[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]près la dernière représentation des Chorégies en août 2017, je vous annonçais un nouveau souffle qui allait balayer les gradins du théâtre antique d’Orange. Jean-Louis Grinda, le directeur, affirmait déjà son désir de « [nous] surprendre en suscitant toujours plus -notre- curiosité ».
Pari réussi pour cette mise en scène moderne de Mefistofele d’Arrigo Boito, créé en 1868 à la Scala de Milan sur un livret de Goethe.
Mefistofele est basé sur la légende de Faust dont l’adaptation la plus reconnue était l’opéra Faust de Charles Gounod.
Un siècle après la querelle des Anciens et des Modernes, Arrigo Boito, du haut de ses 26 ans, souhaitait ardemment réformer l’opéra et redonner toute sa place à la mise en scène. Il a utilisé la version de Goethe qu’il a étayée de quelques scènes de Gounod. Il admirait Wagner et, comme lui, a choisi d’écrire lui-même le livret.
Mefistofele fait le pari qu’il réussira à piéger l’âme du vieux savant Faust, donné comme un exemple de vertu et de sagesse en lui proposant un pacte. Faust lui donnera son âme en échange d’un instant de bonheur d’une intensité unique. Le diable favorise la rencontre du vieux philosophe miraculeusement rajeuni avec la jeune et innocente Marguerite, puis il le fait participer à une nuit de sabbat. Marguerite, abandonnée par son amant, est jetée en prison pour avoir empoisonné sa mère et noyé son enfant. Son âme est sauvée quand elle implore Dieu en reniant son amour pour Faust qui est entraîné par Mefistofele en Grèce où il déclare sa flamme à la belle Hélène. Redevenu vieux, Faust médite avec amertume sur son expérience. Mefistofele, sentant qu’il lui échappe, essaie à nouveau de le tenter ; mais Faust meurt réconcilié avec Dieu, tandis que le démon disparaît en reconnaissant sa défaite. [sic www.opera-online.com]
Jean-Louis Grinda adopte ce parti pris en plaçant la nouveauté comme fil rouge :
Tout d’abord en se confrontant lui-même au public si exigeant d’Orange. Après plus de quarante opéras et comédies musicales mis en scène à travers le monde, et à l’initiative de la présentation, à Monte Carlo (Opéra dont il est également directeur ) de Tannhauser de Wagner en version française (réalisé par Wagner lui-même spécialement pour le public de l’Opéra de Paris en 1861), il débute cette année son festival lyrique par celui considéré comme le premier grand opéra européen : Mefistofele.
Puis en invitant Nathalie Stutzmann à la direction de l’orchestre philharmonique de Radio France. La chanteuse mondialement réputée pour ses interprétations lyriques de rare authentique voix de contralto, se forge, depuis quelques années, une place de première au sommet du sacro-saint monde masculin de la direction d’orchestre. En résidence à l’Opéra Orchestre National de Montpellier, elle reçut les honneurs l’année dernière à Monte Carlo pour la direction de Tannhauser de Wagner. C’est avec un tonnerre d’applaudissements qu’elle fut saluée pour sa première apparition aux Chorégies, dirigeant à la fois l’Orchestre et les Chœurs des Opéras d’Avignon, de Monte-Carlo et de Nice, ainsi que le Chœur d’enfants de l’Académie Rainier III de Monaco.
Ensuite en choisissant Erwin Schrott pour sa première participation aux Chorégies d’Orange. Il incarne pour la quatrième fois de sa carrière -auréolée de succès- le rôle de Mefistofele. Uruguayen de naissance, le chanteur baryton-basse se produit sur les plus prestigieuses scènes du monde sous les acclamations du public. Ici il incarne avec une prestance naturelle et maléfique le personnage du diable. Vêtu de bottes et d’une redingote en cuir noir, portée à même son torse nu musclé, son personnage ne cesse d’évoluer vers le symbole de l’enfer : dès le prologue, il semble pactiser avec le public en le rendant complice de son piège, jouant de son regard qui nous hypnotise, puis dans la Nuit de Sabbat (acte 2) sa montée sur l’échafaudage au milieu de ses disciples, éclairé de lumière rouge accroît l’image du monstre. Sa puissance démoniaque exulte au rythme de l’orchestre et des jeux de lumière de Laurent Castaingt.
La légende de Faust est connue par tous et largement relayée. Ce que nous ont proposé Jean-Louis Grinda et son scénographe Rudy Sabounghi (révélé grâce à l’Opéra de Monte Carlo) sur la scène du Théâtre antique d’Orange, ce n’est pas seulement la mise en scène d’un opéra, c’est une magnificence visuelle et auditive. Ils utilisent tout le spectre scénique : les jeux d’ombre et de lumière autour du bras pointé vers le ciel de Mefistofele qui renvoie sur les pierres du théâtre sa toute puissance, la projection de nuages filant vers le ciel pour mieux intégrer la scène dans son écrin entre terre et ciel, le symbole d’un monde machiavélique par l’alternance entre le blanc et le noir (des visages grimés des figurants, de la centaine d’anges vêtus de toge à collerettes de plumes blanches en opposition au diable). Plus que jamais le public se sent investi dans les questionnements philosophiques autour de Faust : d’une part parce que ses doutes nous interrogent tous, d’autre part parce que les voix d’Erwin Schrott et de Jean-Francois Borras nous pénètrent et nous transportent, et enfin parce que, chose assez rare, la scène est avancée en demi-cercle autour de l’orchestre et laisse circuler les chanteurs au plus près des gradins. Nous sommes spectateurs nous immisçant dans l’intimité de la cour entre Faust rajeuni et sa douce Margherita (incarnée par Beatrice Uria Monzon), au plus proche de leurs émotions.
Pour un opéra aussi célèbre et aussi souvent mis en scène, il fallait « taper fort ». Jean-Louis Grinda en avait pleinement conscience. Il connaît parfaitement le public orangeois et sait comment le séduire. Ce soir-là il nous offrait un spectacle sons et lumières avec projection de feu d’artifice et voix d’exception. Je retiendrai davantage la mise en scène grandiose, avec plus d’une centaine de figurants, que les émotions ressenties. Mefistofele est construit sur un thème de questionnements intérieurs, profonds et universels, certes avec une histoire d’amour mais qui, pour ma part, n’apparaît que secondaire. Je préfère les histoires de passion destructrice, d’amours déchues, de peines immenses et de joies débordantes car elles entraînent des forces vocales stupéfiantes et pénétrantes.
A entendre les nombreux applaudissements et les cinq salutations de l’équipe au complet, force est de constater que le succès a été au rendez-vous et que, encore une fois, les Chorégies d’Orange ont honoré Auguste.