Et si, pour une fois, je faisais un live report de façon sérieuse, sans dire de conneries impliquant ma cheffe dans mon introduction. Et si je commençais ce compte-rendu par une formule incongrue, surannée, mais… tellement vraie : il était une fois. Car, avouons-le, l’histoire que je m’en vais vous narrer tient presque du conte de fées, tordu certes car incluant des éléments douloureux dans sa genèse, mais…
Alors : il était une fois, à la fin des années 80, un journaliste/musicien de grand talent écrivant pour un bimensuel également de grand talent, à cette époque. Ce journaliste, admirateur d’une certaine forme de pop anglaise, incluant Lee Maver, Michael Head, Morrissey, Trash Can Sinatras, Prefab Sprout et autres artistes dont le talent n’est plus à démontrer, avait pour passion, ainsi que ses camarades d’écriture, un groupe Australien, The Apartments.
En 1993, lors de la sortie de Drift, l’occasion se présenta de mettre le groupe en valeur en le collant album du mois, si mes souvenirs sont justes, tant la beauté anthracite de cet album vénéneux sautait littéralement aux oreilles. Le journal, et plus particulièrement le journaliste en question, devint un soutien indéfectible à Peter Milton Walsh et mis également en avant la réédition en cd de The Evening Visits en 1994, premier album et trésor passé quelque peu inaperçu en 1985 mais devenu culte entre temps.
Il était une fois un jeune homme, passionné de musique pas comme les autres, résidant sur Saint Lô. Ce jeune homme, parce qu’il devait probablement trouver la programmation musicale locale de piètre qualité, monte en 2012 une association, Un Soir Dans La Manche, dans le but de créer des soirées concerts dans des lieux différents du département afin de mettre en lumière le patrimoine local (Apartments au théâtre, Matt Elliott au pôle hippique, j’en passe et des meilleurs). Bien évidemment, les goûts musicaux du jeune homme sont pointus et éclectiques et la programmation s’adresse à tous les Manchots, quelque soit leur âge, dotés d’une paire de conduits auditifs en parfait état de marche. Entre temps, le jeune homme est contraint d’abandonner son poste de président de l’association pour celui d’adjoint à la culture de Saint Lô.
Il était enfin, une dernière fois, un garçon féru de musique, pointue et éclectique, producteur et concepteur d’un label véritablement indépendant, ne misant que sur la qualité et la participation de ses fans. Ce garçon moderne, avec le support du journaliste/musicien évoqué en premier lieu, est parvenu à faire sortir d’un silence de quinze ans une « Star » underground, Peter Wlash donc, en lui faisant enregistrer un nouvel album sorti en début d’année chez Microcultures grâce à la participation de 454 Microcultivateurs.
Le premier homme évoqué, c’est Emmanuel Tellier, journaliste à Télérama et dictateur en chef chez 49 Swimming Pools. L’homme connaît donc Peter Walsh de longue date (depuis la sortie de The Evening Visits, en 1985) et l’a toujours soutenu, même pendant son long silence. Il est également l’instigateur de son retour sur scène en France en 2012 (et de quasiment toutes les tournées sur le sol français). Le second, c’est Gilles Meursault et le troisième, Jean-Charles Dufeu. Tout se passe lorsque Jean-Charles met en route la campagne de crowdfunding via Microcultures pour le No Song,No Spell, No Madrigal des Apartments début décembre 2014.
Gilles Meursault, en bon fan, participe au projet et contacte Jean-Charles pour savoir si, éventuellement, sur un malentendu, Peter Walsh avait l’intention de faire une tournée en France et que, si jamais c’était le cas, il serait plutôt intéressé pour le faire venir à St Lô. L’homme le met en lien avec Tellier qui, justement, ô grand hasard, était en train de mettre sur pied une nouvelle tournée des australiens pour la rentrée. Téléphone, mails, blablabla, le feeling entre les deux hommes passe particulièrement bien et voilà que la machine se met en branle.
Au cours d’une énième discussion, l’idée d’une résidence de quelques jours au théâtre de St Lô pour débuter la tournée pointe le bout de son nez. Comme pour le reste, grâce à l’appui et la pugnacité de Tellier (qui porte toute l’organisation de la tournée sur ses épaules faut-il le rappeler), à l’association Un Soir Dans La Manche, ainsi que le nouveau poste de Meursault à la mairie, tout s’enchaîne à merveille : une résidence de trois jours est donc organisée. Grâce à une autre association portée sur la cinéphilie, L’écume Des Films, le jeudi sera consacré à la diffusion du magnifique The Apartments de Billy Wilder. Le vendredi verra les groupes (celui de Walsh et Tellier) investir le musée des beaux-arts pour un set acoustique et enfin le samedi, concerts au théâtre.
Tous les psychorigides ou personnes aux traits paranos vous diront que rien n’est du au hasard, que The Apartments était voué à jouer son nouvel album en France en commençant par la ville de St Lô et ce en vous démontrant par A+B que le groupe comme la ville ont du apprendre à se relever et faire face au monde après un traumatisme particulièrement éprouvant.
D’autres comme moi, naïfs comme pas deux, se diront que le hasard fait bien les choses.
D’autres, comme Peter Walsh, diront que commencer la tournée par St Lô, jouer les morceaux pour la première fois ici, est un moment particulièrement fort et émouvant. D’autres, comme Jean-Charles Dufeu, Emmanuel Tellier et notamment Gilles Meursault seront, à raison, très fiers d’avoir pu faire venir The Apartments à St Lô. Surtout pour leur première date après quasiment vingt ans de silence discographique (Apart et Fête Foraine ne sont sortis qu’en édition limitée et le dernier album à avoir bénéficié d’une large sortie, A Life Full Of Farewells, date de 1995)
Et d’autres enfin, comme nous tous, spectateurs privilégiés de ce superbe concert, ont été particulièrement heureux et chanceux d’avoir pu partager cet instant magnifique en compagnie d’un homme d’une élégance rare, particulièrement habité par sa musique et dont les plaies, comme nous avons pu le constater, ne sont pas complètement refermées.
Mais pour ceci, je laisserai mon collègue Ivlo Dark, vous en parler de fort belle manière ci-dessous avec ce compte-rendu du concert de Rennes à l’Ubu.
Jism.
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Un tourbillon où se mêlent raffinement et splendeur
De Saint Lô à Rennes il y a 160 kilomètres soit un peu moins de 2 heures de goudron sans les plumes.
J’étais forcément alléché par les premières impressions de mes chanceux camarades qui avaient goutés aux premières dates de la tournée. Direction donc la salle de l’UBU, la salle rennaise permettant une proximité avec les deux groupes présentés en cette soirée de début d’automne. Si à l’extérieur les étourneaux se chargent du vacarme, à l’intérieur c’est Gilles Le Guen qui accueille les premiers convives (il assurera également les interludes). Le Dj local ose même le clin d’œil au Moz, la célébrissime diva végétarienne jouant au même moment dans une célèbre salle parisienne. Le mix est orienté principalement sur les versants attractifs et pointus de la New-Wave, ce qui forcément ne sera pas pour me déplaire.
La première partie scénique est délivrée par les 49 Swimming Pools dont la mission sera de chauffer l’assistance. Un public finalement plus attentif qu’autre chose. Le style du groupe est soigné, une pop qui peu à peu prend ses aises derrière des arrangements bien maitrisés. Emmanuel Tellier ne perd pas l’occasion de tacler ironiquement un éclairage bouillant. La salle se déride un peu et la sudation communicative prend le dessus. Je retiendrai la folk aérée de The Bright Light, les mouvements affinés de Mary Queen of Scots et surtout la rythmique ensoleillée de Diego – Half Man Full Horse. On peut alors s’éponger et se préparer pour la suite tant attendue.
A force de traîner depuis des lustres dans les lieux de perditions où les dévots invoquent les dieux du rock, les expériences se sont accumulées avec leurs lots de prestations froides, tièdes ou torrides. En l’occurrence le soleil de Brisbane aura laissé une marque indélébile et question Fahrenheit le curseur vise les sommets. Au moment même où je vous narre cet instant rare et précieux, je ne peux avoir de recul suffisant mais je sais que dans plusieurs années l’instant reviendra avec nostalgie à mon souvenir.
Il y a déjà cette entrée magistrale sur le flow progressif de No Song, No Spell, No Madrigal (floqué NS, SP, NM sur la setlist officielle) …
S’il est fréquent de rencontrer des artistes habités par leur musique, le veilleur du soir australien et sa bande font partie de ceux qui atteignent un niveau de contamination avec lequel on ne peut pas lutter. D’ailleurs, aucune envie de ne pas succomber. On peut toucher cette grâce absolue dans cette manière de délivrer le plus intime. Une générosité simple et sincère. Alors que le groupe entame le titre, Peter Walsh tout de noir vêtu et sunglasses sur le bec joue avec le câble du micro. Il prend le pouvoir, dresse son bras de plus en plus haut. C’est tout bonnement sensationnel. Le premier acte de ce show intime permettra de mettre en lumière le magnifique album sorti il y a quelques mois dans les bonnes échoppes. La qualité des orfèvres traverse l’espace sur Looking Another Time et la montée en puissance mise en valeur par un timbre de voix si charismatique. Tout y est, de la trompette soyeuse au clavier élégant (c’est le cumulard Fabien Tellier qui y excelle)… Natasha Penot, seule fille à bord du vaisseau peut alors déverser son chant ravissant sous nos yeux amoureux et nos oreilles comblées. Le mariage exquis de deux résonances pour un Black Ribbons de toute beauté !
Le quatrième titre va alors m’achever : Twenty One. Un songwriting qui ne trouve aucun qualificatif assez digne pour que je puisse me permettre de décrire l’instant. Je suis ailleurs, totalement hypnotisé par les arpèges de cette guitare sèche qui transpercent mon petit cœur d’hypersensible quadragénaire. Je souffle, me pince les lèvres pour ne pas pleurer à l’écoute de ce « trop-plein » d’émotions. Je ne peux totalement m’abandonner dans les neiges de Broadway mais comme un effet à retardement c’est en rejoignant mes pénates que le mouchoir sortira finalement de la poche. Satanée buée ! Un titre immense magnifié dans cette évocation du vivant et dont le final saccadé se hissera au-delà des maux (et des mots) …
The Apartments déploie son splendide récital et même September Skies, le bien nommé, arrivera à transcender une version studio que j’avais honteusement considéré comme le seul léger bémol à un opus par ailleurs de très haute tenue.
Peter Walsh questionne le public pour savoir si certains dans la salle se trouvaient déjà en ces lieux il y a 20 ans. Aux quelques réponses affirmatives, le chanteur un brin espiègle répondra par un «je me souviens très bien de vous » (traduction de l’auteur)
La première partie peut alors s’achever dans l’excellence du très prenant Swap Places.
Passage au second chapitre : mise en lumière de titres plus anciens avec la même qualité érectile d’exécution (Things You’ll keep)… L’humeur est plus enjouée. Ambiance propice à quelques sourires ravis chez mes voisins dès l’amorce des morceaux. Ce menu « best of » se poursuit avec All You Wanted et son refrain interactif. Pour ma part, je suis comblé dès l’entame du sémillant On Every Corner. Retour aux fondamentaux inspirés sur les notes d’Everything is Given to Be Taken Away. On est dans la même veine brillante que les huit premiers titres. Sur les délices de Mr Somewhere, le dandy nasillard nous régale de sa mélopée. The Goodbye Train pour l’estocade !
Ovation méritée, deux rappels et le désir de prolonger la nuit. Reprendre la route, Drift dans le lecteur. Le présent, le passé qui se mélangent dans ce tourbillon où se mêlent raffinement et splendeur.
Ivlo.
Un grand merci à Gilles Meursault pour sa patience et les éléments qu’il m’a gentiment apportés pour la rédaction de ce compte-rendu.
Merci pour ce très bon article, ça me donne envie de ré-écouter le dernier album de Peter. J’ai adoré la 2e partie du concert à Rennes, c’était très fort.