Le grand huit émotionnel, c’est la voie qu’emprunte régulièrement Tori Zietsch. Cette chanteuse et musicienne originaire de Melbourne, qui a sorti il y a quelques jours I Get Into Trouble, son deuxième album sous le nom Maple Glider, est à elle seule un précipité de sentiments qu’elle restitue musicalement dans un indie folk illuminé par une voix puissante et prenante. S’il se situe dans la continuité de To Enjoy Is The Only Thing, paru en 2021, par la volonté de ne pas surcharger les arrangements et la pureté de ses mélodies, ce nouveau long format va plus loin dans l’expression d’un affrontement permanent entre l’héritage d’un éducation en forme de carcan et son besoin de liberté et d’émancipation. Il est aussi pour elle l’occasion de distiller, homéopathiquement, des humeurs musicales plus aventureuses, voire presque dissonantes.
Nous avons pu la rencontrer la veille de son concert du 20 septembre au Pop Up à Paris. Tori a répondu à nos questions avec enthousiasme et gentillesse, à l’évidence ravie de parler de cette tournée européenne en solo qui la galvanise et des thématiques qu’elle approfondit sur ce nouveau disque.
Addict : Vous êtes en tournée depuis quelques jours, vous venez de jouer en Angleterre puis en Allemagne, êtes-vous contente de la réaction du public à vos nouveaux morceaux ?
Maple Glider : Oui, j’ai adoré éprouver ce que le fait de les jouer live provoquait. Il y a eu beaucoup de réactions mêlées, des gens pleuraient, d’autres riaient. J’ai vraiment eu un public magnifique à chaque concert !
Addict : De façon générale, vous aimez tourner malgré les contraintes et les désagréments que cela peut générer ?
Maple Glider : Pour être honnête, j’en suis encore aux prémices de ma carrière sur la route, puisque cette tournée internationale est ma toute première. Une grande partie des concerts que j’ai donnés jusqu’à présent l’ont été dans mon pays. L’Australie est très vaste, ce qui permet déjà d’aller assez loin. Mais je suis assez accro au fait de me produire en public et j’adore avoir des occasions de voyager, donc ça me convient. L’équilibre que j’ai en ce moment dans le fait d’écrire, d’enregistrer, puis de partir pour jouer en public, me plaît énormément. En tout cas pour le moment !
Addict : Sur ce nouvel album, I Get Into Trouble, avez-vous tenté d’exprimer quelque chose de nouveau musicalement par rapport au premier, même si l’on peut ressentir une certaine continuité entre les deux ?
Maple Glider : Oui, je pense que je voulais être un peu plus libre. Sur le premier, je m’étais fixé un certain nombre de restrictions, comme la volonté d’être très simple. Sur celui-ci, il y a encore des contraintes, mais pour moi il y a plus de liberté dans sa création. Il a été enregistré au fil du temps, en l’espace d’un an au total, alors ça a été intéressant d’aller un peu en profondeur et d’avoir parfois plusieurs mois pendant lesquels toutes ces choses pouvaient se passer avant de revenir à une autre chanson, ou à la même chanson, et de voir quelle sorte d’énergie pouvait en résulter. Je pense que j’étais sans doute plus ouverte. Le premier album n’avait pris que deux semaines, j’étais certaine de ses chansons et je ne leur avait pas résisté. Sur celui-ci, j’avais le désir de manifester plus de résistance. Comme c’était le deuxième album, j’étais sans doute plus consciente de tout. Je composais, et je me disais « Est-ce que c’est bien ? Je n’en sais rien« . Il y a quelques chansons qui ont été modifiées, celles qui étaient parties pour être beaucoup plus produites et sur lesquelles je suis revenue pour en faire des morceaux acoustiques car je voulais que le message soit très clair.
Addict : la transition est parfaite parce que je ressens que vous cherchez en permanence à ce que tout reste simple. C’est sans doute pour garder un lien de proximité avec l’auditeur ou l’auditrice. D’ailleurs, vous parlez souvent d’honnêteté. Cette honnêteté et cette simplicité sont elles importantes pour vous ?
Maple Glider : Oui, c’est la raison pour laquelle je fais de la musique. C’est ainsi que je la conçois et que je la joue. J’ai commencé comme une artiste solo, et mes concerts pouvaient être intimes et très personnels. Je voulais que le même feeling transparaisse dans les enregistrements. C’est cette expérience que je veux créer. Mais c’est aussi ce qui se passe de manière naturelle, car je ne peux pas faire autrement à ce stade.
Addict : Cela m’amène à nouveau à la question suivante : n’est-ce pas parfois difficile de parler de votre vie, de vos sentiments à vos auditeurs, qui sont des gens que vous ne connaissez pas ? Ne vous dites pas parfois « Je ne devrais pas en parler, c’est trop personnel » ?
Maple Glider : Oui, tout à fait. Le fait d’enregistrer Dinah, par exemple, était tellement intense. C’était un moment si fort émotionnellement dans le studio ! En fait, je ne savais pas vraiment ce qui était en train de se passer, je m’éclatais tout simplement. Et ensuite, en attendant la sortie de l’album, je me suis dit « Mon Dieu, qu’est ce que j’ai fais ?« . Mais honnêtement, c’était la meilleure chose à faire, et jouer ces chansons ces derniers soirs a été une expérience tellement incroyable ! Je pense que c’est sans doute la meilleure chose que j’ai jamais faite. Je suis récompensée de ce que j’ai entrepris et c’est comme une validation ; je me sens connecté aux gens.
Addict : Les pochettes de vos deux albums présentent des points communs, notamment car vous y êtes photographiée dans la nature, mais votre posture est différente. Celle d’I Get Into Trouble a une signification, notamment vos deux mains jointes qui sont une référence à la religion.
Maple Glider : Oui, absolument. Avec ma copine Bridgette, qui s’occupe de mes photos et de mes vidéos, on avait quelques idées pour la pochette de ce disque. On a une façon très naturelle de travailler ensemble, de manière proche. On a certaines références, et on s’accorde du temps pour trainer toutes les deux, pour jouer, et c’est comme ça que les images et les films prennent forme. J’adore être prise en photo en extérieur, car j’ai une forte connexion avec la nature et j’aime être dehors. Le thème central de ce nouvel album, c’est le sexe et la honte, en lien avec la religion. Les mains jointes en prière et le chemisier sont une référence à mon éducation chrétienne qui est une partie de moi. Combinés avec le fait de ne pas porter de pantalon sur cette photo, étant une femme, ces éléments sont une prise de position de ma part. Certaines personnes l’ont pris de façon personnelles : « Ah, elle ne porte pas de pantalon !« . C’était très important pour moi, cette image. Mais la pochette est aussi liée à celle de mon premier album, car je suis restée absolument la même personne, mais je pense que je suis un peu plus décomplexée.
Addict : Comment travaillez vous avec le co-auteur de vos chansons, Tom Iansek ?
Maple Glider : En général, j’arrive avec une chanson avec juste ma guitare et ma voix, ou mon piano et ma voix. Sur le premier disque, c’était juste Tom et moi, on procédait chanson par chanson, on enregistrait les bases et ensuite on ajoutait des choses au fur et à mesure, puis Jim, le batteur, jouait ses parties. Sur I Get Into Trouble, on s’est assis tous ensemble le premier jour , Jim a joué de la batterie, Tom de la basse, moi de la guitare et j’ai chanté. On a passé en revue toutes les chansons et on a décidé les structures et la sensibilité qu’on voulait pour chacune d’entre elles. La batterie et la basse ont dicté une grande partie de l’émotion des morceaux. Une chanson comme Two Years, je l’ai écrite directement avec ce changement de tempo. J’ai eu beaucoup de temps pour composer, et en arrivant en studio, je me suis dit que j’avais trop de morceaux, mais celui-là, je voulais l’enregistrer. Quand je joue pour moi-même au piano, c’est toujours plus ample, desserré car je me concentre sur les paroles. On essayait rendre Two Years vraiment fluide. Jim et Tom ont fait du super boulot pour créer ce groove et mettre en valeur le pont, qui avait déjà ce côté doux et délicat au piano, et le refrain très dépouillé. J’ai aime l’énergie qu’ils ont injectée dans les couplets et dans l’ensemble, ils ont emmené le morceau ailleurs. C’était une vraie collaboration, Tom a joué de chaque instrument. Sa contribution ainsi que celle de Jim a été énorme sur cet album, et je crois que ça se ressent.
Addict : Vous sentez-vous appartenir à une longue tradition de chanteuses folk, ou cela vous dérange-t-il d’être mise dans cette case ?
Maple Glider : Ah non, ça ne dérange en aucun cas. J’adore la musique folk. C’est de cet idiome que je suis tombée amoureuse quand j’ai commencé à faire des recherches à propos de la musique. Je ne ressentirai jamais de honte ou d’agacement d’être cataloguée comme une artiste folk, car je ressens une connexion forte avec ce courant. Me situer dans la tradition de gens comme Joni Mitchell, je dis oui ! C’est « badass », c’est si bien ! (rires).
Addict : A la fin de Don’t Kiss Me, on sent votre volonté de rendre cette folk music un peu plus sale ?
Maple Glider : Pour être tout à fait honnête, quand on a enregistré cette chanson, c’était pendant mes règles, j’étais énervée et j’avais besoin de crier. Alors j’ai demandé à Tom si on pouvait enregistrer des choeurs. Il m’a dit « Bien sûr, et tu vas faire quoi ? » et je lui ai répondu « C’est peut-être mieux si tu enregistres, je le fais et on en parle après« . Et sur la fin du morceau, je me suis mise à hurler, et à la fin Tom m’a dit « Ouais, c’était intéressant. D’accord. Tu fais quoi maintenant ?« , et je lui ai répondu « Je voudrais le refaire« . A la fin, je me suis sentie vraiment bien, c’était toute l’énergie que je voulais pour la chanson. Je crois que j’ai voulu, sur la pointe des pieds, petit à petit, aller vers plus de lâcher prise. J’ai cette énergie en moi et j’essaye de trouver un moyen de l’exprimer comme ça au travers de ma musique. Qui sait ce qui ce passera pour le prochain album ? Peut-être de magnifiques chansons d’amour, je ne suis pas sûre (rires).
Addict : Dans les vidéos de « You’re Gonna Be A Daddy » et de « Dinah », vous exprimez tout votre sens de l’humour et de l’auto-dérision, ainsi que votre lien avec l’enfance. Est-ce important pour vous de montrer, comme dans vos paroles, que cet humour coexiste avec la mélancolie qui émane aussi de votre musique ?
Maple Glider : Oui, totalement. Ma musique peut effectivement être mélancolique, mais j’aime jouer et m’amuser, me déguiser. Je veux depuis le début de ce projet qu’il soit amusant, y prendre du plaisir. Mon projet qui précédait Maple Glider était beaucoup plus dans le contrôle, et là j’ai décidé que j’étais en mission pour faire tout ce dont j’ai envie parce que…. sinon, je n’aurais sans doute plus jamais l’occasion de le faire (rires).
Le lendemain, le charisme simple de la chanteuse, sa prolixité et sa sincérité ont conquis les spectateurs chanceux de la petite scène parisienne du Pop Up. Nulle doute que la suite de sa tournée lui amène les faveurs de nouveaux fans à la recherche d’émotions fortes et contrastées !
Maple Glider · I Get Into Trouble
Partisan Records – 13 octobre 2023
En tournée aux Etats-Unis et en Australie en novembre et décembre 2023