[mks_dropcap style= »letter » size= »85″ bg_color= »#ffffff » txt_color= »#000000″]L[/mks_dropcap]e chanteur néo-breton ne l’a sans doute pas conçu ainsi, mais son dixième album peut, à plusieurs titres, se laisser approcher comme une synthèse, sans doute provisoire, de ce qui a précédé.
Une synthèse, par définition, c’est bref, et en 34 minutes chrono, ce nouvel album relève le défi. On pouvait supposer qu’y figureraient, au moins en partie, les monologues hilarants, récités sur un ton morne qui en accentuaient le comique dans ses récents concerts et spectacles, mais non, Thomas Fersen est resté dans la forme classique de l’album dix titres. Une épure logiquement synonyme de légèreté, terme qui peut aussi qualifier les compositions elles-mêmes.
Si cet album, le premier publié depuis fort longtemps hors la maison Tôt ou Tard (il paraît sur son propre label Éditions Bucéphale), est une synthèse, c’est aussi, bien sûr, parce qu’il reprend des éléments des productions précédentes. La lecture des musiciens ayant contribué est révélatrice, rassemblant notamment Cyrille Wambergue, Pierre Sangra, Joseph Racaille et Fred Fortin qui a même écrit et composé une chanson, Testament.
Comme un super-groupe rassemblant des pièces éparses de la carrière de l’artiste, avec, en bonus, une pochette réalisée par la sommité Jean-Baptiste Mondino.
Sur cette image, Thomas Fersen survole à dos de vache nos villes industrialisées et polluées pour rejoindre le monde rural, tellement inaltéré. Bonjour veaux, vaches, cochons, en quelque sorte. À vue de museau, de groin ou de bec, on n’est pas loin du livre-disque pour enfants. Le titre Dans la cabane de mon Cochon semble d’ailleurs avoir été conçu pour eux.
Musicalement, on retrouve beaucoup de cordes qui évoquent tantôt la face baroque de Je Suis au Paradis, tantôt le côté le plus sage de l’aventureux Thom4s Fersen. C’est une tonalité plutôt mélancolique qui domine, mais on y passe, comme les fois précédentes, du coq à l’âne, du joyeux batifolage (La Cabane de mon Cochon, Encore Cassé) au spleen light. Dans la veine pastorale et sensible, on rangera notamment Les Petits Sabots ou As-tu-Choisi ?, où le chanteur retient sa voix, et fait penser au Jacques Higelin mûr.
On se serait volontiers passé du piano qui singe l’ambulance (Un Coup de Queue de Vache), ou les objets qui se brisent (Encore Cassé), mais ce sont des griefs mineurs qui cèdent devant la faconde mélodique toujours renouvelée du quinquagénaire, capable ad vitam aeternam de produire des moments de grâce et de poésie, un tiers pop, un tiers chanson et un tiers folk, avec trois fois rien (Dans les Rochers de Bel Anfry, le splendide Un Lièvre, sur la pointe des pieds).
Au rayon de ce qui rappelle les épisodes précédents, citons le tropisme cubain de La Pachanga, qui renvoie aux Papillons de l’album Le Jour du Poisson, des titres qui semblent faire leur retour (Tu n’as pas les Oreillons, dont le texte rappelle celui de la susdite Pachanga, qui fait naturellement écho à Je n’ai pas la Gale sur le Pavillon des Fous), ou encore le personnage, récurrent dans son œuvre, du type qui se néglige (« Moi, je fumais dans le pieu, je laissais traîner mes slips » dans Encore Cassé, « Je n’me rase plus, j’ai les ch’veux longs » dans La cabane de mon Cochon).
Volonté de continuité, ou difficulté à se renouveler ? On optera, par bienveillance et par confiance, pour la première hypothèse, non sans noter qu’à l’intérieur du même album, Thomas Fersen raconte deux fois la même histoire, qui se termine dans une marmite pour un homard (Dans les Rochers de Bel Anfry) et un coq (Un Coup de Queue de Vache). Une fin plutôt cruelle, comme peut l’être à l’occasion ce moraliste lorsqu’il dépeint avec finesse les affres de la vieillesse sur le titre éponyme, ou la bêtise primaire de la concupiscence masculine (Big Bang, ou la revanche sociale par l’accès au métier de strip-teaseuse).
Avec ce disque bucolique et ramassé, Thomas Fersen pose donc un nouveau jalon dans la continuité des précédents, pour notre plus grand plaisir renouvelé.