On se souvient de l’adaptation au cinéma de la Ligue des gentlemen extraordinaires. On s’en souvient mais on préfèrerait l’avoir oubliée, tant la bande dessinée d’Alan Moore, qui jetait une improbable équipée de freaks (Doc Jekyll, l’homme invisible, Allan Quatermain ou encore le capitaine Nemo) dans une aventure mystico-policière depuis un Londres steampunk en diable jusqu’aux confins du monde connu, s’affadissait lamentablement sur pellicule – c’était avant que les comics soient correctement adaptés au cinéma, y compris les plus exigeants comme Sin City et Watchmen.
Le même Londres entiché de spiritualisme et de modernité sert dans Penny Dreadful de cadre à une brochette non moins spectaculaire d’acolytes impromptus, allant du docteur Frankenstein à Dorian Gray. Comme certaines des meilleurs séries américaines récentes (qui a vraiment suivi l’histoire criminelle dans True Detective ?), la trame de fond n’a ici aucune espèce d’importance : ce qui compte, ce sont les personnages, et moins pour leurs caractéristiques extraordinaires (la série évite le piège du shifumi de pouvoirs à la Heroes) que pour les souffles d’humanité qui surgissent régulièrement en bouffées oppressantes.
Sertie dans une photo de haute volée mais jamais clinquante, Eva Green est sublime en medium bipolaire, et, si l’on apprécierait un jour de la voir jouer autre chose qu’une séductrice vénéneuse, il faut bien admettre qu’elle est diablement équipée pour. Timothy Dalton fait le job en vieil explorateur égocentrique obsédé par la perte de sa fille, Josh Hartnett s’avère étonnamment juste et attachant en cowboy américain paumé, et le reste du casting est à l’avenant – tout juste pourrait-on regretter une créature de Frankenstein qui surjoue franchement, jusqu’à rappeler Didier Bourdon dans le rap vampire des Inconnus. Mais à moins d’être complètement allergique à l’Angleterre fin de siècle, aux tables qui tournent ou aux yeux tranchants et glauques d’Eva Green, les huit épisodes de la première saison sont donc hautement recommandables, tant la série monte en puissance tout en restant assez limpide dans son déroulement (peu de ces flashbacks dont d’autres séries abusent tant), et presque old-school.
« … pourrait-on regretter une créature de Frankenstein qui surjoue franchement, jusqu’à rappeler Didier Bourdon dans le rap vampire des Inconnus… »
Si on avait ne serait-ce qu’un acteur, un seul acteur en France qui soit capable de jouer aussi bien que Rory Keanner, de jouer un monstre avec autant d’émotion et de lyrisme, ce serait formidable.
Disons alors que son rôle manque d’abord cruellement de nuance – ce qui, d’ailleurs, est en partie corrigé dans les saisons suivantes, où il gagne en finesse ce qu’il perd en grandiloquence.