Un Français à Tokyo, en 1922. À moins qu’il ne s’agisse d’un éléphant – irrésistible séducteur certes, mais terriblement ignare et maladroit – dans une boutique de porcelaine ! Telle est l’accroche, drôle et savoureuse, de L’honorable partie de campagne (Sarbacane).
Avec cette bande-dessinée, le scénariste Jean-David Morvan et le dessinateur Roberto Melis se sont attaqués à l’adaptation d’un roman de Roger Emmanuel Alfred Poidatz, un pionnier de la photographie aérienne d’observation. Ce voyageur attentif a séjourné au Japon et s’est amusé à rendre compte de la vie et de l’état social de ce pays.
Son roman est rédigé sous le pseudonyme de Thomas Raucat. À l’époque, voilà qui sonne pour les Nippons comme « tomarou ka », autrement dit une invitation à aller partager une chambre pour le plaisir… C’est donc sans surprise que le ton du livre se révèle, en cette première moitié du 20e siècle, libre et décalé, dans un Japon en proie à tant de codes de bonne conduite qu’il en devient insaisissable pour tout seigneur étranger de passage.
La BD s’inscrit pleinement dans cet univers, avec pour personnage principal un Européen débarquant à l’Exposition Universelle. Tandis qu’un magnifique hydroplane capte tous les regards, l’homme n’a d’yeux que pour une jeune Japonaise, qu’il invite à aller visiter l’île d’Enoshima. Tous les deux conviennent de se retrouver dans le même train le lendemain matin. Mais rien ne va se passer comme prévu.
Un autre homme et ses amis vont se mettre en travers du chemin de l’Occidental, histoire de lui apprendre les bonnes manières. Ainsi donc, on apprendra au détour d’une page que, lors d’un voyage, « les femmes sont un encombrement et qu’à cet égard l’Europe est moins civilisée que le Japon » !
Le livre fourmille de scènes étonnantes ou cocasses. Un point commun les relie entre elles : l’honneur. Celui qui consiste, par exemple, pour un chef de gare, à prendre soin de l’étranger jusqu’à vouloir différer le départ d’un train rempli de voyageurs : faire partir au même moment deux trains en sens inverse, c’eût été en effet la promesse d’un beau ballet, signe de l’excellence nipponne et de l’honneur rendu à l’Européen.
Rituel pour se plonger dans un honorable bain ou tradition célébrant avant tout le culte de monsieur le père… Tout dans cette histoire est prétexte à une description de situations ancrées dans une époque, souvent drôles mais aussi tragiques. De quoi inspirer une lecture… honorablement recommandable de cette bande-dessinée absolument hors du temps, marquée par un jeu de couleurs en bichromie lui donnant à la fois du cachet et de l’élégance.