[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]es beaux jours du début de l’été neuchâtelois ont bercé le festival de film fantastique le plus zen de la planète, le Neuchâtel International Fantastic Film Festival, alias NIFFF, loin, si loin du cliché suisse. Récits fous, hommes sanguinaires, femmes maléfiques, enfants possédés, zombies in love, ici rien n’est impossible dès lors qu’il est projeté sur un écran de cinéma.
Cette année, force est de constater que le surréalisme s’est invité dans la compétition du NIFFF. Autant d’éléments saupoudrés de-ci de-là, que des scénarios entiers baignant dans l’absurde, pour des films d’un genre déjà très ouvert aux possibilités dépassant le tangible. Du fricot d’impossible et d’inénarrable, contrasté de touches choc de violence, de réalisme, de pathos, de sentiments réels.
De quoi possiblement intriguer le président de cette édition, David Cronenberg.
An Evening With Beverly Luff Linn, Diamantino, Climax, Time Share, Luz, Mandy, Muere Monstruo Muere, Piercing, Kasane, Pig, Tigers Are Not Afraid, The Dark, When The Trees Fall, Cutterhead, Hereditary, et Under The Silver Lake, composent l’affiche de compétition 2018.
Commençons par celui qui a décroché la timbale, ou plutôt le prix H.R. Giger Narcisse du meilleur long métrage :
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Climax de Gaspar Noé
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Fin des années 90, une troupe de danse boucle la répétition générale de son spectacle, et fête l’événement autour d’une sangria et quelques petits fours improvisés. Mais la petite salle polyvalente de village où ils ont conclu leur résidence va devenir le théâtre d’une descente aux enfers collective.
Formellement, Gaspar Noé est toujours aussi… adolescent. Avec les qualités et défauts que ça implique. D’un côté, il s’amuse à commencer par la fin et ce qui ressemble à une scène de conclusion dans la neige, ou ce qui n’est censé qu’exister hors caméra comme le (faux) casting de ses personnages. Ainsi nous sont présentés, par leur biais, les histoires de ces danseurs, leurs envies, leurs attentes.
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Ici, il essaye de nous bousculer dans la réalisation, mais malgré la secousse, il s’agit là bien d’un mouvement anecdotique.
D’un autre côté, l’énergie qu’il déploie à nous transporter dans le rite de la danse, la capacité qu’ont certains à mettre leur corps au service d’un rythme et d’une mission collective, relève parfaitement son défi : la technique de filmage en plans séquences est là, totalement prête à nous embarquer pour un voyage sans fin sur fond musical ininterrompu, faite de vagues gigantesques, de ressacs ultra violents, de plongées et survols de toutes ces scènes terribles déployées dans l’excès dans un complexe impersonnel qui parviendra difficilement à endiguer le pire…
La virtuosité s’associe ici à la grossièreté des assertions dont il est friand, la décadence alliée au drame social, dans une transcription moderne de la tragédie. Avoir choisi des danseurs, ces représentants idéaux de l’organisation dans le mouvement, ceux qui doivent à la fois suivre l’ordre ou une logique d’exécution, souvent dans la performance mais jamais sans en laisser voir les traces, c’est-à-dire finalement tout ce qui matérialise notre société, est un excellent moyen d’exprimer au mieux la perte des sens, le rejet, l’abandon total, la provocation corporelle, et même le besoin d’aller « toujours plus loin ». Au climax.
Jusqu’où existe-t-on dans l’abandon et quelle est la réalité de nos codes de vie et de leurs limites ? Quand ces dernières disparaissent, que reste-t-il ?
L’insoutenable, évidemment.
[mks_dropcap style= »square » size= »12″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]interdit aux moins de 16 ans[/mks_dropcap]
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Hereditary d’Ari Aster
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Hérédité (Hereditary) est sans conteste le film dont le succès a le plus surpris cette année, qu’on l’ait aimé ou non.
Ce premier film, détail insoupçonnable tellement le découpage est précis et semble ne rien laisser au hasard, est réalisé avec brio par le jeune Ari Aster, qui livre une vision cauchemardesque de la famille et du poids qu’elle peut représenter.
Le titre est parfaitement choisi, puisqu’il s’agit bien ici de transmission, loin de celle d’un savoir ou d’une technique, mais de secret de famille conservé et porté par tous sans le savoir.
Annie Graham (Toni Collette), mère de famille quarantenaire, vient de perdre sa maman, et choque un peu son entourage par le manque d’émotion qu’elle exprime à la vue de tous. Elle ne réussit pas à mentir et affirmer la peine que lui inflige la mort de sa mère. En fait, elle a l’air de ne pas savoir du tout quoi ressentir. Elle bataille contre sa colère, l’envie de ce manque qui n’apparaît pas, et cette culpabilité qui la tient de ne pas réussir à formuler ses sentiments.
La grande cabane au fond du jardin recueille régulièrement les instants nostalgiques de la plus jeune des enfants. Sa fille Charlie (Milly Shapiro), très jeune fille un peu particulière, au reproche cinglant et au questionnement égoïste « mais si mamie n’est plus là qui va s’occuper de moi ?« . Effectivement, mamie Ellen consacrait beaucoup de temps et d’énergie à sa petite fille au visage étrange, fascinée par la mort, et si détachée de ses parents.
Peter (Alex Wolff), son frère aîné, ado banal qui ne porte que peu d’attention à autre chose qu’à lui-même ou aux filles, va être à l’origine d’un grave chamboulement de la cellule familiale. Sans le vouloir, sans le savoir, il est sûrement l’élément le plus humain du clan Graham.
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Et le père… ? Steve (Gabriel Byrne), représentation parfaite du père absent, de l’homme qui laisse faire tout en donnant l’impression d’être concerné, cet homme plus âgé est bienveillant, mais ne sait pas vraiment comment tenir son rôle dans cette entité parentale qui part doucement en vrille.
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Annie (grandiose Toni Collette) est une maquettiste de renom qui travaille sur un projet conséquent, dans lequel elle retranscrit des scènes du quotidien comme elle a pu les traverser, avec une minutie impressionnante. Effrayante, même. En s’intéressant de plus près aux affaires de sa mère, elle comprend petit à petit quel était son véritable rôle, bien au-delà de la seule matriarche.
Il n’existe aucune manière de raconter ce film sans en dévoiler trop, tellement tout est si bien lié et inexorable. Toute la première partie du film est l’évocation du deuil et de la difficulté d’y faire face, tout en établissant clairement l’articulation familiale. On sent bien l’importance féminine dans cette mise en place, passant d’une relation mère-fille absolument catastrophique à une remise en question totale du sens même de la filiation.
Hé oui… la raison même de faire des enfants y est questionnée.
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Marquée du sceau de l’absurde, cette édition a mis en compétition de véritables ovnis et des films plus attendus, le tout risquant de diviser sérieusement les opinions. Prenons l’exemple du titre espéré cette année, Under The Silver Lake, puisqu’il s’agit du deuxième long-métrage de David Robert Mitchell, réalisateur du très malin It Follows.
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Aujourd’hui, le genre auquel il s’attaque avec sa moulinette référentielle est le film noir, celui qui a pris ses quartiers autour de personnages comme Marlowe et les femmes fatales, aux contours lynchiens extrêmement avoués, aux couleurs de cette culture pop des années 80 redigérée dont la jeunesse est friande…
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Ce film de 2h20 a réussi à diviser le public, deux continents se faisant face, chacun allant de son argument pour ou contre.
Personnellement, l’ennui m’a atteint très rapidement, et la souffrance auditive également. Je crois qu’il n’existe pas une minute de silence dans ce film… La construction scoubidouesque, l’arrogance du ton, la vision réductrice de la femme, la vanité absolue du propos et la grossièreté des critiques de la société, ont fini d’achever mon opinion.
Ce n’est pas parce qu’on se prend pour David Lynch qu’on en a le talent.
Bref, pour certains, ce titre aura été malgré tout la bonne surprise de ce NIFFF 2018 (il a d’ailleurs reçu le prix des lycéens), pour d’autres, une anecdote à laisser derrière soi.
L’été passé, les mélodies vacancières emportent les souvenirs dans leur petite boîte de métal qui sent la fleur d’oranger, les sons de la rentrée rappellent ceux de la réalité-béton, et pourtant… la valse fantastique reprend déjà à l’est, dans la trépignation d’une horde zombifiée qui ouvre les hostilités du Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg le 15 septembre.
John Landis est l’invité d’honneur de l’édition 2018 de ce FEFFS, avec dans son sillage une rétrospective qui fait du bien (The Blues Brothers, Série Noire pour une Nuit Blanche, Un Fauteuil pour Deux etc), et une compétition internationale dans laquelle on retrouve quelques titres présents au NIFFF de cette année. La plus attendue de toutes les séances ? Sûrement celle de The House That Jack Built, de Lars Von Trier (séance exceptionnelle du film le 20 septembre à 19h30 au Star st-Ex, alors qu’il ne sort que le 17 octobre en France), qui nous révèle un Matt Dillon dans la peau de Jack, tueur, sadique, bavard et vraiment loin d’être équipé pour la vie en société.
Que de bons moments fantastiques encore au programme !