Jeudi 12/12/02 22h43
Le sommeil, c’est comme la vraie vie, il est toujours ailleurs quand on le cherche. Si je fume, je vais encore éclater la boîte d’Ovomaltine, je vais pas me lever demain et j’aurais droit à la tronche de la part de Carole toute la journée. C’est déjà assez pénible comme ça, cette saloperie de période qu’on appelle Noël. Déjà ça menace, ça s’agite. Toutes ces coquettes petites boutiques que j’adore, Etincelle, Antoine et Lili, Irié, où on est trois, vendeuse comprise, à l’heure du déjeuner, vont être prises d’assaut. Et il faudra que je me fade un épisode Fnac/Vigin.
Ou : Amazon.
13/12/02
Goethe me relance. Ça me démange. Ce type m’intrigue. Il est affreusement malsain et en même temps, je n’y crois plus à ces types qui vous laissent entendre le pire et ne sont même pas foutus de faire ça à la papa le moment venu. Peut-être pour un plan bagnole, à l’arrache. Je crois que ça me reprend, ça doit être l’approche des fêtes. Ce serait pas la première fois qu’il me vient une fringale inextinguible de cul en période potentiellement propice à la dépression. On ne parle jamais de ce genre de trucs dans Glitter. Ni nulle part, d’ailleurs.
14/12/02 22h55
Affaire Goethe réglée, les anglais ont débarqué plus tôt que prévu. Je vais pouvoir me faire désirer cinq jours de plus. Ce salaud m’envoie des mails à détremper n’importe quelle culotte:
« J’aurais voulu, 8puss, que vous voyiez comment j’ai préparé ce petit trou – oui, mon étudiante a finalement cédé via un habile jeu de langue. Et ce ne serait pas mentir que de vous avouer qu’au moment fatidique, celui qui aurait dû m’absorber corps et âme dans mon plaisir, je pensais à vous, à ces mots par lesquels je vous exciterai. C’est en vous imaginant, femme sans visage, au récit de mes aventures amoureuses, que je jouis en sauvage, et sans ménagement pour le trou novice qui m’accueillait. »
Je crois que, plus que le reste, c’est le vouvoiement qui me fait de l’effet. Et ce petit côté Laclos.
Je vais encore avoir du mal à m’endormir.
16/12/02
Aurélie fait ses premiers pas en rédaction. Cette fille, du haut de ses 22 ans, a décidé que le monde serait un jour à ses pieds – mais n’a-t-on pas tous pris ce genre de décision un jour ou l’autre ? Carole la gouinasse a percé depuis longtemps la fausseté de ses airs timorées. Peut-être même qu’il y a déjà quelque chose entre elles – pas de preuve dans ce sens, cependant.
Extrait des propositions d’Aurélie pour le sexe-test du numéro de janvier (sensé pimenter la déprime post-fêtes), qui nous a déclenché un fou rire, à Béa et moi, en pleine conf.
Je cite de tête :
« Il m’arrive de simuler mon plaisir pour en finir au plus vite
La masturbation, je dis pas non
Il m’a déjà fait des propositions qui m’ont fait rougir
Je réprime mes pensées érotiques
Il est bête, mais je l’aime
Le sexe, tout le temps, à toutes occasions
Le cunnilingus est meilleur accompagné de la pénétration d’un sextoy
Il m’est arrivé de désirer sans sentiment »
Explications : cette petite cochonne, la faute à son jeune âge, a du mal à prendre de la distance avec sa propre expérience. Pour elle, tout ce qui porte jupe concourt forcément pour les catégories Petite Salope, Salope, Chaudasse. Le profil de la lectrice lambda (25-30 ans, célibataire ou en couple, sans enfant, urbaine, classe moyenne à supérieure, fashion victim, et qui rêve de partouze tout en refusant l’étroit passage à son jules) lui est à peu près aussi familier que les mille et une manières de cuisiner le poisson en Arctique.
Carole, qui ne peut pas regarder Aurélie sans surchauffer, n’a visiblement pas envisagé un instant qu’elle n’avait qu’un petit pois dans le crâne. Un gentil petit pois, très sexy, et même d’après ce que j’ai compris, pour moitié consacré au cul (l’autre moitié à sa carrière ?) – mais tout ça ne laisse pas beaucoup de place au minimum nécessaire pour être capable d’écrire des putains de tests à la con, particulièrement quand notre propre mag en produit par pelletées et qu’il n’y a qu’à pomC/pomV.
C’est con : en même temps, ça m’embête de rigoler d’Aurélie. Merde, ça remonte pas à si loin la dernière soirée qu’on a faite ensemble. Je crois même que c’était y a pas un mois la dernière fois qu’on s’est retrouvées en soirée sur le même mec.
Déjeuner en coup de vent (comme d’hab), avec Chloé. Macrobio : plancton, carottes nouvelles et ouies d’un poisson certifié. Le tout dans une sorte de clinique sur la porte de laquelle on a écrit en tout petit « Restauration diététisme ». Comprenez : « Vous entrez ici dans un art minimaliste »
Chloé, chemisier Prada crème à mini-jabot, jean Melting Pot, escarpins Burberry vert jaguar vernis (à mourir, les escarpins), et besace en cuir souple Isabel Marant, plus pâle que jamais. Elle assure qu’elle s’est calmée avec la coke, que c’est sa récente promotion à la rédaction en chef Mode de Fashion qui la met sur les rotules. « Juste le temps d’avoir les rennes bien en main », assure-t-elle entre deux tomates cerise. D’ailleurs, elle a déjà « remercié » trois pigistes depuis qu’elle est en poste. « Dès qu’il y a une ouverture, je te fais signe », promet-elle les deux index tendus vers moi, comme nous nous quittons devant le restau. J’espère bien, Chloé, avec toutes ces copies que tu as pompées sur moi au CFJ, ces dossiers auxquels tu t’es contentée de rajouter ton nom, ce ne serait que justice, non ? Espérons juste que tu seras un peu plus influente maintenant que tu es à ce poste.
Dix minutes sous la flotte, pas de taxi à la tête de station. Il y en a un qui s’arrête, mais non, il me laisse plantée là. De quoi entretenir mon répertoire d’insultes.
17/12/02
Il y a de plus en plus de gros. Surtout des femmes et des enfants. Au Monop, la femme devant moi, à la caisse avait des cuisses grosses chacune comme ma taille (pas que je sois filiforme, pourtant). Est-ce mécaniquement qu’elle n’a circulé entre les deux caisses que de biais ? Elle serait passée de face mais juste. Vêtue de Reebook fitness, d’un collant noir à trois bandes et d’un sweat englobant Puma (une manière de ne pas mettre en vitrine le trop-plein), elle n’avait sûrement jamais vu une salle de sport.
(Pas que je sois sportive, pourtant.)
Un taxi, vieux monsieur arabe qui chantonne sur des airs de Trénet. Sur son tableau de bord, une photo de famille autour d’une table de fête, au premier plan des paires de petits aux yeux noirs écarquillés surmontés d’adorables tignasses.
Mercredi 18/12/02 20H49
J’échappe au plan Noël maternel en grande banlieue cette année. J’irai chez mon père et Christine. Trois jours dans la villa de Carry, certes envahie des neveux et nièces de ma belle-mère. Bruyants mais au moins je peux m’éclipser, disparaître quand bon me semble alors qu’avec ma mère et son chef de cabine, c’est tout de suite des discours à n’en plus finir, des pauses à prendre qui n’en finissent plus.
23H25
Une réponse, cette fois intéressante suite à mon annonce sur le site des trentenaires nostalgiques de leurs années étudiantes ; un mail de Laure, ma meilleure copine au lycée. A cette occasion, ai feuilleté mon journal de terminal (cf. cahier 13). Deux petites chaudes qui s’ignorent. Secrètement, nous rêvions du pire : du plus trash, du plus dirty, du plus poisseux. On aura tout eu, au bout du compte.
On doit se voir cette semaine. Je ne sais pas si j’en ai envie.
Un mail de Goethe, qui me raconte sa dernière soirée, chez un couple d’éditeurs. Parfois je me demande si nous ne nous sommes pas déjà croisés. Après tout le monde du sexe parisien n’est pas illimité. Son ton est trop irrévérencieux, pas crédible. Je vais faire la morte jusqu’à l’année prochaine.
Demain RTT. Grasse mat = bonheur, puis shopping kdo. On n’a rien sans rien.
Retrouvez le journal de Louna toutes les semaines
« Louna : sexe, vices et versa » est un texte de l’écrivaine et journaliste Agnès Peureu écrit en 2005.
Tous droits réservés