. Nous avions créé un groupe spécifiquement pour cette tournée. C’était un clin d’œil à la tournée Ziggy Stardust de Bowie. Lors de la dernière, il avait déclenché la panique générale en annonçant arrêter définitivement sa carrière.
En 2014, vous évoquiez ce nouvel album, qui portait déjà le nom de Hang. Aviez-vous alors commencé à enregistrer des démos ?
Jonathan : Le concept et le titre existaient déjà. Nous avions une vision très claire de la direction que nous voulions emprunter. L’album a été composé en même temps que …And Star Power. Quelques démos étaient déjà finalisées à l’époque. D’autres chansons étaient dans un état plus embryonnaire.
Vous passez de 24 titres pour …And Star Power à 8 pour Hang. Ce format est plus proche de celui de vos autres disques. Avec du recul, au regard de votre notoriété à l’époque, regrettez-vous d’avoir sorti un album aussi long ?
Jonathan : Non, cela ne me pose aucun problème. C’était un choix conscient à l’époque. Je reste persuadé que c’était la bonne décision à prendre car je suis toujours fier de cet album. Hang ne comporte que 8 titres car nous sommes incapables de sortir un disque dans un format “classique”. On vise soit petit soit gros. Jurrassic Exxplosion Phillipic, notre premier album comportait 36 titres. Mais pour être complètement honnête avec toi, je trouve que les meilleurs albums ne dépassent jamais 10 titres. Sinon, tu dois impérativement sortir un double album. C’est notre règle.
La conception de votre disque précédent vous avait pris 5 mois. Qu’en est-il pour celui-ci ? Comment s’est passé l’enregistrement ?
Sam France : Ainsi que nous le faisons d’habitude, nous nous sommes immergés dans notre univers, complètement coupés du monde. On s’enferme dans un garage pour composer et enregistrer le plus de musique possible. Concevant tout nous même de A à Z, nous n’avons aucune contrainte de temps, donc aucun stress.
Jonathan : Hang a été enregistré sur une plus longue période que l’album précédent car nous voulions prendre notre temps. Aucun autre titre n’a été finalisé en dehors des huit figurants sur le disque. Il n’y a même pas de quoi offrir une face b pour un single. Il reste bien quelques idées enregistrées à la va-vite sur mon téléphone, mais aucune d’elle n’aurait pu évoluer de façon cohérente par rapport à la ligne directrice fixée pour Hang.
Hang est un album riche en orchestrations. Enregistrer avec un orchestre symphonique de plus de quarante musiciens n’a t-il pas été trop stressant ? Avez-vous eu de l’aide concernant cette partie spécifique de l’album ?
Jonathan : Tout ce qui est guitare, basse, batterie et synthé a été enregistré par Sam et moi. Nous ne sommes pas restés en autarcie pour autant. D’autres musiciens sont venus jouer avec nous. Les cordes ont été enregistrées sur cette base de travail. Le process a été moins stressant car nous n’avons pas eu à jouer en live avec l’orchestre. J’étais plutôt confiant et détendu lors de cette dernière étape de l’enregistrement. L’orchestre était composé d’artistes talentueux. Nous avons produit ces sessions nous-mêmes, comme le reste de l’album. Par contre, nous avons fait appel à un orchestrateur pour transformer en partitions ce que nous avions en tête pour l’orchestre. C’est un mode de fonctionnement très particulier qui ne nous est pas familier. Pour bien savoir s’adresser à un orchestre, tu dois avoir mené des études spécialisées. Matthew E. White est apparu comme la personne idéale pour donner vie à nos idées.
Vous semblez aimer la grandiloquence. Vous étiez nombreux sur scène pour la tournée précédente. Vous avez enregistré avec plus de quarante musiciens. Si on vous en donnait les moyens, quel serait votre rêve le plus fou en termes d’enregistrement d’album ?
Jonathan : Je crois que nous avons déjà réalisé ce rêve avec l’orchestre. C’était une idée de dingue que nous ne pensions pas pouvoir réaliser.
Sam : Nous savons déjà comment va sonner le prochain album. Je peux déjà te dire que ce ne sera pas un disque symphonique. Il sera audacieux et unique en son genre sans forcément faire appel à autant de moyens.
Justement, vous évoquiez aussi, en 2014, le disque qui allait suivre Hang. Un album aux influences hip hop. Est-ce toujours d’actualité ?
Sam : Je ne pense pas. Tu n’imagines pas la paperasse qu’il faut abattre pour pouvoir utiliser le moindre sample. Ce disque coûterait une fortune. Bien plus que Hang avec l’orchestre symphonique. Nous laissons cette idée de côté pour l’instant.
Jonathan : Nous n’avons finalisé qu’un morceau, 24 Hour Lover Man que tu trouves en ligne. Nous avons tellement d’idées de concept albums que nous-mêmes ne savons pas lesquels vont finir par voir le jour.
Peu d’artistes pop-rock s’inspirent du hip hop pour expérimenter. Emprunter cette voie serait peut être un moyen de détourner le problème des samples.
Sam : Jonathan est très doué pour créer des beats ou faire du copier-coller. Nous utilisons parfois ce genre de techniques pour Foxygen. C’est même quelque chose de récurrent depuis que nous avons commencé à faire de la musique ensemble, en s’amusant avec des samplers. Après, tu as la réalité. Les artistes pop indés n’ont pas commencé leur carrière en faisant du hip hop. C’est quelque chose qui n’est pas facile à accomplir et qui demande beaucoup de travail.
Jonathan : Emprunter un moyen détourné, de l’auto tune ou d’autres tactiques comme sur les derniers Lambchop ou Bon Iver ne m’intéresse pas. Si je décide de faire un album hip hop, je vais aller m’inspirer de ma période préférée, les 90’s. Il est difficile d’égaler un album comme Enter The 36 Chambers des Wu Tang Clan.
Comme l’album précédent, Hang a été produit par vos soins. A ce stade de votre carrière, avez-vous du mal à accepter un regard extérieur sur votre travail ?
Jonathan : Il n’y a aucune volonté d’avoir le contrôle total sur notre musique. Nous avons même longuement envisagé de faire appel à quelqu’un pour produire Hang. Entre-temps, j’ai fini par produire pas mal d’albums dont le Lemon Twigs et le Whitney dans mon studio. Ça m’a permis de me sentir plus à l’aise et nous avons finalement décidé que nous pouvions nous passer d’une tierce personne pour cette fois. J’adore travailler sur notre musique, mais aussi sur celle des autres.
En parlant des Lemon Twigs, est-ce suite à la production de leur album par Jonathan que vous leur avez proposé de travailler ensemble ?
Jonathan : Ce sont d’excellents musiciens. Ils partagent une complicité musicale que seuls des frères peuvent avoir. Ce sont également de grands fans de Foxygen. Ils connaissent absolument tous nos morceaux. Ils comprennent vraiment bien le groupe et peuvent jouer du Foxygen à la perfection. Il y a peu de gens à qui je fais confiance pour jouer avec nous. Je préfère que l’on fasse tout nous même plutôt que de faire appel à des gens qui sont là pour cachetonner.
Vous ont-ils rappelé le Foxygen des débuts, avec une soif de découverte sans fin de l’histoire du rock et de la pop ?
Jonathan : Oui un peu. Ils ont commencé The Lemon Twigs au même âge que nous avec Foxygen. Ils ont des personnalités différentes des nôtres.
Sam : Pendant l’enregistrement, j’avais parfois l’impression de me retrouver dans un univers parallèle en les observant. Ils m’ont rappelé plein de souvenirs de Sam et moi à leur âge. Nous partageons une alchimie musicale indéniable avec eux. Nous ne devenons jamais amis avec nos collaborateurs. Pourtant nous le sommes devenus avec The Lemon Twigs.
Hang risque d’être difficile à reproduire sur scène. Envisagez-vous de tourner avec un orchestre à cordes ?
Jonathan : Nous tournerons avec une section à cuivres. Les cuivres permettent de couvrir un champs relativement large sans avoir recours à des cordes. Nous avons réarrangé certaines sections pour les adapter à la scène. Je trouve également que les cuivres correspondent plus à une ambiance de concert de rock. Nous ne sommes pas Justin Timberlake (rires).
Sam : Nous tenterons peut-être de jouer un concert avec un orchestre à cordes. Mais quitte à le faire, je souhaite que ce soit majestueux, avec une centaine de violonistes. Ce serait super de pouvoir le faire à l’Hollywood Bowl.
Le disque a parfois un côté cabaret, parfois un côté Disney, ou 70’s. Aviez-vous une idée directrice arrêtée, ou bien avez-vous laissé libre cours à votre imagination pendant l’enregistrement ?
Jonathan : Nous nous sommes aperçus à la fin de l’enregistrement que nous avions parfois très légèrement dévié de notre idée de départ. Globalement, ta description résume ce que nous avions en tête. Un croisement du Hollywood des années 30 et de celui des 70’s.
Comment vous est venue l’idée de départ ?
Jonathan : Nous étions obsédés depuis longtemps par l’idée d’enregistrer avec un véritable orchestre. Aucun synthétiseur ne te donnera la même sensation d’écoute. Mais l’élément déclencheur a été une écoute intensive de l’album A Little Touch Of Schmilsson In The Night d’Harry Nilsson sur lequel il reprend des standards. Nous adorons le son de ce disque. On y trouve parfois un côté Disney.
Est-ce vous qui avez choisi d’enregistrer aux studios Vox à Los Angeles ? Ce studio est emblématique du jazz des années 30, période dont vous vous êtes inspirés pour Hang.
Jonathan : C’était effectivement le studio idéal, de par son histoire, pour trouver la bonne vibe qui correspondait à l’album. Beaucoup de bandes originales de films ont été enregistrées là-bas aussi. Le matériel d’enregistrement est phénoménal. Ce n’est pas le cliché du studio tout en bois comme tu peux te l’imaginer. Il me fait plus penser aux studios du type Sun, avec une apparence plus proche du contreplaqué. Je n’avais jamais entendu une réverbération d’une telle qualité.
La vie politique est mouvementée aux USA depuis plusieurs mois. Jusqu’à présent, vous n’avez presque jamais abordé le thème de la politique dans vos chansons. Pouvez-vous nous dire pourquoi ?
Sam : Nous nous sentons autant concernés par la politique que n’importe quel citoyen américain. Je t’avoue être effrayé par ce que nous offre l’avenir. Nous avons fait le choix de rester éloignés de la politique pour notre musique car nous préférons aborder la musique sous un angle différent. America sur le nouvel album est la seule chanson pouvant s’approcher d’un angle politique. Nous l’avons composée bien avant le début de la campagne présidentielle. Comme d’habitude avec Foxygen, nous abordons un thème précis, l’Amérique pour ce titre, et nous laissons un champ d’interprétation à l’auditeur. Certains y voient un angle politique, pourtant ce n’est pas ce que nous avions en tête lors de l’écriture des paroles. Nous aimons créer le trouble et la confusion. Cela se reflète parfois dans nos rapports au sein du groupe. Nous en avons subi les conséquences à plus d’une reprise.
Merci à Agnieszka Gérard