Bienvenue dans l’univers fantasmagorique de José Carlos Fernandes et Roberto Gomes. « Mer d’Aral » (Éditions du long bec) sort incontestablement des sentiers battus et nous offre cinq histoires courtes au style graphique suffisamment puissant pour nous tenir en haleine ou, tout simplement, nous séduire. Il appartiendra néanmoins à chacun et à chacune de se faire une opinion car les récits et leurs conclusions ont parfois de quoi déstabiliser tant ils sont originaux et inégaux. Ainsi, les uns ne manqueront pas de s’exclamer « tout ça pour ça », quand les autres ne bouderont pas leur plaisir.
[mks_dropcap style= »letter » size= »75″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#C2854E »]C'[/mks_dropcap]est la première histoire qui captive le plus et se révèle parmi les plus abouties. Elle donne d’ailleurs son nom à la bande-dessinée, dont elle se révèle ainsi être le porte-étendard. Le découpage des cases, la beauté simple des paysages laminés par le sel et le vent, la couleur ocre qui les habille… Tout concourt à nous plonger dans une ambiance de fin du monde, quasi crépusculaire. Dans cet univers desséché, où la mer a reculé à la vitesse d’un cheval au galop, quelques bateaux rouillés émergent ça et là. Quant aux quelques bâtiments restés debout, ils sont mitraillés de sel et de quartz. Tout autant que la mer, l’ambiance se révèle dès lors corrosive !
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La ressource poissonneuse s’étant tarie, les pêcheurs sont de moins en moins nombreux. Mais eux ont encore forme humaine. Peut-on en dire autant des poissons qui tentent de survivre au cataclysme. Enfouis sous la boue, ils attendent la fraîcheur de la nuit à défaut de quelques litres d’eau salée… Quant à nous, qui sommes spectateurs de leur mutation, nous voici soudainement happés par la démarche maladroite d’un être regardant les véhicules passer sur la route. Pour appréhender la suite des événements, il ne vous reste plus qu’à vous laisser porter par le vent tourbillonnant.
Loin de ce tumulte maritime, la deuxième histoire s’intitule « Un bœuf sur le toit ». Cette fable met en scène un pauvre homme qui éprouve bien des difficultés à se débarrasser d’un animal fort encombrant ! No comment ! Le troisième récit donne la parole aux morts qui, en tant qu’êtres immatériels, s’interrogent sur leurs droits dans l’espace public ! Cela donne lieu à des situations cocasses et à des réflexions amusantes, à consommer sans modération. « L’inauguration du canal de Panama », titre de la 4e histoire, laisse plus dubitatif. Disons que la BD laisse espérer un rebondissement qui ne viendra pas et cela nous laisse évidemment sur notre faim. Quant au dernier volet, il vaut le détour de par l’expression d’un graphisme très réaliste. La qualité de la narration est également au rendez-vous. Ne vous attendez pas pour autant à quelque chose de moins étrange que les histoires précédentes. Rien que le titre devrait vous en convaincre : « L’art de la nage à contre-courant » situe son action dans une école de formation pour saumons…
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Pour parfaire l’exercice, la lecture de la dernière page de « Mer d’Aral » s‘avère relativement savoureuse. Vous y apprendrez ainsi que Roberto Gomes est lui-même un poisson bipède et que Jose Carlos Fernandes fut tué par une foule de pêcheurs, lesquels rapportèrent ensuite que les cobayes de son labo de recherche ressemblaient à des poissons grotesquement malformés. Surréaliste non ?
Mer d’Aral – José Carlos Fernandes et Roberto Gomes
Éditions du long bec – 22 mai 2019