C’est en plein conflits intérieurs que j’écris cette chronique plusieurs semaines après la sortie de In Conflict, quatrième album de Owen Pallett, les deux premiers étant sortis sous son nom geekofantasy Final Fantasy.
Les disques d’Owen Pallett ne sont jamais simples, car, à mon sens, il procède en musique comme on peut le découvrir en concert par ajouts de couches/boucles successives comme on le ferait dans la composition d’un millefeuilles, ou plutôt un peu comme un Nez le fait en parfumerie avec les essences. Chacune de ses couches/essences apportent une tonalité, une impression, une direction différentes, le tout étant plus que la somme de ses parties.
Il est impossible de décrire un parfum fabriqué par l’Homme en faisant la liste de ses composants parce qu’il n’y a pas un lien direct entre la chimie d’une odeur et sa perception. Ainsi, deux molécules chimiquement très proches peuvent générer des perceptions très différentes. Classiquement, un parfum se décrit par des notes olfactives qui se différencient en notes de tête (celles qui sont liées à la première impression olfactive et sont les plus volatiles), notes de cœur (celles qui constituent le cœur du parfum et demeurent pendant plusieurs heures), et enfin notes de fond (celles qui persistent longtemps après que le parfum a été vaporisé et peuvent rester des mois sur un vêtement).(source wikipedia)
Notes de tête
La voix. Celle de Owen Pallett n’est certes pas la plus exceptionnelle des voix que vous entendrez néanmoins son timbre et sa profondeur la rendent immédiatement reconnaissable. Après quelques secondes d’écoute toute la force et la fragilité du chanteur vous envahissent et vous vous sentez entrer en résonance avec son extrême sensibilité. Pourtant on l’oublie, quelques minutes après la fin de ses chansons la voix de Owen n’est plus qu’un souvenir, une impression. Impossible de la ressentir précisément, pas plus que de l’imiter, vous l’avez sur le bout de l’oreille mais elle vous échappe à chaque fois que vous êtes proche de l’attraper. Agaçant mais jouissif car cela rend chaque nouvelle écoute aussi savoureuse que les précédentes.
Les ostinatos. Identifiables également comme une des marques de fabrique du musicien canadien, les ostinatos sont des procédés de composition musicale consistant à répéter obstinément une formule rythmique, mélodique ou harmonique accompagnant de manière immuable les différents éléments thématiques durant tout le morceau (source wikipedia). Que ce soit au violon, au piano, au synthé ils sont toujours présents. Inconsciemment on les perçoit dès la première fois pourtant on ne les repère qu’après de nombreuses écoutes. On aime à les retrouver, pourtant, une fois le disque terminé, ils sont partis on ne peut ni les fredonner ni même bien se les remémorer. Obstinément volatils.
Notes de coeur
Les gimmicks. Comme dans ses 3 précédents albums ils sont évidemment présents. Ces quelques notes de musique, comme une phrase, qui vous impactent et vous imprègnent jusqu’à la moëlle. Ces gimmicks qui, après plusieurs écoutes, se fredonnent ou se sifflotent pendant des heures, votre esprit bondissant de l’un à l’autre comme s’il revisitait en mode shuffle l’album.
Les mélodies. Comme les gimmicks c’est le point d’ancrage des chansons de Owen Pallett. Lapidaire de génie il taille ses mélodies comme des pierres précieuses avec une méticulosité quasi obsessionnelle. Elles aussi s’imprègnent en profondeur et reviennent longtemps. Leurs richesses se dévoilant au fil des écoutes il n’est pourtant jamais aisé de se les approprier, hormis sur quelques titres instantanément tubesques (The Riverbed, Song For Five & Six). Il faudra des dizaines d’écoute pour les maîtriser. Délicieux.
Notes de fond
Owen compose des musiques exceptionnelles d’une richesse orchestrale incomparable. C’est un musicien hors du commun qui représente pour moi un pont entre musique classique et musique moderne, mélangeant avec une rare justesse éléments classiques et éléments électroniques, le résultat étant une oeuvre magistrale et unique qui ne peut se comparer à nulle autre.
Mais Monsieur Pallett n’est pas qu’un musicien génial, c’est aussi un parolier de talent.
Abandonnant dans ce quatrième album l’idée d’un concept-album et la tentation du tout autobiographique, il s’est ouvert aux expériences de ses proches, amis ou ennemis. Ces récits confrontés à son propre vécu et à ses thèmes chers (maladie mentale, sexe, drogues, identité, désir d’enfant) produisent dans In Conflict des textes puissants. Cette puissance n’est ni violente ni brutale, pas plus que spectaculaire. Elle réside plutôt dans les effets internes qu’elle produit. Et ces effets sont à mon sens les notes de fond.
Que reste-t-il de ce disque après des semaines d’écoutes intensives ? Ces notes puissantes qui rendent les disques du canadien si particuliers. Leur écoute n’est jamais si aisée qu’on pourrait l’imaginer. En effet les sentiments sont toujours multiples et souvent contradictoires, ambivalents plutôt.
L’angoisse, la joie, la peine, la rage, les rires, les pleurs, l’agacement, le désir, la peur, tout y est. Et tout y est mélangé, intriqué, enchevêtré. Les disques de Owen Pallett ne sont ni gais ni chaleureux, ils sont assez froids et rugueux. Ses arrangements luxuriants et ses orchestrations magistrales servent des paroles douce-amères, l’ensemble créant des impressions contraires et une tension permanente qui en laisseront beaucoup sur le bord du chemin. Pour les autres In Conflict apporte une nouvelle évolution dans le travail de ce monomaniaque de la perfection, même si l’on sent indubitablement qu’il ne se contentera jamais de ce qu’il considère comme si peu.
There’s a gap between what a man want and what a man will receive
Album sorti chez DominoRecords le 25/05/2014