Le premier clip diffusé sur MTV en 1981 a été celui des Buggles, Video Killed the Radio Star, titre choisi en l’occurrence pour inaugurer une nouvelle ère, celle des singles classés dans les Charts. À l’instar de Laurel Canyon, lieu emblématique de la décennie précédente, ou de la ville de Detroit – berceau de la Motown et du proto-punk, Seattle connait une révolution musicale sans précédent. Dans un ouvrage paru fin 2023, Jonathan Lopez retrace l’aventure invraisemblable des deux fondateurs de Subterranean Pop. Au départ, un fanzine consacré aux groupes locaux, puis des cassettes avec des illustrations monochromes d’un certain Charles Burns et l’apparition de groupes tels que Green River, Scratch Acid.
«Pavitt et Poneman se sont lancés sans connaissance du milieu, se sont entourés de ceux prêts à donner un coup de main, pas plus expérimentés qu’eux mais aussi passionnés »
Les premiers enregistrements sont confiés à Jack Endino (membre du groupe Skinyard), dont la patte sonore devient vite une particularité du Seattle Sound. Bingo, 1987 voit la parution de Dry as a bone du groupe Green River, dont les membres Stone Gossard, Mark Arm deviendront des figures incontournables du punk rock qui prendra ensuite l’appellation de Grunge. S’ensuit alors la sortie du premier 45 tours de Soundgarden. Sub Pop devient ainsi l’étrier de groupes qui deviendront des colosses s’exportant à l’internationale.
Perchés au onzième étage d’un immeuble en centre-ville, Sub Pop est constamment en ébullition, le label commence à se faire une solide réputation. De par son photographe, Charles Peterson dont les clichés légendaires deviendront des pochettes de disques (Superfuzz Bigmuff de Mudhoney), le label devient une marque de référence. L’histoire se concrétise enfin quand un certain Kurt Cobain insiste auprès de Jack Endino pour enregistrer une dizaine de titres. Les séances d’audition ne sont d’abord pas convaincantes, mais le titre Love Buzz (reprise de Shocking Blue) et sa face B Big Cheese éveillent la curiosité au sein du label. L’aventure de Nirvana ne fait que commencer, précipitant en un laps de temps très réduit, une génération de teenagers qui s’identifie à ce nouveau courant musical. L’engouement soudain pour la scène locale est telle que Sub Pop s’investit à 100 %, n’hésitant pas à user de dérision et à prendre des risques ( Festival naze ou le fameux slogan : On vous arnaque bien comme il faut).
Sub Pop s’enlise dans les dettes tout en continuant de choyer ses artistes, essayant de sauver ses derniers groupes; les mésaventures de Tad, le départ de Mudhoney pour un autre label, la signature de Nirvana avec une major mettent fin à l’âge d’or de Sub Pop qui n’est pas mort pour autant. Jonathan Lopez réussit à maintenir tout au long du livre -et à chaque chapitre- une tension presque cinématographique, des anecdotes incroyables, et surtout, un récit qui s’abreuve des témoignages des protagonistes de la scène Grunge. Un livre essentiel qui se lit d’une traite et sur lequel on revient. L’intérêt de ce bouquin est de relier le passé au présent, l’histoire aurait pu s’arrêter à 1991, mais la renaissance d’un label aux abois, qui a gardé depuis sa genèse, une imprévisibilité totale, constitue un exemple formel de résistance face aux tentaculaires Majors. Sub Pop n’a pas encore dit son dernier mot.