[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]A[/mks_dropcap]près une tournée en France et un cinquième album sorti en 2015, Autour de Lucie décide de revisiter son répertoire en oubliant la batterie et en explorant des ambiances électro-planantes et parfois même synthétiquement groovy. Ils vous font partager leur voyage immobile parsemé de singles d’hier et de chansons du dernier Ta lumière particulière, qu’ils nommeront Soft Remix.
Pagan Poetry, c’est sous ce nom que Nathalie Reaux apparaît lorsqu’elle présente son grimoire poétique aux multiples couleurs musicales, The Unseen, précieux écrin de créations luxuriantes et singulières. Piano, cordes, percussions, instruments du monde se mêlent a la voix puissante et délicate de Nathalie, et donnent corps à des chansons pop orchestrales, denses, minimalistes.
Sur scène, la musique de Pagan Poetry prend des allures de conte, voire d’incantations, telles des passerelles entre le tangible et l’insaisissable, l’organique et le sacre. Une invitation à venir se ressourcer a l’orée des mondes.
Rencontre avec deux chanteuses que bien des choses rapprochent, au premier chef desquelles leur amour inconditionnel de la musique :
[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]V[/mks_dropcap]ents d’Orage : Quelle est votre actualité dans la perspective de ce concert commun à l’Espace Jemmapes début octobre ?
Valérie Leulliot : Une mini tournée où nous proposerons une relecture de titres de notre dernier album et des chansons plus anciennes. Nous nous sommes en fait auto remixés, baptisant le projet « Soft remix ». L’ambiance se trouvera assez planante, dans une approche plus électro, la batterie étant remplacée par des boîtes à rythme, avec la voix sans doute un peu plus en avant.
Une contrainte économique ou une volonté de s’inscrire dans l’air du temps où la musique se veut plus minimaliste ?
VL : Les deux. Il devient très difficile de tourner avec une équipe de 9 personnes comme ce fut notre cas il y a quelques années. Mais nous souhaitions aussi redécouvrir des morceaux en les travaillant différemment, ceux qui s’y prêtaient bien sûr car si j’aime tous mes bébés, certains textes furent écrit par une jeune fille. J’ai choisi ceux qui m’ont paru plus matures et porteur d’une composante plus philosophique.
Nathalie Réaux : Comme pour Valérie, notre projet se doit d’être polymorphe et pas seulement pour répondre à un cahier des charges. Au-delà des problématiques budgétaires ou d’agenda des uns et des autres, je prends beaucoup de plaisir à proposer mes chansons dans des versions différentes, par exemple acoustiques comme il y a quelques mois où seule ma voix étaient amplifiées au milieu des cordes et piano. Pour ce plateau avec ADL, il s’agira d’une version à deux, très électro, travaillée dans le cadre du Grand Zébrock qui m’a permis d’aller dans de nouvelles directions. Maintenir la musique dans des formules et des carcans la tue.
Beaucoup de musiciens participent maintenant à plusieurs projets…
NR : Même si j’en suis la principale créatrice, Pagan Poetry peut s’entendre comme une plateforme ouverte, une entité mouvante à laquelle plein de gens peuvent collaborer, jusque dans les visuels, les clips, et ce n’est pas antinomique de fidélité.
Selon vous, qu’est-ce qui a changé et provoqué cette crise de l’industrie musicale ?
VL : La télévision a profondément changé la donne. Au travers d’émissions qui fabriquent des artistes comme on vent des pots de yaourts. Ces jeunes gens ont souvent du talent mais combien s’en sortent réellement après qu’on leur ait promis monts et merveilles ? Sans parler du fait que les maisons de disques n’ont absolument pas vu venir les conséquences d’internet. Malgré tout elles ne s’en sortent pas si mal en ayant bien négocié avec les plateformes de diffusion. Les artistes eux y ont laissé beaucoup de plumes et sont aujourd’hui contraints de s’autonomiser.
NR : Je ne sais pas trop quoi penser de l’industrie musicale mais il n’en demeure pas moins qu’il devient difficile de savoir quel chemin emprunter. Certains labels travaillent encore dans le respect des projets sans chercher à les pervertir. Par ailleurs je m’interroge sur l’intérêt réel de l’ultra visibilité offerte par internet qui au final ne rapporte pas grand chose. La part reversée aux artistes reste dérisoire. Nous sommes cette génération qui essuie les plâtres mais il me semble possible d’œuvrer à des solutions. Plus de rareté peut être une voie à explorer, par exemple en ne proposant mon album que sur mon site ou ce genre de choses.
Il semble que cette crise redonne un rôle central à la scène et oblige à davantage de solidarité au sein d’un univers d’égos forts et très concurrentiels. Ne faudrait-il pas fédérer davantage les efforts, par l’action syndicale ou associative ?
VL : Ca existe déjà et des réflexions intéressantes émergent mais il faut du temps pour une mise en œuvre effectives de nouvelles approches. Je constate effectivement que les difficultés auxquelles tous sommes confrontés, humanise les relations. Il nous faut développer les actions de mutualisation. Ca a du bon.
NR : A mon petit niveau, j’essaie avec des artistes comme Katel, Sirius Plan et plein d’autres encore, de promouvoir cette valeur de solidarité. Nous nous soutenons beaucoup, participant aux projets et à la communication les uns des autres.
Si on ne remet pas en cause le système de rétribution du streaming, la création va nécessairement en pâtir.
VL : Les jeunes qui achètent encore des disques sautent sur ce qui est matraqué par le marketing. Ils ne vont que peu vers les artistes en développement parce que leur budget reste limité. Or ils se font de plus en plus rares, ceux qui acceptent de prendre le temps de développer un artiste, au risque de ne pas connaître un succès immédiat. Le marketing de rentabilité ignore l’attrait de la différence au profit de schémas construits sur les seules expériences passées, alors même qu’un artiste capte l’air du temps voire est en avance sur son temps.
NR : Sans compter qu’internet a inculqué dans l’inconscient collectif cette idée de gratuité de la musique. Une nécessité aujourd’hui de faire montre de pédagogie pour expliquer qu’il s’agit d’un vrai métier, loin des vieux clichés de rock stars bourrés d’argent, où le processus de création a un coût et pour lequel l’artiste doit gagner sa vie.
Cette question a fait l’objet de critiques virulentes par Robert Smith de The Cure, à l’encontre de Radiohead lors de la sortie de « In rainbow ». Il a dit haut et fort qu’il s’agissait d’une manœuvre savamment orchestrée pour promouvoir un album soi-disant gratuit, disponible uniquement en version numérique… mais qui sortait bel et bien dans les bacs trois semaines plus tard après un buzz mondial d’une ampleur inespérée. Smith expliquait seuls des artistes vendeurs de millions de disques pouvaient se le permettre mais que l’impact psychologique sur la perception du public était dramatique.
VL : Notre activité s’apparente à de l’artisanat. Et ne parlons pas du scandale des subventions attribuées par des comités décisionnels où siègent des représentants de maison de disques.
Malgré les obstacles, vous poursuivez courageusement votre parcours pour défendre un propos. Mais quel est-il au fond ?
NR : Il m’a toujours paru clair que la musique a un effet guérisseur. Je fais partie de ces hypersensibles qui ont un besoin réel de re-poétiser le monde. Je crois au pouvoir de la vibration, de l’invisible, sans faire un quelconque prosélytisme religieux. Au travers de sortes de contes qui, rappelons-le, ne s’adressent pas qu’aux enfants, j’ai envie de diffuser une émotion sensuelle et spirituelle, une autre façon de ressentir le monde. J’ai envie de diffuser du beau et du sacré, ayant l’intime conviction que nous avons grand besoin de nous reconnecter à notre capacité à nous émerveiller.
VL : Pour moi il ne s’agissait pas, au départ, d’un projet de vie ou de carrière. Je ne sais comment l’expliquer mais je pense mieux comprendre la musique que les gens. Depuis toute petite mon rapport à la musique se situe entre le pansement et l’inconscient. Mon travail s’apparente un peu à celui d’un documentaliste qui tenterait de traduire ce qu’il ressent dans ce qu’il vit, observe. Mes albums participent du journal intime au travers duquel je transmets des émotions.
Mais pour quelqu’un d’aussi pudique, n’y a-t-il pas antinomie ?
VL : Mes textes offrent souvent plusieurs niveaux de lecture. Sur certains titres, je parle à la première personne, sans second degré. Sur d’autres je joue, au sens étymologique du terme, en enfilant le costume d’un narrateur autre. Et même si un artiste reste un buvard, je sais que je dois avant tout m’écouter et ne pas le laisser embarquer par des discours que je ne sens pas. La technique et les grands discours mélomaniaques ne m’intéressent pas. L’émotion prime sur tout le reste.
Une marque de l’influence des mouvements punk et post punk ?
VL : Indéniablement puisque j’ai été profondément marquée par les groupes anglais des années 80. Et puis il y a eu, en dehors de la musique qui demeure le langage que je comprends le mieux, des artistes comme Ken Loach ou Woody Allen qui par le prisme de leurs productions, racontent toute une vie, la leur et celles de leurs personnages. Rien de plus passionnant que la vie humaine.
NR : Pour ma part, plus que le mouvement ou le genre musical, c’est davantage l’énergie qui se dégage de l’œuvre qui m’intéresse. C’est d’ailleurs valable pour la littérature, le cinéma etc. Il y a évidemment des courants qui me touchent particulièrement. Par exemple, j’adore la musique de Chopin qui m’émeut profondément. La musique minimaliste américaine également, très répétitive à laquelle appartient par exemple Philipp Glass ou Steve Reich. J’apprécie également la chanson française, même si j’ai l’impression d’être plus proche d’une certaine pop anglo-saxonne. Mon projet a la couleur qu’il a aujourd’hui grâce à quelques personnes qui m’ont initiée à divers courants musicaux, des passeurs qui ont su me transmettre leur amour pour des créations extrêmement variées. D’ailleurs, je serais curieuse de voir ce que le public écouterait si les médias assumaient réellement ce rôle de découvreur.
VL : Tout repose sur la possibilité d’accès à une autre création. Quand on entend des patrons de radios à très forte audience prétendre qu’il ne se passe rien en France ! Jacques Chancel affirmait qu’il ne faut pas donner au public ce qu’il aime mais ce qu’il pourrait aimer.
Etre une femme musicienne en 2016, induit une position, un rôle particulier ?
VL : A mes débuts, peu de filles participaient à des groupes de rock et moins encore au gouvernail d’un projet. On me résumait très souvent à cela, cette exception d’être une femme dans un univers très majoritairement masculin, au point de vouloir caricaturer la chose en me demandant de porter des mini jupes. Ceci étant j’en ai fait une force tout au long de notre parcours, portée aussi par cette chance d’être entourée d’hommes qui assumaient pleinement leur part énorme de féminité, et en particulier au travers de qualités d’écoute et de don de soi.
NR : Je n’ai pas de fierté particulière à être une femme dans ce métier. En 2016 nous sommes de plus en plus nombreuses à prendre part à des projets, y compris sur des tournées importantes. En revanche, de façon générale, je reste persuadée que si l’on parvenait à accepter et à équilibrer au mieux la part masculine et la part féminine qui cohabitent en chacun de nous, ces questionnements sur le rôle et la place de chacun s’apaiseraient probablement. Ce serait un grand pas vers une guérison profonde de bien des maux de notre société.