Porno Teo Kolossal vous agrippe à la seconde où ce double album démarre. Il impressionne et vous saute à la gorge. Tout est en place dès les premiers instants pour vous pulvériser la tête. Mais n’attendez pas de délires industriels déjà entendus mille fois, ni même une rengaine incessante sans la moindre finesse.
Les batteries y sont compressées et distordues jusqu’à la nausée, mais pourtant, on y perçoit vite un jeu varié et complexe. Tout comme les guitares vrombissantes, d’où émanent des sons gargantuesques qui n’ont rien à envier au métal, entre le trash et le black métal, et là encore, ce n’est pas si simple car elles se servent de ce prétexte pour nager dans les eaux tourbillonnantes d’une scène shoegaze et grunge à la fois. Un peu de Spacemen 3 par ci, pourquoi pas du Sonic Youth par là lors des délires soniques, mais voilà, tout cela ne serait que de la redite si les voix ne se paraient pas d’échos à outrance et de réverb’ de fond de puits.
L’agression sonore ne fait pas tout car on aurait vite fait le tour d’un disque d’une complexité rare et finalement d’une finesse exemplaire, car dès le second morceau, Stenza 306, les voix sont presque susurrées et les guitares se font éthérées.
La force de cette formation italienne est d’avoir eu le courage de garder sa langue maternelle comme fil conducteur, et les textes, qui me sont, je l’avoue, incompréhensibles, me parlent étrangement. Certes, les voix sont toujours malmenées, triturées, saturées, mais cette fois, c’est le post-rock que l’on effleure, car ici, on effleure seulement, on ne livre pas de pâle copie.
Le style de Porno Teo Kolossal est particulièrement singulier. Vous dire qu’ils révolutionnent la musique serait mentir et les influences sont nombreuses, mais jamais elles ne se font envahissantes et ne prennent le pas sur une musique qui n’appartient qu’à eux. Et si je vous parle des Cure ? Vous allez vous posez la question, et pourtant, la basse est bien passée par là, mais derrière des guitares ultra virulentes, bouffies de larsens. Montez à nouveau le son, et vous allez transpirer sans même bouger de votre siège, c’est énorme, et ça donnerait des complexes aux premiers groupes de post-rock que je ne nommerais pas par pudeur ou pour ne pas vexer. Mais tout de même, Glasgow a du mouron à se faire…
Les dix minutes de Stenza 306 remettent les pendules à l’heure en passant de l’heure d’été à l’heure de l’assaut. Et le plus terrible dans ce disque, c’est le peu de répit que le groupe semble vouloir laisser à ceux qui ont posé les oreilles sur ce double album gargantuesque et tourbillonnant, car tout de suite après, une longue improvisation sonore, sans forme, sans borne se noue devant vous avec un spoken words toujours aussi saturé qui vous happe, malgré cette fichue barrière de la langue, mais après tout, nombreux sont ceux qui ont vénéré Sigur Ros sans en comprendre un traître mot, alors pourquoi ne pas se plonger dans l’italien les yeux fermés ?
Bam Balam Records nous donne l’opportunité d’écouter enfin autre chose que la variété italienne que l’on nous sert depuis tant d’années, cette fois, c’est la réalité du pays qui nous fait voyager. Le plus spectaculaire dans cet album c’est que rien ne reste jamais figé.
Certes, chaque morceau tourne autour des dix minutes et se fait mouvance en permanence, le point d’arrivée n’est jamais acquis, le point d’ancrage difficile à trouver, une fois de plus repoussant les limites d’un post rock noise inédit, un peu comme si Slint se prenait d’amitié pour certains titres de Nine inch Nails, en lorgnant sur les dernière production psychédélique d’Oneida ou les longues épopées sonores de Spacemen 3 en live.
Les références se bousculent au portillon, mais jamais, non, jamais, elles ne prennent le pas sur la musique, sans cesse singulière, tout au long du premier disque. La Colonna Sonora Deli et A Moderna pourrait presque sonner punk-rock si le spoken word ne venait pas briser la structure, bousculant ainsi l’auditeur de façon fantastique, car c’est aussi cela la musique, se faire bousculer, se faire chahuter, sans quoi, autant écouter une quelconque variété qui nous raconte la même chose que le voisin, mais même lorsque la structure semble plus cadrée, c’est les débordements, rien ne tient en place, et tout part en lambeaux. Et rien, pas un moment de silence pour respirer, non, c’est d’une intensité incroyable, vous étouffant presque sous le plaisir d’être assailli.
Certes, la fin du premier disque semble s’apaiser, mais ceci n’est que de l’apparence, du décorum pour berner celui qui a eu l’idée lumineuse de poser le disque sur la platine. Très vite, votre fauteuil vous enserre et vous emballe dans une montagne russe infernale où l’on monte aussi vite que l’on descend dans des déluges sonores dignes des Godspeed You Black Emperor sans les interminables introductions.
Ici, les morceaux sont longs, certes, mais font dans la paradoxale concision. Et la conclusion ne donne pas plus de repos. Le rythme ralentit légèrement, mais rien n’y fait, les guitares sont toujours aussi acérées et la production tout aussi phagocytaire d’agression. Là encore, on frôle le grunge, l’indus, le post-rock, mais on écoute avant tout Porno Teo Kolossal.
Puis vient la pièce maîtresse. Le second disque, Deer. Comme pour s’excuser, le groupe se tait, ou presque. 50 minutes de notes éthérées, de sons étirés, de matière sonore comme jouée dans un hall d’exposition de 5000 m² à la réverbération incontrôlable. Plus de structure, plus de rythmique, plus d’agression ou presque.
Des silences, des toms, des cymbales qui zèbrent l’ensemble, des notes jouées, d’autres oubliées, sur un spoken words murmurés et lui aussi lointain. Fascinant de bout en bout, le morceau sonne comme une rencontre improbable entre Richard Youngs et Jandek jouée par Sonic Youth et Cocteau Twins à la fois.
Une ambiance inédite qui s’étale sur près d’une heure et qui vous embarque dans un voyage halluciné où les repères s’étouffent sur la matière sonore. Puis peu à peu tout monte, comme un escalier menant au chaos, le bruit blanc s’installe lentement sous les notes qui commencent à tournoyer en boucle sans cesse et tout se termine dans un bourdonnement sonore et agressif d’une intensité à faire pâlir nombreux groupes de musiques dites bruyantes.
Le disque se termine dans une longue épopée de bruit blanc comme perdu en lui-même et ne sachant plus où donner du son. Et vous, dans tout cela me direz-vous ? Vous ne ressortez pas indemne d’un tel voyage, les sons vous auront trop bousculés et si vous vous laissez embarquer par cet ensemble perturbant mais fascinant, vous n’aurez qu’une envie, appuyez sur la touche Replay.
Tannoiser est disponible depuis fin 2015 chez Bam Balam Records.