Mercredi 17 décembre, 18 h 02 :
– Jism ??
– ouais , qui me parle ???
– c’est moi, ta cheffe, ta déité que tu dois adorer sans réserve .
– ahh ?
– Ce soir je te confie une mission : faire un compte-rendu du concert de Piers Faccini et Thomas Belhom.
– euhhhhh
– C’est ça où je te colle la chronique du fils Chirac, le gadjo gagnant du télé-crochet sur France 1.
– ok, c’est où ?
– Allonnes, l’Excelsior, à 20h 40.
– Ok , c’est où ?
– démerde toi.
Comme vous l’avez compris, c’est donc avec un choix relatif que je m’en vais au concert à l’Excelsior. Après avoir parcouru 800 bornes, affronté une pluie diluvienne, six tornades, traversé trois départements, fait trois fois le tour de la ville pour trouver la salle, j’arrive avec une bonne demi-heure d’avance sur l’horaire prévu (ma déité adorée m’a dit que le concert affichait complet et qu’il valait mieux arriver en avance) et finit par trouver la salle de concert. Sur les quais. Le lieu ne s’appelant pas la péniche pour rien. Je descends donc dedans, précédé par deux jeunes (probablement les seuls présents mais bon…) et suivi par un charmant trentenaire (et son pote) qui me dit bonsoir et s’avérera être Piers Faccini. La salle , tout en long, dispose d’une petite scène et d’une bonne quarantaine de chaises de jardin rouillées (non j’déconne) réparties équitablement sur les deux côtés de la péniche, derrière se trouve la sono et encore derrière, le bar, lieu de toutes les perditions mais je m’égare… Peu de spectateurs donc (une soixantaine tout au plus), ambiance conviviale (les spectateurs sont reçus par ce qui semble être une des gentilles organisatrices du concert), reste plus qu’à attendre sagement les concerts.
En attendant que tous les spectateurs s’installent (beaucoup de quadragénaires, des quinquas également et, perdus au milieu de tout ça, quelques vingtenaires venus avec des défibrillateurs accompagner des parents probablement cardiaques ), le DJ passe du Rodriguez en musique de péniche à défaut ascenseur et les musiciens règlent leurs instruments.
Une fois ceux-ci terminés et après que la gentille organisatrice nous eut expliqué qu’il y avait changement d’ordre de passage, Piers Faccini, chemise bleue, veste en daim élimée et barbe de trois jours, accompagné par son batteur, look prof de philo Italo-BHLien, s’adresse au public pour expliquer le concept du concert. Celui-ci sera tout acoustique. Pas de micro, juste une amplification pour la guitare électrique, sinon, rien. Avant de commencer le concert, Faccini remarque qu’il y a sept chaises démunies de spectateurs et invite, de façon élégante, les personnes appareillées d’un sonotone à se rapprocher de la scène. Le concert débute,la magie commence pour se terminer 1 h 15 plus tard sous un tonnerre d »applaudissements. Il faut dire que le gars sait y faire : polyglotte ( il parle français quasi parfaitement, le chante également très bien ainsi que l’anglais, l’italien et le créole), il maîtrise excellemment ses instruments (guitares et harmonica) et nous gratifie d’un répertoire éclectique et souvent superbe. Très à l’aise malgré le peu de spectateurs, il ne manque pas d’interagir avec son public, demandant sur une chanson de faire les choeurs ou, sur une autre, qu’on lui file une feuille de papier pour africaniser sa guitare. Les fantômes de Guthrie, Skip James, Dylan (ah, non tiens, il est pas encore mort lui), Tim Buckley voire Ali Farka Touré planent dans la salle. Les frissons ne manquent pas de s’inviter également, notamment sur une reprise napolitaine chantée, enfin habitée serait le terme le plus approprié, en italien ou sur le fabuleux mangé pou le coeur du non moins fabuleux Alain Peters. Tour à tour shaman, showman, déconneur, Faccini invite le spectateur à un voyage au fin fond du blues, aidé en cela par un compère batteur/xylophoniste en parfaite symbiose avec lui et tout en subtilité. Bref, grand et beau concert acoustique, voix superbe, que mon voisin de chaise, les mains probablement trop douloureuses pour les frapper l’une contre l’autre et donc peu expressif lors du déroulement du concert, semble finir par apprécier.
Après une pause de dix minutes c’est au tour de Thomas Belhom d’envahir la scène. Déjà, première interrogation : c’est qui ce néo-quinquagénaire à lunettes au look de prof de sciences qui occupe le côté gauche de la scène ? Au début on pense à un roadie puis le gars, retranché derrière ses instruments, se présente comme étant Thomas Belhom. Première constatation : il ne ressemble pas du tout à la photo de promo. Deuxième interrogation ensuite : euhhhh sachant qu’il est seul avec un saxophoniste en face de lui, il va faire comment pour recréer les magnifiques arrangements de Maritima ?? deuxième constatation donc : avec un synthé, une guitare, un séquenceur, quelques pédales d’effet, une batterie et tout plein de percussions diverses et variées, ça va pas spécialement poser problème. Sauf que ceux qui s’attendaient à une relecture live et propre de Maritima vont en être pour leurs frais. De Maritima, il n’y aura que quatre morceaux, à peine reconnaissables, noyés dans une sorte de free-pop/folk expérimentale assez abstraite. Belhom, retranché donc derrière ses instruments,replié sur lui-même, à l’aide de samples et de toutes ses percussions, invente au fur et à mesure du concert une musique foisonnante, sans attaches, libre de toutes contraintes, la façonnant avec la complicité d’un saxophoniste, confirmant la tonalité free (que ce soit en jazz ou autres domaines musicaux) de l’ensemble. Quelque part entre Rémy Bricka, Tortoise et Daniel Johnston, le résultat, déconcertant et radical, ne satisfera pas le public qui désertera en masse la péniche entre deux pauses remerciements (à savoir qu’avant chaque pause, au moins trois chansons ont été jouées à la suite). Au bout de trois quart d’heure, lorsque le concert s’arrête, presque par accident, nous ne serons plus qu’une petite poignée à applaudir ce qui fut l’une des expériences sonores les plus étranges vues jusque là.