Toutes les semaines jusqu’au 10 juillet, retrouvez une sélection hebdomadaire de conseils de lecture pour vous accompagner cet été.
[mks_icon icon= »fa-sun-o » color= »#E96F18″ type= »fa »] Le choix de Marion
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#E96F18″]P[/mks_dropcap]aris, 1964. Viviane a 19 ans et s’ennuie déjà profondément au quotidien. Son travail au sein de la confiserie de ses beaux-parents la terrifie, et la vie avec son mari Jérôme s’annonce déjà fade et sans surprises. Pourtant, elle l’aime … Mais est-ce vraiment tout ce que la vie lui réserve ? A-t-elle déjà fait le tour de ses horizons à son âge ?
Elle refuse cette fatalité, et un soir elle s’enfuit. Où, vers quoi ? Elle ne le sait pas, mais elle va miraculeusement tomber sur Kathleen, magnétique pin-up américaine au charme flamboyant, qui vagabonde par le monde au gré de ses envies. C’est décidé, Viviane l’accompagnera, direction les “States” ! Ne reste plus qu’à convaincre Jérôme de partir …
Toffee Darling est un roman polyphonique à trois voix aux nombreuses facettes. C’est tout d’abord un road trip délicieux et envoûtant en plein cœur des Etats Unis des Sixties, voyage dans l’espace mais aussi temporel aux côté de personnages comme Elvis ou encore James Morrison. La musique et la langue anglaise nous emportent, et on sent presque la moiteur de l’air du Mississipi, la saveur des repas au coin du feu et le parfum de la nature sauvage.
C’est un roman initiatique, rempli de personnages justes en quête de leur propre vérité, si jeunes et pourtant déjà écorchés. Il y a Viviane, qui veut vivre mais ne sait pas comment, qui veut aimer sans que ce ne soit jamais assez, qui se désespère de la passivité de son mari mais craint qu’il se lasse d’elle dès qu’il s’affirme un peu. Ce voyage, c’est une remise en question : et si elle était le problème, insatisfaite à jamais ?
Jérôme, quant à lui, se consume d’amour pour Viviane et est étouffé par la peur de la perdre. Cette expérience sera-t-elle l’occasion de découvrir qui il est réellement, lui qui ne vit que pour elle et est parti au bout du monde sur un simple caprice ? Et enfin, il y a Kathleen, aux boucles folles bicolores, véritable apparition qui embaume le caramel, l’amande et la fraise, tourbillon de fantaisie qui semble être partout à sa place sans jamais appartenir nulle part. Mais cette apparente liberté, n’est-ce pas une fuite en avant ? Quelles meurtrissures cache réellement la jeune femme ?
C’est également un kaléidoscope de sentiments, un bouillonnement d’émotions qui submerge le lecteur. On ressent la panique, la joie et le chagrin des protagonistes comme si leurs sensations nous appartenaient. Joanne Richoux nous parle d’amour et d’amitié avec une justesse si déconcertante qu’il paraît inconcevable qu’il s’agisse d’une fiction. Exit les romances clichés, les sentiments sont ici criants de vérité dans leur intensité, leur ambiguïté, leurs doutes et leurs contradictions.
Toffee Darling, c’est enfin une écriture renversante, fluide et percutante, pleine de sensualité et de poésie, mais ancrée dans les sensations du réel. Elle nous happe à la suite de ce trio improbable touchant et empreint d’authenticité. Une plume parfaite pour cette ode à la liberté et à la quête du bonheur, qui fait monter en soi une envie d’évasion et de faire sienne la maxime de Kathleen : “Jamais pourquoi. Pourquoi pas.”
Un délice, pour les ados à partir de 14 ans et tous les adultes !
Toffee Darling de Joanne Richoux
éditions Sarbacane, avril 2019
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[mks_icon icon= »fa-sun-o » color= »#E93318″ type= »fa »] Le choix de Yann
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#E93318″]E[/mks_dropcap]n 2019, Djian demeure un mystère à mes yeux. Ce romancier, découvert pour ma part il y a une trentaine d’années et dont j’ai longtemps dévoré toutes les parutions, constitue aujourd’hui encore une énigme à mes yeux. Alors qu’il est de bon ton de dire qu’il écrit le même roman depuis ses débuts, comment expliquer que certains de ses titres se situent nettement au-dessus de quelques autres.
Mes retrouvailles avec lui l’an dernier, pour la parution d’ « A l’aube », avaient tourné au fiasco et j’ en avais conclu (un peu rapidement, certes) que trop d’eau avait coulé sous les ponts depuis notre dernière « rencontre ». J’avais vieilli, lui aussi et nous n’étions plus sur la même longueur d’onde, sa petite musique ne nous bousculait plus et ronronnait gentiment, sans plus parvenir à nous toucher. Alors, pourquoi donc ces « Inéquitables » m’ont-ils donné l’impression de remonter le temps et de retrouver celui dont les écrits me semblaient exprimer parfaitement tout ce qui bouillonnait en moi à l’époque ? Je serai bien en peine d’en donner ici une explication convaincante, ayant finalement décidé que, chez Djian comme ailleurs, parfois, la mayonnaise prend, parfois non.
Il m’a semblé trouver dans ces 160 pages l’essentiel de ce que j’aime dans ses livres, des personnages qui se déchirent, des explosions de violence, de l’amour, bien sûr et avant tout, quelques pointes de cet humour si souvent proche du désespoir et un condensé de la vie humaine, entre ombre et lumière. « Diana se remet progressivement de la mort de son mari Patrick, survenue il y a tout juste un an. Marc, le frère de Patrick, vit chez elle pour veiller sur sa santé et sa sécurité. Mais la découverte fortuite par Marc de trois paquets de drogue échoués sur la plage vient soudain bousculer ce lent retour à la vie » (4ème de couverture).
160 pages, c’est peu mais elles suffisent à Djian pour développer son intrigue et mettre à jour les liens entre ces personnages pour la plupart écorchés par la vie. Alors que certains s’enfoncent inexorablement, d’autres relèvent la tête et gardent espoir de revoir la lumière. Entre ellipses et brutales accélérations, le texte avance à ce rythme si particulier que l’on aime parce qu’il nous bouscule. Alors oui, Djian continue à faire du Djian, c’est finalement très bien ainsi et ces « Inéquitables » nous confirment qu’il n’en a pas fini avec nous ni nous avec lui.
Les inéquitables de Philippe Djian
éditions Gallimard, mai 2019
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[mks_icon icon= »fa-sun-o » color= »#9A033E » type= »fa »] Le choix de L’Ivresse Littéraire
[mks_dropcap style= »letter » size= »50″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#9A033E »]E[/mks_dropcap]t si pour vous détendre cet été vous partiez à la rencontre de Dorothy, Betty, Olive, Ruggle dit le Capitaine, Lanyard, Smithy ou encore Windsor ? Qui sont-ils ? Une bande de vieux déjantés enfermés dans une maison de retraite appelée Les Chênes Verts. Rassurez-vous il y a aussi quelques « jeunes », Tristan, Frankie et Pat, leurs « amis-soignants ». Enfin, amis, entendons-nous et surtout préparez-vous… car vous allez assister à une guerre de déambulateurs mémorable !
Tout démarre lorsque Dorothy, surnommée Dot, décide de rejoindre son mari dans cette maison de retraite qui semble idyllique. Malheureusement, à son arrivée, elle va bien vite s’apercevoir que la brochure était un tantinet mensongère et qu’en plus elle n’y trouve pas son mari. Entre un directeur qui n’en a rien à faire et a à moitié peur des vieux, un personnel sous payé qui a la main lourde sur les petites pilules, il n’y a pas vraiment de quoi sauter au plafond.
Ça commence à sérieusement sentir mauvais dans ce lieu. Au sens figuré comme au sens propre. L’odeur monte et pique aux narines. Y aurait-il un mort qu’on aurait oublié d’emmener ? Trop, c’est trop. Les vieux s’organisent et comptent bien se révolter contre les conditions d’accueil et de traitement qui leurs sont réservées. Un véritable plan de bataille se met en place. Tant pis pour la vitesse de frappe moyenne, la mémoire qui flanche et les petits problèmes intestinaux, c’est les esprits qui comptent, la stratégie. Et nos petits vieux n’en sont pas dépourvus.
Le premier roman d’Adam Biles frappe fort. Caustique, corrosif, il nous entraîne dans un huis-clos totalement loufoque où l’on oscille entre rire et cruauté autant que l’on se prend d’attachement pour ces personnages qui se racontent au fil des pages. C’est impertinent, foutrement bien construit sans jamais de temps mort.
Et outre l’humour décapant et la tendresse qui s’en dégagent, Adam Biles, avec audace, interroge et sensibilise sur un sujet bien peu abordé en littérature, en politique et de manière générale dans nos sociétés : la place faites aux personnes âgés.
Cinq cent vingt huit pages de pur plaisir dont vous ressortirez probablement avec un pincement au cœur d’avoir dû quitter cette galerie de personnages.
Défense de nourrir les vieux d’Adam Biles traduit par Bernard Turle
Paru en poche aux éditions Points en mai 2019 (Grand format Grasset)