Rhhhaaaaaaaaaa mais oui … Mais ouiiiiiiiiiiiii. Enfin !! Sept ans. il m’aura fallu attendre sept ans pour que l’intérêt que je portais à Ben Chasny revienne un tant soit peu et douze pour qu’il me passionne à nouveau. Parce que bon, soyons honnête, entre les concepts crypto-ésotérico-fumeux à la Bowie/Eno d’Hexadic et la baisse de régime qui s’en est suivi derrière, The Veiled Sea notamment, l’Américain n’avait rien produit d’exceptionnel depuis l’incandescent et Crazy Horsien, Ascent. Certes, Burning The Threshold avait relevé la barre de façon significative mais cela ne suffisait pas à relancer une machine qui commençait sérieusement à se gripper.
Heureusement, l’homme a de la ressource et propose, avec Time Is Glass, l’un de ses plus beaux disques depuis fort longtemps. Un album à l’image de son visuel, doux, apaisé, nostalgique voire mélancolique. Le disque d’un musicien qui semble faire un point sur sa carrière, la revisitant tout en prenant de la hauteur, une sorte d’exercice d’expérience de mort imminente relatée par un musicien en totale lévitation . Pour cela, il utilisera comme fil conducteur l’acoustique qui sera le principal acteur de la première face (avec une plage ambient du meilleur effet), puis, sur la seconde, Chasny passera à l’électrique et au psyché. Vu comme ça, ça ne semble pas très engageant : chacun pourrait se dire que ça frise le disque pépère, sans véritable intérêt.
Bien sûr.
Mais, ici, c’est la vision particulière de Chasny qui rend l’exercice aussi émouvant qu’addictif. Time Is Glass ressemble à s’y méprendre à un rest of ou plutôt, si j’osais, à un rest in peace. Un disque dans lequel ne subsiste presque plus de tension. Il y a bien ici et là quelques traces de ce qui traversait l’œuvre de Chasny à ses débuts (les décharges électriques de Spinning A River, l’ambient Hephaestus ou l’hypnotique Summer’s Last Rays) mais l’ensemble est irrigué par une mélancolie à laquelle on ne s’attendait pas vraiment. Celle héritée du Nick Drake de Pink Moon, figure tutélaire qui traverse toute la première face (l’instrumental Pilar ou le superbe Theophany Song) et revisité par les fidèles Robbie Basho ou John Fahey. Elle vous serre les tripes dès The Mission, vous laisse en plan pour Hephaestus pour mieux vous raccrocher ensuite et ne plus vous lâcher jusqu’au très beau New Year’s Song, douceur baignée d’un halo bienveillant.
Bon, il y a tout de même la parenthèse My Familiar/Spinning A River/Summer’s Last Rays, qui voit Chasny revenir à l’identité première de Six Organs, à savoir le Free Folk, le psychédélisme et l’american primitivism. Mais l’ensemble, s’il n’est pas dénué d’une certaine tension (due aux différentes décharges électriques plus ou moins violentes qui parcourt chacun des morceaux), n’a plus la folie, l’urgence, qui caractérisait ses premières œuvres.
En fait, Time Is Glass c’est un peu cela, l’œuvre de quelqu’un revenu des gouffres de la folie, qui contemple son parcours avec une certaine sagesse tout en sachant qu’il ne faut pas grand chose pour y replonger. Il y a un certain détachement, qui peut rebuter à la première écoute, mais aussi, et surtout, une beauté qui accroche l’oreille aussitôt. Un album au final très singulier, voire ambivalent, demandant un certain investissement, luxe que peu de disques, actuellement, peuvent se permettre. Un grand disque, en somme.
Six Organs Of Admittance . Time Is Glass
Drag City – 26 avril 2024