Day 9
Brandon
Un hamburger, deux hamburgers, trois hamburgers, quatre hamburgers, six hambur… ah non merde, j’en avais oublié un. Un hamburger, deux hamburgers, trois hamburgers, quatre hamburgers, cinq hamburgers, six hamburgers, sept hamburgers…
Je n’arrivais pas à dormir. Trop chaud. Impossible de trouver le sommeil dans cette étuve. Jennifer avait pris le seul petit ventilateur de cette maison et avait changé de chambre en prétextant que je ronflais trop fort.
Un hamburger, deux hamburgers…
Quelle connerie. Compter les hamburgers n’avait jamais fait dormir personne.
Je me suis levé et je suis allé sur la petite terrasse sur laquelle la propriétaire de l’appartement avait fait mettre la veille un gazon synthétique. Ça piquait un peu, mais là au moins j’avais de l’air.
Je me suis allongé, j’ai pensé à Bismarck et j’ai pleuré. J’ai fait ça discrètement sans bruit en espérant que personne ne s’apercevrait de rien. Un chat est venu me rendre visite et s’est allongé près de moi. Il sentait un peu les croquettes et un peu la pisse. Je lui ai fait comprendre qu’il ne fallait pas rester là.
Deux heures plus tard je ne dormais toujours pas. Trop de bruit. Cette ville ne se repose donc jamais.
J’ai regardé mon téléphone. Il était 2 heures du matin.
Je suis allé prendre ma guitare sèche. Et j’ai chanté des chansons d’Elvis.
Wise men say
Only fools rush in
But I can’t help falling in love with you
Shall I stay ?
Would it be a sin
If I can’t help falling in love with you ?
Quand je suis angoissé, c’est la seule chose qui me calme, Elvis. Et là j’étais angoissé. L’horizon des Sefshkenazes étaient bouché. Je m’étais emballé pour rien. La vraie star du groupe c’était Jennifer, c’était évident. Elle allait prendre son envol loin de son grand frère et elle me laisserait sur la rive, seul avec ma guitare…
Elvis ne me calmait pas. C’est la première fois que ça arrivait. J’ai eu envie de faire du bruit. Je suis allé ranger ma guitare sèche et j’ai pris ma guitare électrique et le petit ampli que j’avais acheté à l’aéroport.
J’ai mis le son au minimum parce que quand même David dormait et qu’il fallait respecter son sommeil. J’ai improvisé des chansons tordues. Des trucs à la Sonic Youth de quand ils avaient pas vendu leur âme au diable.
Ça sonnait bien. Un instant j’ai pensé avoir retrouvé l’âme des Sefshkenazes. J’ai voulu aller réveiller Jennifer pour lui faire écouter et puis j’ai pensé que non, que peut-être je pouvais garder ça pour moi et pour mon futur groupe The Ashkefuzz…
Ça me faisait tout drôle de ne plus penser pour nous deux. De me dire qu’il y avait peut-être un avenir sans Jen. C’était peut-être ça la liberté je me suis dit.
J’ai posé ma guitare contre l’ampli pour réfléchir (je réfléchis beaucoup en ce moment).
Ça faisait un bruit de larsen qui me détendait et qui couvrait le bruit de la ville. C’était agréable.
Je crois que je me suis assoupi un peu.
Quand je me suis réveillé quelques minutes plus tard, le bruit de larsen était toujours là. Mais bizarrement c’était comme s’il me tournait autour. J’ai ouvert les yeux et j’ai compris qu’au larsen s’était ajouté le bruit d’un moustique qui cherchait désespérément à pomper mon sang. J’ai essayé de l’attraper mais il était plus rapide que moi. J’ai pensé c’est le combat de l’Amérique moderne contre la vieille Europe et c’est l’Amérique qui doit gagner. Mais la vieille Europe avait encore des ressources malgré son grand âge.
Alors j’ai fini par m’énerver un peu. J’ai pris ma guitare électrique pour l’assommer.
Et j’ai fini par le choper ce fucking mosquito… Mais en donnant un grand coup avec ma guitare, je n’ai pas réussi à éviter mon ampli qui était juste à côté.
L’ampli n’a pas bien supporté cette attaque impromptue. Il a fait un bruit bizarre, un peu comme un frigo en fin de vie dans lequel on aurait mis un sèche-cheveux en train de fonctionner à plein régime. Et puis il a fini par faire pschittt…. La prise sur laquelle il était branché a fait une étincelle, puis brmmmpppfff puis l’ampli s’est éteint.
Et avec, la lumière de la terrasse. Mais aussi la lumière du théâtre qui était juste en face de chez nous. Et visiblement aussi toutes les lumières d’Avignon.
Pendant quelques secondes, tous les sons de la ville se sont arrêtés. C’était magnifique, il n’y avait plus une lumière et plus un bruit.
Et puis au bout de quelques secondes, un brouhaha a repris. Des gens qui sortaient des théâtres, des gens qui erraient dans la ville sans comprendre ce qui se passait. Je ne comprenais pas ce qu’ils disaient, mais ça avait l’air d’être un beau bordel.
J’ai pensé « tu vois Brandon, ce qu’un petit gars du North Dakota est capable de faire, tout seul, alors ne renonce jamais, tu es plus fort que l’adversité ».
J’ai pris ma guitare, je l’ai serrée fort contre moi et tout doucement je suis allé dans la chambre de Jennifer, je me suis allongé à côté d’elle. Et enfin je me suis endormi.