La discographie de Rykarda Parasol rassemble plusieurs chapitres et constitue un livre dont les étapes successives ont amorties les douleurs du passé. Depuis plus d’une décennie, son itinéraire s’est métamorphosé au travers d’une musique qui aurait pu largement coïncider avec l’esthétique cinématographique de David Lynch, pour aboutir finalement à une délivrance qui n’a point perdu de sa superbe. Son dernier album Tuesday Morning plonge au coeur des éléments là où l’esprit interroge le monde, où le coeur dans le secret de l’intime, révèle des confessions dont la visibilité ne recouvre pas seulement les étendues, mais plutôt l’épaisseur de l’âme.
Qu’est-ce qui t’a donné envie d’écrire de nouvelles chansons depuis ton précédent album il y a 8 ans?
Lorsque je vivais à Paris, j’avais décidé d’essayer de collaborer avec des musiciens afin d’élargir mon univers, d’évoluer, de créer des liens, et de stimuler de nouvelles idées afin de ne pas rester coincée dans la douleur et la dépression. Naturellement, j’avais envie d’écrire des chansons et d’exprimer certaines de mes idées. Cela fait un moment que je n’ai pas joué sur scène avec un groupe, j’ai vraiment hâte.
Comment la musique s’est manifestée dans ta vie, durant ton enfance ?
J’ai eu une enfance assez difficile et j’ai été attirée par la musique parce que je savais que j’avais besoin de résoudre des choses qui se trouvaient être au centre de ma vie. Et c’était un espace où je pouvais le faire. C’est une progression lente, à mesure que je me sentais un peu plus consciente de moi-même, et je pense que c’est autour de mon troisième album que le plus grand changement s’est produit, où j’ai en quelque sorte, comme vous pouvez le voir visuellement sur les pochettes d’album, rompu avec cette obscurité intérieure. Je suis vraiment sensible aux peintures préraphaélites et au symbolisme floral. Je m’intéresse à la signification des fleurs, à la flore dans le milieu naturel.
C’est la première fois où tu apparais sur la couverture d’une pochette, est-ce le symbole d’un parcours personnel victorieux ?
Je pense qu’au départ, surtout en tant qu’artiste féminine, je ne voulais pas que l’on parle de mon visage. Je voulais pouvoir dissocier ma personnalité de la musique. Et je cherchais cette crédibilité sans que ce soit lié au fait d’être une artiste solo. Si je pouvais revenir en arrière, j’aurais choisi un autre nom d’artiste.
The Color of Destruction sonne comme l’écho de tragédies personnelles, as tu réussi à évacuer ces blessures ? Penses-tu qu’il s’agisse d’une thérapie ? ?
Je pensais vraiment que c’était mon dernier album. Je voulais tout donner jusqu’à en saigner, c’était une sorte de mission suicide. Il s’agissait en quelque sorte de chansons sur des conflits amoureux tragiques en parallèles à mes expériences. Et malheureusement, ce thème s’est ancré dans l’industrie musicale, j’ai alors préféré poursuivre dans ma direction afin de ne pas subir cette pression et cette réputation d’artiste tourmentée. S’en est suivie une longue période de réflexion.
Ta musique ressemble à une sphère à l’abri du monde. Est-ce précisément le but de tes paroles et de ta musique ? ?
Tu veux dire si je suis enfermée dans une bouteille ? Mon père pourrait dire que c’est le cas. (rires). Tout est dans un environnement très intime. Je pense qu’il y a toujours eu cet équilibre entre la volonté d’exprimer mes propres pensées et la compréhension de moi-même. Mais bien sûr, je travaille en étroite collaboration avec d’autres musiciens. Et lorsque je travaille avec eux, je veux qu’ils se connectent à la musique et qu’ils aient un attachement personnel. Idéalement, savoir qu’il y a des thèmes universels auxquels d’autres personnes peuvent s’identifier. Et, bien sûr, je ne peux pas contrôler la façon dont les autres pensent ou se connectent, ni s’ils le feront. Chacun a sa propre sensibilité esthétique.
Weeding song, extrait de ton premier album se décline en deux versions. Est-ce la chanson qui représente le mieux ton état d’esprit à ce moment-là ?
Lorsque nous étions en répétition récemment, j’ai donné à tout les musiciens la liste des chansons et ils ont tous dit « Weeding time » du coup, ce titre est dans la setlist. C’est une chanson importante pour moi parce que le thème était d’apprendre à accepter les situations difficiles. Vous n’êtes pas obligé d’accepter une mauvaise nouvelle mais si vous pouvez réussir à en sortir et à survivre, vous réalisez alors qu’il est possible de passer à autre chose, c’est ce que j’avais vécu en écrivant cette chanson, je ne voyais pas les choses aussi positivement qu’aujourd’hui. Il y a des moments pour être seule dans un endroit où on ne connait personne, c’est une expérience où j’en sors grandie. C’est une manière d’apprendre à persévérer et de reprendre des forces. C’est avec le quatrième album que j’ai vraiment fait une thérapie. Ma vie à Paris a contribué aussi au fait de rencontrer des gens talentueux comme Marc Ottavi et Mark Pistel. Nous avons écrit ensemble trois titres, c’était vraiment passionnant.
Pour en revenir à votre nouvel enregistrement, cet album semble conclure la trilogie des trois précédents. Comment voyez-vous votre carrière musicale ? Ton dernier disque aurait mérité d’être signé sur un label !
J’ai contacté au moins une cinquantaine de labels, j’ai eu quelques réponses, mais je ne voulais pas qu’on m’attribue d’étiquettes aléatoires, je n’attendais pas grand chose mis à part le fait de produire ce disque, de le construire tel quel, de la pochette au livret intérieur et des écrits consécutifs à la sortie du disque. Dans la multitude d’artistes qui publient des œuvres, ce disque est peut-être en dehors des circuits de distribution mais le soutien de mes musiciens a transformé l’ensemble des compositions. Il y aura quelques disquaires indépendants qui proposeront Tuesday Morning. L’un des principaux obstacles pour les artistes Américains, en particulier sur la côte Ouest, est de maintenir une tournée. En Europe, les villes sont plus proches et tu n’as pas nécessairement 12 heures de route à faire entre deux villes. L’hébergement, l’installation, tout ça est très physique, l’impression de déménager à chaque date. Ce n’est pas évident de maintenir un équilibre, quand vous manquez aussi de sommeil. Si vous êtes un artiste solo, ce n’est pas facile pour le groupe et l’équipe technique. Et quand tu dépends d’un label, ils n’ont aucune idée de la réalité sur le terrain.
Pouvez-vous nous expliquer comment la ville de Paris est devenue pour vous une résidence secondaire ?
J’avais un manager aux Etats-Unis qui hélas, est décédé, mon activité musicale en pause, j’ai voulu, au travers de Paris avoir accès à l’histoire, la littérature, le stylisme dans sa forme graphique, les opportunités d’avoir un cercle d’amis. Et puis c’est une ville poétique que j’ai exploré et qui m’a profondément inspiré. Au point que la reprise Ne Cherche pas composée par Jacques Dutronc et Zouzou m’a de suite parlé, cette émotion dans la voix. Je n’avais pas au départ saisi le texte mais cette collaboration entre deux artistes est un parallèle avec la volonté de travailler sur mon nouvel album. Je vais te faire une confidence cet album est important, il y a une part d’adolescence qui est restée en moi.
En plus de vos activités musicales, vous pratiquez l’illustration et la peinture depuis plusieurs années maintenant. Envisagez-vous de nouvelles expositions ?
Quand j’étais enfant, je n’avais pas de talent inné pour la musique, mais le dessin c’était mon truc. Je me suis lancé récemment dans un projet de broderie qui s’est transformé en un livre de poèmes illustrés de dessins. Concernant la musique, cela s’est fait de manière autodidacte, dès que j’avais du temps de libre. Pour l’album en version physique, il y aura justement des collages et des dessins et les textes. J’aime l’idée que l’album puisse être écouté avec les textes sous les yeux, que vous soyez assis dans un sofa, le disque n’a pas de prétention commerciale, c’est un livret de 10 chansons. La sortie de l’album s’est d’abord fait via Bandcamp en digital. Les précommandes ont permis de matérialiser le disque, en édition limitée ! Je suis tellement reconnaissante d’être entourée de musiciens, de personnes qui m’ont soutenues.
Rykarda Parasol – Tuesday Morning
Autoproduction – 24 octobre 2023