Avec un virage surprenant vers l’introspection psychédélique et ambient, Jon Hopkins quitte les pistes de danse pour poser un regard introspectif avec Music For Psychedelic Therapy. Le résultat est d’une singulière beauté : une expérience immersive au cœur de la forêt amazonienne et des sous-bois anglais, et de ce qui fait son humanité. À oublier toute modération avant de consommer ! Addict-Culture est allé à la rencontre de ce producteur anglais pour une plongée en apnée vers les frontières de la musique et de nos consciences.
Claire Sixmonstre : Comment as-tu vécu l’épreuve du confinement ? Tu fais partie des personnes qui ont perdu une grande partie de leurs moyens de subsistance à cause de tout cela.
Jon Hopkins : J’ai perdu une quantité énorme de travail, tellement de choses… J’étais sur le point de partir en tournée, je viens juste de compléter une de ces tournées qui a été reportée. La tournée américaine devait s’achever l’année dernière. J’étais dans une position très précaire, j’avais investi pour construire mon propre studio, après quinze ans de location, un tout petit local dans mon coin. J’avais donc fini de construire ce studio, aménagé dans une partie de ma maison, et l’idée était d’amortir les coûts en faisant des concerts, qui ont été annulés, alors ça m’a bousculé, c’est sûr !
En dehors de ces considérations pratiques, j’ai eu de la chance, car cela fait un bout de temps que je sors de la musique alors elle est là, disponible pour le streaming, elle va perdurer. De toute façon, c’était un moment anxiogène, de pleins de façons différentes. On était face à cet océan de temps libre auquel personne ne s’attendait. Mais grâce à toutes ces annulations, je me suis rendu compte que j’étais proche du burn-out, qu’il me fallait une sorte de changement.
Je crois que beaucoup de musiciens ont ressenti cette sensation de burn-out]. J’ai commencé à écrire un disque d’une autre trempe. Cela peut paraître cliché, mais je voulais faire ce disque depuis 2018, depuis un voyage aux grottes Taios en Ecuador où j’étais allé pour participer à une retraite spirituelle et psychédélique. Je n’étais juste pas entré dans le studio pour commencer les enregistrements en temps que tels. L’idée était déjà là, mais je ne l’avais pas matérialisée, c’était sans doute du aux circonstances…
Je t’ai vu sur scène au Peacock Festival, dans un dispositif très club. Tu es retourné sur des pistes de danse depuis le Covid et les confinements ?
Oui, aux USA et à Londres ainsi que deux autres villes, Cambridge et Bristol. On a fait un spectacle à Londres au Tobacco Docks et c’était assez incroyable, 1200 personnes dans une salle. C’était une telle joie d’y jouer à nouveau. C’est marrant, je n’avais même pas pensé à cette musique, et tout à coup, je me retrouvais à passer de la techno, et je me suis souvenu que c’est génial ce truc ! Je n’en écoute pas chez moi, j’ai besoin du cadre et d’une raison pour entrer dans ce genre de musique.
Les concerts qu’on a fait ce mois-là ont été top aussi, la tournée de Polarity, que j’avais commencée au début du confinement, un spectacle avec un piano à queue et des cordes, et aussi des trucs électroniques que j’ai faits sur trois dates pour l’instant. Il m’en reste quelques-unes et cela a été une expérience assez merveilleuse !
On a du déjà vous poser cette question, mais quel parcours vous a emmené des clubs et des salles de concert à des grottes et à la lecture de Ram Dass puis à ce nouveau disque ?
Il y a en fait un lien très fort entre ce disque et les précédents, c’est juste une progression. Sur Singularity surtout, il y a plein de moments inspirés par le psychédélisme et des moments de contemplation. Ces influences s’immisçaient déjà mais je les combinais avec le besoin et le désir de faire du gros son, tu sais, qu’on peut jouer dans un festival, et c’est inutile de nier que ma carrière s’est en partie construite grâce à ces grandes scènes et pour y jouer, il faut un tube par album, sinon…et j’ai juste décidé, je ne sais pas, ça fait 20 ans que je fais des disques et à ce tournant particulier de l’histoire, j’avais envie d’être radicalement honnête, de composer exactement ce que je voulais, sans obstacles, sans essayer de rentrer dans une case, sans que l’on puisse m’attribuer à un genre de musique. Mon travail était juste de faire la musique la plus pure possible, et par conséquent, c’est mon disque préféré et de très loin. Je ne crois pas avoir fait quelque chose d’aussi profond, qui reflète autant mon approche personnelle. Le disque est plus exigeant avec l’auditeur. Les gens ont besoin de s’asseoir et d’écouter, sans rien faire d’autre. Il fonctionne ainsi, ce n’est pas trop de l’ambient ou de la musique d’ascenseur, ou quelque chose que l’on écoute pour se détendre. Il se propose comme une expérience immersive et de cette façon, avec un peu de chance, on y puise quelque chose.
C’est justement ma prochaine question. À quel point le disque est immersif ? Sur les passages dans la grotte, par exemple, on entend vraiment la pluie et l’on s’imagine être là, dans cette grotte, avec les personnes qui participent à cette cérémonie d’éveil spirituel ?
Alors il y a plusieurs captations de bruit d’eau assez incroyable. L’une d’entre elles, c’est la rivière qui coule à travers la grotte. Pour moi, il était important de débuter le titre avec ce son. Ce que tu as pris pour de la pluie, c’est en fait de l’eau qui tombe sur le sol de la grotte, loin à l’intérieur. Bien sûr, dans la forêt vierge il pleut tout les jours à un moment où un autre, alors tout ruisselle constamment. Mais voilà les deux sons qu’on entend tout le temps et qu’il était important pour moi d’utiliser, ainsi que cet oiseau, cet unique cri d’oiseau que je trouvais incroyablement, terriblement évocateur, devaient vraiment constituer le point de départ.
Il y a deux lieux différents où l’on a capté du son. Le deuxième, ce sont les forêts anglaises, ce que l’on entend sur le premier titre, et aussi vers la fin de l’album . La nature, tous ces oiseaux et leur chant que j’entendais pendant mon enfance. Cela a créé un contraste entre ces trucs profonds et exotiques, qui viennent de la forêt vierge, et ces oiseaux anglais, européens, avec le son des branches qui craquent sous nos pieds, les feuilles qui bruissent. Ce genre de choses que l’on entend plus souvent dans la partie du monde où nous nous trouvons. Mon inspiration s’est trouvée dans ces deux endroits évidemment. Une si grosse partie de ma vie s’est déroulée dans la campagne anglaise, J’y ai eu aussi des expériences mystiques et psychédéliques dans ce bois anglais, celui où on a enregistré ces sons.
Ah, je pensais que tout venait d’Équateur.
Non, les seuls titres en lien avec là-bas sont ceux qui se réfèrent aux grottes de Taios. Le reste n’a rien à voir avec ce pays Le premier titre, Welcome, enfin tout est dans le titre, ne comprend que des field recordings anglais. Dans la partie sur l’Équateur, sur les titres Taios i, ii et iii, j’essaie de retranscrire l’expérience de la prise de DMT. La deuxième partie est plus une plongée en apnée vers le centre émotionnel ou mon propre cœur, appelle cela comme tu veux, née de mes propres expériences, mais avec l’impression que cela venait d’un endroit qui me dépasse. On entend une chouette effraie vers la fin aussi, juste avant le morceau Ram Dass, et c’est aussi un son de la campagne anglaise.
J’ai aussi d’autres questions sur Ram Dass, j’avais lu The Politics of Ecstasy de Leary très jeune, vers 12 ans. Je crois que c’est le seul livre que j’ai jamais volé de ma vie, ce qui explique des choses sur moi…(rires).
Comment as-tu fait pour t’y intéresser ?
Un très bon ami m’a acheté un exemplaire de Be Here Now de Ram Dass, quand j’avais 35 ans peut-être. Cela a été mon livre de chevet pendant quelques années, je l’ai lu et je l’ai adoré. Même aujourd’hui, je le feuillette parfois et je regarde les images. J’ai commencé à entendre le nom de Ram Dass mentionné de plus en plus dans des podcasts ou par des amis. Je ne le connaissais pas trop au-delà du livre. Puis j’ai acheté un autre de ses livres et mon intérêt a grandi peu à peu, ensuite de façon vraiment synchrone. East Forest m’a contacté afin de travailler avec lui sur ce disque, composer de la musique pour accompagner ses paroles. J’aime vraiment beaucoup cette intervention de Ram Dass. C’était incroyable ! À ce stade, j’avais déjà fini les parties se déroulant dans les grottes. Je pensais les sortir seules, un quatre titres, ou quelque chose comme ça, mais avec ce morceau, Sit Around The Fire, j’avais une fin pour un album. Les autres titres se sont écrits autour de celui-ci, voilà, c’était bien !
Ton disque est aussi très imprégné de psychédélisme. Que penses-tu des états de transe que l’on atteint en dansant, de l’expérience psychédélique de façon plus globale, des drogues que l’on prend pour parvenir à ces états ?
Euh…je ne sais pas…cela a été une partie importante de ma vie, et je pense qu’à ce stade, ce sont les aspects thérapeutiques qui m’intéressent plus. Le titre de l’album est plutôt à lire dans ce sens, au lieu d’une apologie plus générale, mais comme beaucoup de personnes, mon premier contact était plus dans un contexte de fête Cela se passe ainsi dans les pays occidentaux. Le cannabis m’a ouvert sur des choses incroyables quand j’étais ado, a transformé ma relation à la musique et m’a montré quelle musique je voulais faire, mais en même temps, j’avais besoin d’être structuré, je me reposais trop là-dessus pour m’échapper de la réalité. Je suis néanmoins tout à fait pour sa légalisation, car il est prouvé que dans les pays où le cannabis est légal, les jeunes ont tendance à moins en fumer . Il y a quelque chose dans le fait que ce soit interdit, la nature illicite du truc, qui plait aux ados rebelles ! Bien sûr, je le cachais à mes parents, et en secret, j’entrais dans ces états de transe profonde, mais à terme, c’est devenu difficile d’y naviguer, ce n’étais plus agréable, alors j’ai arrêté. Je n’ai pas pris de drogues jusqu’à 27 ans, âge ou j’ai été exposé à la MD, en club. J’ai commencé à trouver tout cela très puissant, et je me suis fasciné pour l’intersection entre l’expérience récréative et mystique.
De nombreuses personnes qui ont dansé toute la nuit en boîte savent que ça peut se transformer en quelque chose de surnaturel après un moment, et mon disque de 2013, Immunity, parlait de cette combinaison d’expériences. On sortait faire la teuf mais la soirée se transformait en expérience quasi religieuse avec la combinaison des rythmes, des états de transe et des médicaments. Je n’étais pas encore vraiment prêt à utiliser les drogues psychédéliques comme aide à trouver un vrai sens jusqu’à mes 35 ans et je crois que c’est mieux quand on est un peu plus âgés, on se connaît mieux. J’ai 20 ans de pratique méditative alors je me sens désormais en sécurité dans ce monde. Je peux m’y déplacer, et si on continue sur la sécurité, ici aussi, la légalisation c’est l’option la moins dangereuse. Il faut éduquer les utilisateurs, contrôler la qualité, et de toutes façons, ces choses ne vont jamais disparaître, même si de nombreuses personnes aimeraient que ce soit le cas. Il y a plus de recherches sur les drogues, on a enfin le droit de faire des recherches dessus, et on leur trouve des aspects bénéfiques. Il est possible d’abuser de toute substance, ou de mal les utiliser. L’alcool pose aussi énormément de problèmes.
Je crois qu’on assiste à un changement de mentalités concernant le côté thérapeutique des drogues, avec les microdoses. Même Bill Gates finance des projets dans le domaine. Que penses-tu de cela ? C’est intéressant ou juste l’un des derniers remparts du capitalisme ?
Les deux sont vrais pour moi. Il y a indéniablement un afflux de multinationales et d’investisseurs qui veulent se faire de l’argent avec ce phénomène, qui est peut-être une forme émergente de thérapie, mais en même temps, il y a des gens très bien qui œuvrent dans ce monde et qui les combattent, qui agissent pour l’intégrité des gens qui s’y intéressent depuis des années, pas seulement parce que c’est dans l’air du temps. C’est comme tout dans nos sociétés.
Je n’irai pas jusqu’à dire qu’on est tous de grands malades, mais une chose est sûre, on ne se dirige pas dans les bonnes directions. Tu penses qu’on peut utiliser ces méthodes disons psychédéliques et mystiques pour aider une société à guérir? Tu y vois un potentiel ?
Je pense qu’on est tous malades d’une certaine façon car on a créé une situation pour nous-mêmes et on vit comme si on était les seuls êtres sur Terre. La vérité, c’est que nous faisons partie d’une toile interconnectée qui contient la vie toute entière, et plus on la détruit, plus on se fait du mal, même plus que tout autre.
Je crois qu’une des vertus des drogues psychédéliques, c’est de vous replacer en adéquation avec la vérité de ce que l’on est: nous faisons partie d’un extraordinaire système auto-perfectionné qui tend sans cesse vers l’amélioration grâce à l’évolution. Les substances psychédéliques te reconnectent à cette vérité qui est aussi simple. Même un arbre la recèle ! Observez un arbre, imaginez qu’au départ c’était ce truc minuscule qui a interagi avec ce qu’il y avait dans le sol pour produire quelque chose de si grand et parfait, qui abrite ensuite de nombreuses formes de vie. On le sait tous, on l’apprend à l’école, mais on nous conditionne tellement pour qu’on pense que c’est juste normal, rien de spécial. Mais si on s’arrête, si on y pense, vraiment, putain, c’est incroyable !
Les expériences psyché peuvent vous remettre sur cette voie. Je me rappelle, une fois, j’avais pris des [champignons] psilocybines. Je me suis rendu compte que j’avais cueilli un champignon qui pousse par terre. Je l’ai consommé, et l’information qui semble être enfermée ou contenue à l’intérieur, qui était imperceptible, me guidait, me donnait un sens, un désir de protéger cette Terre, comme un mécanisme de protection de la Terre elle-même. Une interaction si importante qui peut nous rendre conscient de ce lien très fort.
Je fais aussi le lien entre ces alternatives et la grande renonciation ou résignation. Aux États-Unis surtout, avec tout ce qui s’est passé dernièrement, certains semblent tourner le dos à notre société. Ils ont la flemme de retourner au travail, ils s’en vont, vont faire autre chose.
Ah, je l’ignorais.
C’est un truc du moment. Je crois même que dans certains secteurs, ils n’arrivent plus à recruter pour certains petits boulots. Les gens n’ont plus envie.
Je pense qu’ils font bien ! J’ai tellement conscient d’être un privilégié qui peut vivre de ce qu’il aime, mais cela n’a pas toujours été le cas. Pendant les dix premières années de ma carrière de musicien, j’ai galéré comme ce n’était pas permis. Depuis que cela se passe bien, ça peut devenir dur pour d’autre raisons, mais j’ai la chance inouïe d’avoir un métier que j’aime. Il y a tellement de boulots que personne ne peut apprécier, enfin j’ai du mal à imaginer comment. C’est tellement précieux d’être en vie. J’aurais tendance à soutenir tous ceux qui prennent ce risque…mais en fait que vont-il faire tous au juste ?
Pas grand-chose en ce moment, mais on arrive encore à vivre des aides de l’État et se regrouper entre amis ou en famille pour vivre chichement en ne faisant pas grand-chose, mais je ne crois pas que ça ne puisse durer très longtemps.
Non, ça n’a pas l’air d’être tenable sur le long terme…
J’en ai parlé justement à des vieux dans ma famille qui étaient enfants dans les années 30, et ils m’ont dit n’avoir jamais rien vu de tel.
On peut appliquer cela partout. On a atteint un tel niveau d’inégalité économique. Apparemment, les milliardaires ont réussi à doubler leurs richesses au cours des deux dernières années. C’est juste si extrême ! Je ne pense pas qu’il y a eu une période historique qui ait ressemblé à celle-ci.
Je suis bien d’accord, et le fait que maintenant, on peut être très motivé avec plusieurs boulots et rester sous le seuil de pauvreté, je ne sais pas si c’était le cas, avant.
Non, l’ascenseur social est de plus en plus bloqué. Mon propre père venait d’une famille pauvre, il n’avait qu’un salaire dans la famille. Il devait travailler dès son plus jeune âge et il a réussi à s’en sortir en montant les échelons. Il est devenu cadre, et il a pu payer des études à mon frère, soutenir mes projets quand je débutais en musique et que j’apprenais le métier.
Il ne reste pas trop de temps alors je vais finir avec une question plus légère, j’aime bien. J’étais en train d’écouter « Welcome » avec mes chatons. Quand le titre a commencé, il y en a un qui s’est levé direct et est resté à l’écouter. C’était très bizarre car en général, ils ne réagissent pas du tout à la musique que je passe.
Tu veux entendre un truc super cool ? Ce n’est pas du tout la première fois qu’on me dit cela ! Quand on passe ce titre, et uniquement celui-là, les chats s’assoient sur leurs pattes de derrière et écoutent. C’est vraiment super ! Je vais poser la question à d’autres personnes qui ont des chats !
Il y en a quatre chez moi, deux d’entre eux ont eu cette réaction et c’est la première fois qu’ils réagissent à de la musique.
Très intéressant !
« Welcome » fait appel à quelque chose de primaire.
Welcome, pour moi, essaie de reproduire l’expérience du DMT, et les animaux sont sensible à cela. Si jamais tu as pris des champignons hallucinogènes et qu’il y a un chien dans les parages, tu remarqueras que le chien ne se comporte pas de la même façon. Il devient plus alerte, quelque chose a changé. Les chats sont plus réservés, ils s’assoient et vous observent alors que normalement ils ne le feraient pas. C’est merveilleux, les animaux sont si conscients de choses que nous ne pouvons exprimer par la parole.
Ma question n’était donc pas si légère.
Ah non, je tiens manifestement un truc ! (rires)
En fait j’ai testé deux fois, car la première, je me suis dit que ce n’était qu’une coïncidence, ou que je déraillais. Et ils ont refait exactement la même chose.
L’autre personne m’a dit exactement cela aussi ! Ils ont tenté l’expérience deux fois.
Comme cela me semblait un peu tiré par les cheveux, j’ai retesté.
Merci de m’avoir raconté cela !